CONSCIENCE DEMOCRATIQUE ET STABILITE POLITIQUE
CONSCIENCE DEMOCRATIQUE ET STABILITE POLITIQUE
L’expérience démocratique a subi en Afrique des accouchements convulsifs. La pratique de la
démocratie a secoué et ébranlé beaucoup de pays dans leur stabilité souvent violemment. Le
processus de maturation de la démocratie se heurte, sous sa forme occidentale, à la mentalité, à la
culture et à la société africaine. Pour incarner l’esprit démocratique et le traduire dans son
comportement, il faut s’interroger sur les différents aspects de la démocratie, les analyser et les
traiter pour mieux les comprendre.
La démocratie comme école, prise de conscience, esprit et comportement
La démocratie serait-ce une école qui nous prépare à prendre conscience de nos responsabilités
politiques et civiles et à les assumer ? Le débat politique et démocratique ambiant et fortement
médiatisé (journaux, radios, TV, réseaux sociaux) devrait servir d’école de formation d’un
authentique esprit démocratique. L’éducation politique acquise au sortir de cette formation fait
émerger en nous le citoyen et l’électeur libre et responsable qui est le premier sujet et acteur de la
démocratie. L’âme démocratique qui anime cet électeur lui inspire un discours calme, sage et
pertinent décliné en actions constructives, paisibles et utiles mais efficaces. Il vit la démocratie dans
son esprit et dans son comportement.
La démocratie comme liberté de critiquer, de contester, de protester, de se plaindre, d’agir, de
penser et de se réunir
La démocratie se confondrait-elle à la liberté de critiquer, de contester, de protester, de se plaindre,
d’agir, de penser et de se réunir ? La liberté est une condition nécessaire à l’éclosion et à la
manifestation de la démocratie. L’absence de liberté est un handicap majeur pour la démocratie.
Toutefois, la nécessité de la liberté exige une responsabilité sans laquelle cette liberté se transforme
en un poison qui gangrène le corps démocratique par des discours toxiques et des actions
déstabilisatrices qui menacent la paix civile et la stabilité politique. La liberté n’est compatible et utile
à la démocratie que lorsqu’elle s’adosse sur la responsabilité.
La démocratie comme syndicat ou corporation d’intérêts
La démocratie serait-ce un syndicat qui encourage la divergence ethnique, sociale, territoriale et
politique en défendant les intérêts corporatifs des divers groupes qui composent la société ? Elle
menacerait alors la concorde et l’unité nationale mais aussi le consensus indispensable à la légitimité
démocratique. La défense démagogique des intérêts étroits des territoires, des ethnies et des
groupes religieux est contraire aux objectifs et aux fondements de la démocratie.
La démocratie comme opinion
La démocratie se confondrait-elle à une opinion ? L’opinion démocratique est construite et
dynamique. Elle doit être purifiée des discours toxiques et des déclarations téméraires,
intempestives, malveillantes et démagogiques. Elle doit être protégée contre les tentatives de
manipulation distillées par des stratégies de communication et de marketing politique pernicieuses
et intéressées. Seule une conscience politique bien formée et bien informée peut se dresser en
paravent contre les velléités de déstabilisation, de manipulation, d’intoxication et de contamination
de l’opinion. Une opinion saine et bien inspirée est un bon paramètre et un bon marqueur qui
reflètent la sante démocratique de l’état. Une opinion clairvoyante est la garantie d’une stabilité
politique qui empêche des instabilités gouvernementales et des sanctions électorales inutiles sources
d’aventures aux conséquences pas toujours heureuses.
La démocratie comme dialogue et concertation
La démocratie serait-ce bâti sur le dialogue et la concertation ? La recherche de consensus ne peut se
faire sans le dialogue et la concertation entre les différents acteurs politiques et sociaux. Un dialogue
franc et sincère et une concertation permanente caractérisent une démarche et une attitude qui
favorisent la proximité des acteurs, la convergence, la solidarité, le compromis et la transparence
dans la prise de décision. La stabilité sociale, la paix civile et le consensus sont les fruits du dialogue
et de la concertation. Une démocratie basée sur la culture du dialogue et de la concertation serait
beaucoup plus productive que celle fondée sur la culture du conflit et de la confrontation.
