Effleurement des mythes

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  • Article ajouté le : 07 Vendredi, 2014 à 00h04
  • Author: babacar diop

Effleurement des mythes

Si tout n’est pas réel dans les mythes et les légendes, tout n’y est pas irréel sur les plans philosophique et psychologique. Le mythe est certes composé d’éléments imaginaires, mais il a pour socle la réalité concrète. Les questions relatives à l’existence de l’homme constituent le plus gros morceau du tissu mythique. Le recours au mythe est un projet purement herméneutique. L’essentiel ne réside pas dans le contenu du mythe, mais dans son interprétation, dans l’ultime signification qu’il porte. Le mythe comme herméneutique du réel : voila l’essentiel. Il s’agit d’une allégorie d’un réel vécu par des humains. La dialectique de lAufklarung  confirme cet état de fait : « Enlightenment, écrivent Adorno et Horkheimer, has always regarded anthropomorphism, the projection of subjective properties onto nature, as the besis of myth. The supernatural, spirits, and demons, are taken to be reflections of human beings who allow themselves to be frightened by natural phenomena ».(L’Aufklarung, - c’est-à-dire les lumières de la raison- a toujours considéré l’anthropomorphisme, cette projection des caractères subjectifs sur la nature, comme la base du mythe. Les êtres surnaturels, esprits et démons, sont pris pour des reflets des êtres humains qui se laissent effrayer par les phénomènes naturels). Le surnaturel vient donc au secours de l’homme contre les forces déchaînées et implacables de la nature et se tient à coté de lui  dans son combat perpétuel contre la peur même de ces forces.  Les mythes et les légendes participent à la réduction considérable de la crainte des phénomènes naturels dont on ne connaît ni les raisons ni les origines.

   

    En dépit de l’importance grandissante des mythes et des légendes pour l’homme et pour sa vie, lorsque nous les évoquons,  nous ne faisons que de procéder à leur effleurement, voire même à leur caresse. En effet, dans les évocations de quelques mythes de La Grèce antique et ceux de notre environnement géographique et historique immédiat, nous ne sommes pas allés au fond des choses. Dans la majorité des cas, les mythes et les légendes n’ont servi que des cadres ou des prétextes, dans l’élaboration et la formulation d’une série de significations ultimes qui  peuvent aider l’homme des temps modernes à mieux saisir son environnement historique et social. Une autre fonction de l’univers mythologique est d’indiquer qu’il n’y a rien de nouveau, ni sous notre soleil ni sur notre terre, et que tout phénomène sociologique pour ne pas dire simplement social est connu dans les communautés antiques et archaïques. Dans ce sens Ares, Dionysos et Aphrodite ont particulièrement retenu notre attention. Ares, d’abord, fausse divinité grecque de la guerre, du chaos et de l’anarchie que les conflits sanglants n’ont jamais manqué d’occasionner, est le symbole de la violence dans l’histoire, dans toute l’histoire humaine. A cause d’Ares, des actes abominables ont été commis pour des raisons futiles. Des meurtres et des agressions physiques et psychiques multiples, ont été perpétrés sur des individus, simplement pour des raisins ou pour des bananes. Aphrodite ensuite a pris d’autres allures dans les temps modernes ; allures dont on ignorait l’existence chez cette figure emblématique dans l’antiquité, avec l’apparition d’icônes et de symboles féminins de la pure débouche, donc des anti-models érigés modèles. Ce sont les aphrodites qui occupent les devants de la scène médiatique mondiale, sous d’autres couleurs et d’autres appellations : Madonna, Monro, etc. Dionysos enfin, la fausse divinité grecque du vin et des stupéfiants, n’est pas en reste. Les marginaux, les délinquants et les individus et groupes excentriques ont toujours été ses fidèles disciples et ont existé dans toutes les sociétés humaines. Si La Grèce antique les nomme Dionysos, nous, hommes des temps modernes, nous leur donnons d’autres noms. Leur être, tout de même, reste identique.

 

   Toutes ces tendances « martienne », « aphrodisiaque » et « dionysiaque » ainsi que d’autres similaires  sont à stopper,  toutes ces icônes sont à démolir. Tache hardie pour les moralistes, car ces icônes sont des masses colossales qui savent résister aux multiples assauts menés durant les temps historiques. L’unique procédé iconoclaste consiste dans le réarmement moral de la société, en ciblant particulièrement la frange la plus vulnérable sur le plan éthique et psychologique, la jeunesse.

