Avons-nous surpassé l'homme de la fin du Moyen Age ?

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  • Article ajouté le : 07 Dimanche, 2013 à 15h54
  • Author: babacar diop

Avons-nous surpassé l'homme de la fin du Moyen Age ?

   A la fin du Moyen Age (1), la situation de l'homme en Occident était caractérisée par un certain nombre de traits qui sont inconnus dans les périodes précédentes. Quoique lointaine elle a des similitudes avec l’existence de l'homme africain d'aujourd'hui. Pour l'homme du Moyen Age cette situation est l'aboutissement d'une longue et pénible évolution mise à son actif. Alors que pour l'homme des temps modernes, vivre la situation médiévale est incontestablement un retard, voire même une régression, une catastrophique reculade. Le salut de l'homme ne réside ni dans l’immobilisme, ni dans la reculade, mais dans l'évolution historique de sa vie. A la fin de l'époque médiévale la vie de l'être humain connaissait une nette amélioration comparativement à ce qu'elle était au début de notre ère. Ce qui est incontestablement un motif de satisfaction. Alors qu’aujourd’hui, il est  fréquent que certains de nos contemporains évoquent avec nostalgie l'époque coloniale et regrettent sa disparition à jamais. Cela parce qu'ils sont écrasés sous le poids d'une existence douloureuse, insupportable. Ils sont ainsi animés d'un désir ardent pour un retour impossible vers un passé dont ils ne gardent qu'un vague souvenir, mais qui, quand même, apportait satisfaction au nombre certes réduit de leurs besoins vitaux. Ce n'est pas une caricature mais, au contraire, un truisme de dire que, si l'homme du Moyen Age fut tourné vers l'avenir, l'africain, sur beaucoup de sujets, rive ses yeux sur le passé.

1-   L'homme à la fin du Moyen Age..

    Au Moyen Age, l'homme vivait dans un monde clos, mais à la fin de cette période, cet univers clos est considérablement fissuré, suite à une évolution de son environnement social et psychique. La vie cessa d'être menée dans un univers fermé. Le monde devint immense, mais menaçant. C'est à cette époque que la Renaissance vit le jour. Les propos de Fromm sont sans ambiguïté: « la Renaissance, qui coïncidait avec la fin du Moyen Age, était la culture d'une haute classe riche et puissante, placée sur la cime d'une vague balayée par la tempête des nouvelles forces économiques ». La Renaissance est la culture commune des nobles et des roturiers riches. La richesse leur donnait le sentiment de puissance, de liberté et le sens de l'individualité. Toutefois ces mêmes hommes avaient perdu l'appartenance sociale qu'offrait la structure de la société médiévale. Ils étaient libres, mais ils étaient seuls; ils pouvaient jouir des plaisirs que la vie offrait, mais pour ce faire, tous les moyens étaient impitoyablement bons à user, allant de la torture physique jusqu'à la manipulation psychologique. Tout ce traitement a eu pour objectif de dominer les masses et anéantir les concurrents. Les relations humaines étaient empoisonnées par une lutte féroce de vie ou de mort, afin de garder le pouvoir et la richesse. Dans cette logique de rivalité farouche, les autres hommes étaient considérés comme objets à utiliser et à manipuler. La destruction de l'objet n'a rien d'immoral si elle sert à atteindre des fins personnelles. L'individu est absorbé par un égocentrisme vorace, un désire insatiable de pouvoir et de richesse. Chacun doit tenter sa chance et se lancer à la conquête du petit gâteau. L'homme doit nager ou se noyer. Les autres individus ne sont pas ses alliés: ou bien il les détruit, ou bien ils le détruisent. L’homme est face à son destin, il prend des risques. L'effort individuel peut conduire au succès ou à l'échec. Dans toute société, l'homme doit travailler s'il veut vivre.

    A la fin du Moyen Age la stratification des classes sociales était moins rigide, elle devenait plus souple. Nobles et roturiers vivaient ensemble à l'intérieur des mêmes murailles. La naissance et l'origine devenaient moins importantes que la richesse et la fortune. La fortune fut le seul critère valable de l'appartenance sociale. Un vaste abyme séparait les riches des pauvres et les puissants des faibles. Avec la détérioration des liens primaires, le sens de la vie est devenu douteux. Une perspective pour l'individu solitaire et craintif s'ouvrait pourtant: la célébrité, seul moyen de se faire valoir et de faire taire les doutes et les incertitudes. Il fallait donc la chercher et l’obtenir à tout prix.

     Les conséquences de ces bouleversements ne se sont pas fait attendre sur la structure psychique de l'homme. Un pessimisme moral foncier le poussait à ne voir dans la nature humaine qu’une pourriture. Le monde représente l'empire du diable. L'individu dans sa solitude est sans valeur, et il a besoin de soumission à une autorité externe qui lui permettrait de retrouver l’innocence et l’état de grâce.

     2-.. et Nous

   L'on ne peut pas continuer infiniment cette énumération fastidieuse des traits de caractère de l'homme à la fin du Moyen Age. Ce qui vient d'être dit est largement suffisant pour qu’on soit convaincu que les similitudes entre nous et l'homme de cette époque sont frappantes.

