Des visages et des miroirs

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  • Article ajouté le : 20 Mercredi, 2013 à 15h32
  • Author: babacar diop

Des visages et des miroirs

   Est-il souhaitable de mettre ma foto (pardon : « ma photo » : le poète président et sa langue d’adoption n’ont jamais admis la simplicité de l’orthographe) sur une page électronique ou sur une page de papier, en tête des articles que je rédige ? Si ma photo apparaissait, ce serait sans doute fait, pour ce qui me concerne moi personnellement, par le souci pur et simple de me contempler et de contempler mon visage, avec joie ou avec dégoût, peu importe, et ce serait sans doute un moyen supplémentaire pour le lecteur d’émettre  un jugement plus juste, plus objectif qui soit, sur les caractéristiques physiques de celui qui est le rédacteur de ces lignes, concomitamment à son jugement plus ou moins vrai,  plus ou moins étayé par une lecture approfondie ou superficielle des écrits que son alter ego a produits et produira encore à l’avenir. Cela ne serait pas mal du tout !

 

    Les visages des êtres anonymes que je rencontre nuit et jour dans mes va-et-vient, dans mes incessantes pérégrinations pédestres peuvent m’épargner cette maladresse de me contempler au miroir. Je suis narcissique. Mais en fait qui ne l’est pas ? Tout homme est narcissique plus ou moins. Le narcissisme est la maladie, ou mieux l’anomalie, psychologique la plus commune, la mieux partagée, et ce par analogie au dicton cartésien selon lequel le bon sens est la chose la mieux partagée au monde. Mais seulement, il faut oser le préciser, la contemplation narcissique est l’affaire des êtres de beauté réelle. Oui, les visages que j’épie, matin et soir, peuvent bien me servir de miroirs. Je suis comme ces êtres, me dis-je dans mon for intérieur, rien au monde ne m’éloignera d’eux. Je n’ai nullement besoin d’un miroir artificiel. Le miroir en réalité ne donne qu’une certaine impression : celle de l’identité parfaite des êtres à l’intérieur et à l’extérieur des kaléidoscopes. Pour s’émerveiller l’homme et la femme de beauté parfaite peuvent rester autant que possible devant le miroir. C’est pour savourer leur bonheur, leur don naturel. Evidemment les êtres qui me rendent mon image me sont très chers. J’admire sincèrement toutes celles et tous ceux qui me reflètent fidèlement, qui me renvoient une « copie conforme » de moi-même. Les reflets en question sont en réalité des hommes, des femmes et des adolescents décharnés, visqueux ; mais ce ne sont pas pour autant des êtres haïssables, méprisables. Je peux bien être ce qu’ils sont, je peux bien devenir ce qu’ils deviennent. Ils sont mes reflets. Ils sont créés à mon image, et c’est aussi réciproquement vrai. Je les côtoie nuit et jour. Il se peut que je les contamine ou qu’ils me contaminent. Tout dépend des aléas de la cohabitation ; tout dépend des aléas du travail en commun et du transport en commun. Je n’ai pas la moindre honte de le dire : le transport en commun est toujours source de maladies contagieuses.

 

   J’adore au fond de moi les images disparates, ou plus exactement les images brisées, ou encore mieux les images kaléidoscopiques. La foule des êtres ne renvoie que ce type d’images. Ici les reflets sont inéluctablement partiels, fragmentaires. Mais tout élément d’un corps organique reçoit dûment l’assurance d’être filmé. Voila la raison suffisante de ma prédilection. La foule reflète l’aspect des êtres vivants mieux que les ruisseaux translucides et les claires fontaines. Les corps desséchés, les yeux hagards, les visages enlaidis par la chaleur torride, les mains tremblotantes d’épouvante, les jambes courbées comme celles d’Héphaïstos et les ventres creux reflètent parfaitement l’état physiques de mon corps. A  quoi bon de regarder un tas immondice dans un état de putréfaction progressive. Ces hommes de ma chair et de mon sang, si leurs organes vitaux sont mutilés, les miens le sont également. Et je n’ai pas non plus la honte de le dire ou de l’avouer publiquement. J’imagine, avec circonspection d’ailleurs, que les cerveaux, les nôtres propres, et non ceux des autres, seraient eux aussi habités d’immenses couches d’obscurités et de ténèbres. Oui, il faut absolument faire l’impossible afin d’éviter que les image physique et mentale ne soient toutes les deux à la fois peu resplendissantes.   

 

   La virilité de nos hommes, la féminité de nos femmes et la jeunesse de nos adolescents, sont des qualités intrinsèques ayant toutes en commun, sans exception, le modelage préjudiciable par un environnement hostile à la vie et à l’épanouissement des êtres vivants. Même dans un environnement semblable, il faut certes avoir des ambitions. L’ambition reste encore le levier de la vie. Mais il est toujours salutaire de savoir comment mesurer les ambitions à l’aune des possibilités naturelles que le milieu offre.       

 

                                                           Babacar Diop


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