La démocratie comme marché, clientélisme et élection
La démocratie se confondrait-elle à une mode électorale ? L’élection est une technique
démocratique pour choisir des dirigeants politiques. Malgré ses insuffisances, l’élection est adoptée
par plusieurs états comme un paramètre valable pour tester la qualité de la démocratie. Néanmoins,
le moment électoral ne doit pas tenir lieu de marché où des vendeurs et des acheteurs se
rencontrent pour vendre et acheter un produit. Le clientélisme politique à forts coups de marketing
et de corruption qui accompagne et caractérise le marché électoral ruine la crédibilité des résultats
électoraux qui conduit aux troubles postélectoraux. Pour crédibiliser la légitimité électorale des
gouvernements il faut bannir le clientélisme politique basé sur des achats de conscience ou de vote
source de contestations et de soubresauts postélectoraux violents qui remettent en cause le verdict
démocratique des urnes et alimentent un climat de violence. Chaque acteur politique doit savoir
qu’en faisant du clientélisme il participe à la dégradation de la démocratie et qu’il porte la grave
responsabilité des conséquences dramatiques et fâcheuses des compétitions électorales.
La démocratie comme arène politique
La démocratie serait-ce une arène politique où se confrontent des lutteurs prétendant au contrôle
politique de la nation ? Tous les coups sont permis pour remporter la victoire. L’argent, les attentats,
la calomnie, la manipulation, la démagogie, les mensonges, les complicités, les trahisons, les
complots sont les armes pour détruire l’adversaire en face. Leurs discours claironnant la prise en
charge des intérêts du peuple ne sont que des masques pour cacher les mobiles profonds que leur
dictent leurs ambitions et leurs intérêts personnels qui s’entrechoquent tragiquement et
dramatiquement. Toutes les offres de dialogue, de concertation, de compromis sont rejetées par les
opposants comme des ruses pour conserver le pouvoir. Toutes démarches, actes de sensibilisation,
de mobilisation des populations sont qualifiées par les gouvernants de tentatives d’insurrection pour
conquérir le pouvoir. Suspicion, défiance, ruses caractérisent leurs attitudes. Les élections se
succèdent et se ressemblent. Les alternances sans alternatives aussi. Les peuples s’indignent,
grognent, se révoltent et sanctionnent toujours par le vote sans résultat. Tout le monde s’enferme
dans un cercle vicieux où le mécontentement populaire grandissant risque de dégénérer en émeutes
aveugles dont les conséquences dramatiques sont toujours payées par les pauvres électeurs.
La démocratie comme gouvernement du peuple par le peuple et consensus
La démocratie serait-ce le gouvernement du peuple par le peuple ? L’idéal serait que tout
gouvernement répond aux aspirations profondes du peuple. Les effets de toutes les actions
gouvernementales devraient conduire à l’amélioration des conditions de vie des populations et de
leur bien-être social, culturel et écologique. La prise en charge des préoccupations des populations
devraient être au centre des décisions de l’état. Mais le peuple est une catégorie composite aux
intérêts contradictoires et parfois antagonistes. Les intérêts des capitalistes sont antagonistes avec
les intérêts des ouvriers. Les intérêts des femmes sont contradictoires avec les intérêts des hommes.
Faut-il déposséder les paysans de leurs terres au profit de producteurs plus aptes à les exploiter
efficacement ? Faut-il installer des infrastructures pour permettre aux producteurs d’écouler et de
rentabiliser leur production au détriment de la formation des jeunes, de la salubrité de
l’environnement, de l’approvisionnement en eau et de la santé des populations? Faut-il augmenter
les salaires des fonctionnaires au détriment de la suppression de la TVA sur certains produits à
l’avantage de tous les consommateurs ? Toutes ces entités sont des composantes du peuple aux
intérêts contradictoires et antagonistes.
Il faut un concept de consensus reconnu et accepté par tous fondé sur une approche différentielle et
sélective qui objective les différences, les priorités et les nécessités des différents groupes. Les
décisions doivent se fonder et se justifier par des arbitrages et des compromis dont la pertinence est
convaincante. Le processus consensuel doit être un processus inclusif et participatif. Cela exige de
tous les acteurs de tout bord d’être animés par un esprit trempé dans la confiance, la culture de la
consultation et du dialogue mais débarrassé des intoxications de la suspicion et de la paranoïa.
