DU DIALOGUE POLITIQUE

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  • Article ajouté le : 27 Dimanche, 2020 à 13h09
  • Author: abdoulaye taye

DU DIALOGUE POLITIQUE

Autant l’opposition d’aujourd’hui sera le pouvoir de demain, autant le pouvoir d’aujourd’hui sera l’opposition de demain. Les nombreuses causes d’échec des concertations politiques nationales sont à chercher dans l’opposition des parties en face. Le pouvoir comme l’opposition défendent leurs positions du moment et ne s’inscrivent pas dans une perspective durable où les positions peuvent s’inverser. Les conséquences sont des va-et-vient interminables entre des révisions de constitution, des changements et des ruptures de consensus mais aussi des tensions politiques haletantes. Le dialogue politique pour être fécond et constructif doit faire table rase des positions du moment des uns et des autres. On doit faire abstraction de sa position d’opposant ou de gouvernant. Les protagonistes doivent approcher le dialogue dans un esprit et un comportement indépendants de leurs intérêts politiques du moment. Ils doivent penser qu’ils sont entrain de conduire la démocratie vers sa maturité historique. Ils doivent servir les intérêts de la démocratie même lorsque ceux-ci sont en opposition avec leurs positions d’aujourd’hui. Il s’agit de penser et d’agir en démocrate et non en opposant ou gouvernant.

La démocratie en tant qu’approche fonctionnelle est un mode de gouvernance qui prévient et apaise les conflits politiques, favorise la stabilité politique, la paix civile, la transparence et la crédibilité des élections qui permettent d’éviter les soubresauts postélectoraux, renforce la légitimité électorale et démocratique. Elle se préoccupe de créer les conditions de participation et d’inclusion des masses dans l’immense projet de construction démocratique de l’état et de la société. L’enjeu est ici de transcender les antagonismes des groupes en compétition, de les résoudre par un jeu d’équilibre instable où chacun semble trouver provisoirement son compte. D’où les tensions et les secousses latentes qui se résolvent dans des conflits ouverts plus ou moins violents. Mais la démocratie en tant qu’approche conceptuelle vise l’être démocratique de la nation, l’émergence d’un esprit et d’un comportement démocratique fondement d’une stabilité politique durable. L’enracinement de l’être démocratique chez les opérateurs politiques développe des attitudes d’objectivité, de responsabilité et de neutralité qui se manifestent par une liberté et une indépendance par rapport à leurs organisations. Chez l’électeur, il se manifeste par une équidistance par rapport aux concurrents politiques qui s’exprime par des jugements dépassionnés, clairvoyants et indépendants. Les débats, les positions et les décisions des uns et des autres gagnent en maturité, en lucidité et en pertinence. La finalité de la démocratie est d’insuffler un esprit et un comportement démocratique. Il s’agit d’installer définitivement une pratique politique dépouillée de considérations politiciennes qui n’obéissent qu’à des intérêts étroitement égoïstes.

La composition du dialogue politique en cours est dominée par des partis politiques à côté des personnalités religieuses et coutumières, des représentants de la société civile et du monde économique. La plupart des acteurs n’ont aucune légitimité politique, intellectuelle, scientifique, sociale ou morale. Ils ne représentent que leurs intérêts, leurs sentiments, leurs émotions et leurs opinions personnels ou de groupes. Un parti politique ne peut se prévaloir de représenter le peuple tant qu’il n’est pas allé aux élections pour subir le test de représentativité. Ce défaut de représentativité est valable pour beaucoup de participants. Le défaut de légitimité qui en découle leur enjoint le devoir de mériter le droit de parler et d’agir au nom du peuple qui consiste à assumer leur responsabilité de liberté, d’indépendance et d’engagement à ne servir que les intérêts de la nation. Les échos de leurs voix qui traduisent l’expression libre, féconde et constructive de leurs pensées doivent entrer en résonance avec le destin démocratique de la nation que le sort d’un

déterminisme historique et culturel nous a réservé. Nous sommes les principaux bâtisseurs de notre destin démocratique. Restons démocrates et pensons démocrates pour que nos idées soient les pièces et les briques d’un avenir démocratique radieux. Le dialogue politique n’aboutirait qu’à un échec s’il est conçu et perçu comme un ring où les partis d’opposition et le parti au pouvoir se confrontent à travers la défense de leurs intérêts partisans immédiats. L’objectif de la démocratie est de créer les conditions de participation de tous à travers des idées et des actions positives à l’édification d’un destin national profitable à chacun de nous. La démocratie n’est ni contestations et protestations puériles et toxiques ni agissements subversifs ou provocateurs. Elle vise à éclore les meilleurs talents, idées et propositions portés par les meilleurs citoyens de la république. C’est un cadre pour révéler et sélectionner les meilleurs contrairement à la monarchie basée sur le sang et le rang social. L’excès de contestations et de protestations nuit à la démocratie. L’excès de propositions constructives et fertiles fortifie, crédibilise et rend utile la démocratie. Malheureusement le phénomène démocratique contemporain dérive vers des protestations et des contestations virulentes et déstabilisatrices. La démocratie est une philosophie, une manière de penser, d’être et d’agir bâtie sur une volonté commune. Sa vérité universelle est reconnue sans médiation par notre bon sens partagé.