 

   En effet il y a des traits de caractère qui nous réunissent à l'homme postmédiéval. Notre structure psychique et notre caractère moral n'ont évolué que fort peu depuis la fin du Moyen Age. Ceci est d'autant plus vrai que, à l'époque médiévale, l'intellectuel arabo-musulman était l'homme le plus éveillé au monde, lui qui se concevait et concevait les autres comme entités séparées. Ce qui représentait une avancée significative dans la perception progressive de l'individualité et de la responsabilité personnelle. Mais depuis lors l'immobilisme n’a jamais cessé d’hypothéquer l'avenir. De nombreux facteurs sont évoqués pour expliquer cet immobilisme, dont le colonialisme et l'esclavagisme de jadis. Toutefois, il ne faut pas exclure d'autres causes parmi lesquelles on note l'obsession de l'irrationnel. L'irruption de l'irrationnel dans la vie et dans le vécu quotidien ne permet pas à l'homme des temps modernes de surpasser l'homme du Moyen Age sur beaucoup de points. L'irruption de l'irrationnel se produit lorsqu'on croit naïvement que Dieu accepte que les lois qu'Il a imposées à l'univers et qui le régissent depuis la création du monde soient violées par des individus. L'irruption de l'irrationnel se produit lorsqu'on pense qu'il est donné à des êtres en cher et en os la possibilité de transcender les dimensions du temps et de l'espace. L'irruption de l'irrationnel se produit si l'on croit que pour gagner des élections, au lieu de convaincre les votants, il suffit de recourir au sacrifice et au cannibalisme en cachette. L'irruption de l'irrationnel se produit quand on pense qu'un match de foot peut être gagné non pas par une haute compétitivité sportive et un schéma tactique efficient, mais par une simple immolation de bœufs. L'homme postmédiéval n'a jamais pensé qu’il est possible de voler les membres intimes d'un homme sans que son sang ne soit versé.     L'impossibilité de mener une vie normale dans cet environnement illusoire est évidente. Les malheurs nous tombent dessus à cause de notre médiocrité mentale et morale. Nos enfants, nos jeunes et nos vieillards souffrent de notre médiévalisme moral dont la genèse se trouve dans la raréfaction des impératifs catégoriques. L'impératif catégorique suppose d'abord l’affranchissement total des intérêts crypto-personnels et l'inscription de la morale dans le temps et la durée. Le délabrement moral s'amplifie chaque fois que la vertu est de courte durée. Le célèbre moraliste Kant en était conscient, lui qui, dans la rigueur légendaire de ses réflexions, tentait de donner à la morale sa dimension atemporelle ainsi que toute sa vigueur, en écartant l’impératif hypothétique du système éthique.

    Tout comme nous l'homme postmédiéval souffrait du doute et de la crainte. Les moyens de les neutraliser sont le succès, la connaissance et la soumission à un leader. Mais ces moyens peuvent ne pas être de nature à éradiquer les incertitudes. Tout de même ils peuvent éliminer la conscience des problèmes. Tout comme nous également l'homme postmédiéval aimait se soumettre à une autorité, mais il la haïssait en même temps. L'individu d'entre nous peut afficher sa soumission volontaire à l'autorité extérieure, mais cette soumission est fréquemment accompagnée de haine. La soumission au représentant de la puissance politique, si elle n'est pas une soumission problématique, elle a au moins un relent dialectique dans ce sens que l'objectif non avoué est de soumettre les faveurs et les largesses de l'homme politique. Les artistes et les intellectuels ne sont pas en reste. Ils accomplissent les mêmes fonctions sociales que leurs aînés: les troubadours qui cultivaient la noblesse d'esprit, alors que les masses populaires aimaient se soumettre.

   A la fin du Moyen Age comme à notre temps, l'artisanat et le commerce qui connaissaient une stabilité relative et qui nourrissaient leurs hommes, se sont effondrés. Les riches d'antan sont ruinés. La paupérisation des masses urbaines s'est accentuée. Les conditions de vie changent de mal en pire. Les commerçants et les artisans souffrent suite à la concurrence de l'extérieur contre laquelle ils luttent désespérément. Toute sorte de combat solitaire mené contre le capital, le marché et la concurrence est naturellement  un combat désespéré.

   Un fait nouveau nous distingue quand même de l'homme postmédiéval: c'est l'importation massive de la technologie et de la haute technologie. En effet, ce phénomène n'est qu'un élément du décor extérieur. Nous ne disposons pas d'un encrage technologique véritable. Tenez! La plus infime pièce d'un ordinateur n'est fabriquée chez nous. Même un trombone serait introuvable dans nos bureaux s'il n'était pas importé de l'Asie.

   Ce portrait de l’homme de chez nous n’est guère luisant, il est plutôt sombre, comme l’est du reste celui de l’homme de la fin du Moyen Age. On n’en disconvient pas. Seulement à l’endroit de ceux qui aspirent à l’idéalisation de l’homme postmédiéval et de tout ce qui est ténébreux, il faut dire que l’unique idée valable aujourd’hui  est la recherche d’une issue de sortie. Il n’est pas salutaire de continuer à vivre à l’époque moderne tout en s’identifiant constamment à l’homme médiéval ou postmédiéval. Selon Fromm, l’Occident a mis quatre siècles pour liquider  l’héritage médiéval. Pour ce qui nous concerne, le nombre de siècles que nous mettrons pour nous affranchir du médiévalisme moral et psychique reste incertain.

         Babacar Diop,

Professeur d’arabe,

Lycée Mixte Maurice Delafosse,

Dakar.

(1)        Pour le portrait de l’homme à la fin du Moyen Age et au début des temps modernes, je renvoie le lecteur à deux auteurs :

-         Erich Fromm, Escape from Freedom (1966);

-         Jean E. Spenlé, La pensée allemande..(1967).                            



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Anonyme - #1

Le Moen Age Est Devant Nous

le Lundi 17 Juin, 2013 à 20:23:14RépondreAlerter

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