La démocratie comme multipartisme
La démocratie serait-ce confondu au multipartisme ? L’expression de la volonté populaire pourraitelle ne se manifester que dans un contexte multipartisan ? Le cadre du parti unique est-il compatible
à la notion de démocratie ? La mode démocratique consacre aujourd’hui le multipartisme comme un
étalon pour la démocratie. Les systèmes à parti unique sont décriés à cause de leurs expériences et
de leurs pratiques historiques décevantes. Néanmoins, le parti unique n’est pas en soi incompatible
avec la démocratie. Un parti unique creuset de tous les courants, accueillant tous les membres de la
société, géré à travers un management électoral inclusif, administré par une direction indépendante
bien rémunérée se présenterait comme un cadre unitaire de toutes les forces vives où s’exprimerait
parfaitement toutes les volontés et les aspirations populaires profondes. Les candidats sont
sélectionnés à la base : des villages et des quartiers, en passant par les communes, les départements,
les régions jusqu’au plan national. Les députés, les maires, tous les élus ne défendraient que les
intérêts du peuple avec conviction au lieu de se morfondre à porter les intérêts d’un parti politique
qui ne gère que des intérêts de pouvoir et de position. Le conflit des intérêts partisans
contradictoires qui était le moteur de la vie politique se métamorphose en un combat singulier et
individuel dont l’ultime mérite des acteurs se mesure à leur engagement sans faille à prendre en
charge les intérêts du peuple, les intérêts des électeurs. Le renouvellement de leur mandat est
d’ailleurs à ce prix. Le parti unique serait ainsi le cadre idéal pour une parfaite expression
démocratique !
La démocratie comme contrôle citoyen par les électeurs
La démocratie serait-ce un contrôle citoyen par les électeurs? La démocratie ne peut être contrôlée
ni par la société civile ni par l’opposition encore moins par le pouvoir. Ils ont tous des intérêts
particuliers à défendre. Les électeurs peuvent leur prêter une oreille mais pas les deux. Seuls les
électeurs conscients, libres et responsables sont plus enclins à contrôler et à défendre la démocratie.
L’électeur doit s’en remettre à son propre jugement dépouillé de toutes considérations intéressées
et égoïstes pour apprécier les actions du gouvernement. Il doit cultiver un esprit critique qui lui
permet de bien discerner les conséquences négatives ou positives des décisions gouvernementales.
Le parti d’opposition ne lui présente que le côté négatif de la décision, le parti au pouvoir que le côté
positif et la position de la société civile est en résonance avec ses mandataires invisibles. La gestion
nébuleuse de la société civile contraste lamentablement avec la transparence qui est son cheval de
bataille. Son opacité qu’elle tait est à la mesure de la forte demande de transparence qu’elle réclame
à haute voix. Pour masquer ce forfait elle a tendance à se pencher du côté de l’opposition pour se
donner une crédibilité. L’électeur doit être à équidistance de ces différents acteurs pour mieux poser
un arbitrage en faveur de ses intérêts bien compris. La pertinence et la sagesse de ces jugements et
arbitrages lui éviteront de commettre des alternances sans alternatives, qui ne sont que le lit d’un
éternel recommencement sans succès.
La démocratie peut être une bombe qui peut exploser et tout embraser ou un aliment qui nourrit,
égaye et rafraichit. Une très bonne compréhension de la notion de démocratie pourrait éviter des
confusions dans les esprits et les attitudes qui mènent à des agissements et des discours
déstabilisateurs. La paix sociale, civile et politique est un bien que l’on n’apprécie que lorsque l’on l’a
perdu. Soyons un électeur conscient, libre et responsable ! Ainsi serons-nous les soldats honorés qui
protègent, défendent et sauvent la démocratie pour que l’avènement tant convoité de la maturité
démocratique des états africains soit une réalité.
Dr Abdoulaye Taye
Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop
Initiateur du RBG-AMO
Opérateur politique
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