Certains sujets abordés par les protagonistes des concertations nationales ne préoccupent que les acteurs politiciens. Ils sont le plus souvent en déphasage avec les intérêts authentiques de la démocratie. La structure indépendante chargée des élections, la limitation des mandats ou de l’âge du candidat présidentiel, le chef de l’opposition, la séparation du chef de parti et du président de la république, pour ne citer que ceux-là, sont autant de questions dont leur valeur ajoutée et leur pertinence démocratique ne sont pas évidentes. La vice-présidence, l’interdiction des coalitions avant toute élection et l’indépendance d’un député par rapport à son parti me semblent cependant revêtir plus de sens démocratique. Dans toutes les démocraties qui ont achevé leur processus de maturation, les élections sont gérées par le ministre de l’intérieur ou son équivalent. C’est un signe de maturité démocratique contrairement à la structure indépendante qui est un aveu de balbutiement démocratique et d’échec de la classe politique. La limitation des mandats ou de l’âge du candidat présidentiel comme le chef de l’opposition sonnent telle une confiscation du droit des électeurs à se choisir librement ses propres dirigeants. Outre un contexte inadapté marqué par des coalitions électorales, le chef de l’opposition aurait une longueur d’avance sur ses concurrents aux élections avec tout le risque de bipolarisation de l’espace politique. La séparation du chef de parti et du président de la république est un faux débat qui ne règle aucun problème. Dans tous les cas, qui détient les sous détient les commandes. Le président détient les sous, le président contrôle le parti. Il est dans les faits le chef de parti. Les sénégalais n’ont pas élu un chef de parti qui n’a d’ailleurs aucun compte à leur rendre. Ils ont élu un président de la république qui leur doit des comptes à tout instant. Attaquer une politique gouvernementale en se cachant derrière un chef de parti pour échapper au délit d’offense au chef de l’état est une lâcheté doublée d’une malhonnêteté. Contrairement à l’argumentation dominante, la séparation des deux fonctions exposerait plus les opposants et cela de manière univoque au délit d’offense. La contribution de tous ces concepts à la qualité démocratique de l’état se laisse de toute façon débattre. Par contre, l’interdiction des coalitions, la vice-présidence et l’indépendance du député ont sans doute plus d’efficacité démocratique. L’interdiction des coalitions avant les élections favorisent la rationalisation des partis politiques. Il est plus rationnel et plus acceptable que les coalitions se forment après que chaque parti décline sa représentativité, son poids politique électoral. Les coalitions ne doivent se constituer

qu’après les premiers tours des élections. Un parti qui n’est pas allé aux élections ne peut pas aspirer à représenter le peuple ou une partie de celui-ci. La rationalisation des partis renforce leur représentativité et leur crédibilité, économise les sous de l’état, assainit et clarifie le débat et le jeu politique, amortit et disqualifie les dérives démocratiques d’activistes qui ne peuvent se faire entendre qu’à travers des agissements plus ou moins subversifs ou provocateurs. L’activisme, en tant que démocratie contestataire et protestataire, est une dégénérescence démocratique qui s’exprime par des réactions émotionnelles de révolte pour combler les déficits de la pratique démocratique des classes politiques traditionnelles. Par ailleurs, la faisabilité de l’article 31 de la constitution qui statue sur la vacance du pouvoir est une illusion qui justifie et légitime l’occurrence d’une vice-présidence. En effet, l’article 31 de la constitution dans son deuxième alinéa postule « Si la Présidence est vacante, par démission, empêchement définitif ou décès, le scrutin aura lieu dans les soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après la constatation de la vacance par le Conseil constitutionnel». Cette disposition se dévoile comme irréaliste. Organiser des élections présidentielles dans l’espace de 60 à 90 jours est un pari et un défi périlleux. L’économie des deniers publics jointe à une continuité politique paisible et stable fondent la pertinence et la sagesse de l’élection d’un ticket présidentiel formé d’un président de la république et de son vice-président à l’instar de nombreuses démocraties. On n’a plus besoin de créditer la légitimité électorale du successeur constitutionnel par l’organisation de nouvelles élections coûteuses. Les deux portent la même légitimité électorale et aspirent à la même légitimité démocratique. Il est nécessaire de reprendre le débat sur la vice-présidence en dépit de son introduction controversée et ratée durant la gouvernance du président Wade. De même, l’article 60 de la constitution qui affirme « Tout député qui démissionne de son parti en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat. Il est remplacé dans les conditions déterminées par une loi organique » ne vise, en les protégeant, que les intérêts du parti au détriment de l’intérêt du peuple. Cette disposition viole l’indépendance du député nécessaire pour la défense des intérêts du peuple. Le député doit mettre son engagement au service de la nation grâce à sa liberté et son indépendance protégées par son immunité. Son opinion doit être en principe indépendante de son parti et de son gouvernement. Par conséquent, les articles 31 et 60 de la constitution qui statuent sur la vacance du pouvoir et la démission du député doivent être reconsidérés dans les discussions au sein du dialogue politique.

En conclusion, les principes démocratiques ne doivent servir que les intérêts du peuple. Il ne faut pas les détourner pour servir les intérêts d’un parti qui n’est qu’un outil pour accéder au contrôle politique de la nation et de l’état. Lorsque l’opposant raisonne en tant que gouvernant et vice versa, le dialogue politique national ne pourrait produire qu’un résultat authentiquement démocratique.

Dr. Abdoulaye TAYE

Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop

Initiateur du RBGAMO

Operateur politique


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