A qui l’apothéose, aux preux ou aux gueux ?

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  • Article ajouté le : 24 Vendredi, 2014 à 13h58
  • Author: babacar diop

A qui l’apothéose, aux preux ou aux gueux ?

  La division de la communauté humaine en deuxgroupes antinomiques, pour ne pas dire antagoniques, les preux et les gueux,sans prêter une attention particulière à l’existence manifeste de classesintermédiaires, relève de l’arbitraire, et il s’agit d’un arbitraire dépassé deloin par l’évolution sociale. Pourtant dans une certaine mesure, cettedichotomie est imposée par une certaine lecture de l’Histoire. Nul ne peut nierque l’histoire sociale ait toujours juxtaposé ces deux entités. Qu’il s’agissed’une juxtaposition de complémentarité ou de conflit, les deux cas de figuresnaissent de facteurs historiques objectifs. Dans cet ordre d’idées, il estabsolument faux d’assimiler les preux aux nobles et les gueux aux roturiers. Unnoble devenu gueux ou un roturier devenu noble par la force des caractères oupar la force des choses est un phénomène courant.

 

   S’agissant de la force des choses, les gueuxs’anoblissent soit par l’instruction et la scolarisation massive, soit par laruse. Cependant, l’instruction offre plus d’opportunités et de garanties endépit des énormes difficultés que le sujet affronte. Quant à la ruse, elle estl’apanage des individus rusés, qui savent que l’histoire est, en une bonnepartie, faite de ruses et de fraudes. En effet, c’est cette ruse de l’Histoirequela Grande Royale,personnage emblématique et porte-drapeau de l’aristocratie autochtone, dans leroman de L’aventure ambiguë, atrès tôt compris et a très bien compris. Elle pénétra l’arène de l’Histoireavec brio, afin de tordre le cou à cette dernière, et lui donner une nouvelleorientation, pour autant que l’idée d’un sens de l’Histoire soit accréditée. Lepersonnage a compris ce qui irait se produire si les tendances sociales d’alorsse confirmaient. Si la scolarisation ne touche que les familles des roturiers,les descendants de ces derniers allaient régner sur les futurs fils des nobles.Il faut dire que ce phénomène s’est effectivement produit dans certaines zoneset aires géographiques locales.La Grade Royale et les hommes de sa classe ont également compris quela scolarisation massive est un moyen de nivellement social, dans ce sensqu’elle met au même niveau les enfants de classes différentes. L’effacement desinégalités sociales n’a jamais été du goût de tout le monde. Mais le risque derenversement de situation est énorme etla Grande Royale n’a pas hésité àfaire face à toutes les éventualités, quitte à « mourir en nos enfants », selon ses propres termes.

 

   L’aventureambiguë est certes une œuvre de fiction, les personnages qui se meuventdans la trame de son action sont également fictifs, mais les faits qu’elledécrit ne sont pas toujours irréels. Par la sagacité de son futurisme, sesprédictions implicites, comme celles explicites, se sont souvent avérées desréalités concrètes au cours des temps historiques ultérieurs. En effet, dehauts dignitaires des régimes politiques dans un passé récent, descendants desoi-disant « esclaves », se rendaient de temps à autre dans leursterroirs d’origine. Bien qu’ils fussent entourés de luxe et de signes derichesse exorbitants, bien qu’ils affichassent les fastes officiels, cesdignitaires, une fois les pieds mis dans les foyers d’origine, ne furent considérésque des hommes de classe inférieure, de simples courtisans dont la mission uniqueest de scander des rythmes et des chants élogieux à la gloire des pauvreshéritiers des dignités royales défuntes. La roue du progrès tournait en avant,et ces dignitaires restaient dignes, tout en dominant ce monde archaïque endépit de l’orgueil des anciens preux. Vola la ruse de l’Histoire.

 

   Le tour est joué en faveur des gueux et envertu de l’instruction publique gratuite. La ruse, faut-il encore le redire,reste l’apanage des rusés. C’est la ruse seule qui propulse les êtresdéfectueux vers les hautes sphères de l’administration centrale. Le gueux, plusque tout autre, met de la passion pour arriver à ses fins. Il piaffe à la vuedu butin. Il est condamné à la passion excessive par les nombreux obstacles quise dressent sur le chemin de la grandeur historique. La volonté de puissances’intensifie lorsqu’elle est contrariée. « La passion chez autrui estinconcevable en l’absence de l’obstacle » (Coulet).

 

   La ruse et l’ambition chez les gueux peuventproduire des absurdités. A certaines époques du passé, les titres de noblesseétaient achetés à des prix très élevés. Ce fut l’une des ambiguïtés del’Occident. Logiquement la noblesse n’est pas une facticité, elle résulte dudéterminisme historique.

 

   Que le gueux devienne un acteur, un sujet del’Histoire est une réalité incontestable. Il ne s’agit pas de donner des datesprécises. Les tendances dans l’Histoire n’ont jamais été datées avec précision.Mais quelques siècles après la fin du Moyen Age, les gueux devenaient despersonnages de premier ordre dans toute la dialectique sociale. L’évolution del’esthétique du roman même que l’on nomme l’épopée des temps modernes, areflété fidèlement ce changement de situation. Des personnages représentant debasses classes sociales : les gueux, les criminels, les voleurs, lesinfidèles et les prolétaires commençaient à jouer des rôles de premièreimportance dans la trame de l’action romanesque.

 

   Parvenir à la grandeur historique, au boutd’une marche triomphale, n’est pas une mince affaire. Le preux, tout comme legueux, armés de courage, peuvent réaliser un tel exploit avec brio etapothéose, étant propulsés soit par la ruse soit par l’instruction publique desmasses populaires. Même si la ruse ne se confond pas avec l’intelligence, ellene l’exclut pas. Assurément l’instruction favorise l’intelligence et offre plusd’opportunités à la classe des preux , comme à celle des gueux, à la classe desnobles, comme à celle des roturiers, pour se réaliser soi-même et établir sonrègne dans le royaume des essences.

 

                                                Babacar Diop


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