 

   D’autre part, dans notre propre environnement culturel, le symbolisme des mythes et des histoires légendaires est également très accentué. C’est dans ce sens que nous avons pu voir que la temporalité des « Hommes de la caverne » est une loi universelle. L’homme est un être temporel ; il ne peut pas vivre au-delà de son temps. La loi de la temporalité universelle stipule également que l’on doive laisser les morts se reposer là où ils sont dans le monde de l’au-delà. Les hommes morts ne doivent pas intervenir dans la marche et la continuité de la vie des êtres vivants. Les morts meurent avec leurs systèmes d’idées et leurs conceptions du monde. Le temps se charge de pulvériser ces systèmes, de les effriter jusqu’à ce qu’ils deviennent des corps sans vie, pour lesquels ni les corbeaux ni les moutons ne daignent se battre.

 

   Sur le même sillage, la belle odyssée de Joseph dénonce symboliquement la confusion entre le rêve et la réalité. Cette superposition du réel et de l’onirique est un symptôme de la crise des valeurs, qui atteignit son apogée à l’avènement de Moise, dans les cruautés pharaoniques des massacres de bébés, suggérés par des devins et des mages sur la base de simples rêves et fantaisies. L’odyssée de Joseph fustige sans ambages l’habitude que certains individus ont de gérer leur vie sur la base des songes, de la voyance et de la divination. La moralité de cette odyssée va au-delà de cet impératif. Il y a dans cette épopée très mouvementée des signes qui dénotent l’intervention du monde invisible pour corriger et réorienter la vie des hommes. Les ennemis mortels du personnage ne savaient pas qu’en le jetant au fond du puits ils le projetèrent dans la transcendance divine. Les actes qui ont pour mobile une mauvaise intention peuvent produire des effets contraires, non escomptés. Dans l’épistémologie des sciences humaines, il n’est pas exclu que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets.

 

    Ce sont là quelques éléments mythiques auxquels nous avons  recouru pour décrire certaines composantes de notre être social. Cependant, il ne s’est pas agi d’aller très loin dans la description de ces composantes. Il n’a pas été nécessaire de faire plus que d’effleurer les mythes et les légendes, d’aller au-delà de les caresser. L’une des raisons de cette caresse du monde mythique et de son effleurement est la non rentabilité pratique d’une description approfondie des mythes et des légendes.

 

    Une autre raison est que le monde mythique en question est un monde étranger à notre environnement idéologique et religieux. Ainsi toute description poussée peut choquer et heurter non seulement la conscience collective, mais également la conscience du descripteur lui-même, ou au moins le rendre perplexe, et à plus forte raison quand il s’agit de la mythologie des autres peuples.

 

   Les mythes constituent une exposition poétiquement attrayante des passions, des sentiments et des penchants psychologiques chez l’homme. Le mythe reste toujours l’allégorie la plus séduisante du réel. Certainement nous n’irons pas jusqu’à dire, comme Malinovski, que le mythe sauvegarde les principes moraux et les impose, bien qu’il puisse avoir raison dans certaines circonstances, car nous disposons d’autres moyens de préserver et d’enregistrer les normes éthiques et de les faire appliquer. Mais on n’a aucune raison de lui faire des reproches lorsqu’il dit que le mythe offre des règles pratiques à l’usage de l’homme.  

 

   On sait que la création du mythe nécessite une distanciation dans le temps et dans l’espace. En d’autres termes, l’être devenu mythe doit vivre dans un temps qui n’existe plus. L’expression « mythe vivant » relève soit d’une contradiction, soit d’un langage poétique. Un mythe vivant, au sens propre du terme, n’existe pas et n’a jamais existé. Le sujet mythique et légendaire est déjà trépassé. Le mythe est nécessairement une réalité lointaine. Il est être parfait. On ne peut le côtoyer et vivre avec lui dans le même temps et le même espace. Le personnage mythique doit être conçu comme un être parfait, sans défaut, ni imperfection, doté  de puissances surnaturelles. Les êtres avec qui nous vivons ne sauraient se transmuer en mythes, car ils ne peuvent pas être ni parfaits ni infaillibles à nos yeux. Ils mangent comme nous, ils boivent comme nous et ils polluent l’espace et l’environnement exactement comme nous. Enfin ils procréent comme nous procréons.

 

   La vivacité d’un mythe est proportionnelle à sa distanciation spatio-temporelle. En d’autres termes, le mythe, s’il dispose d’une valeur symbolique réelle, plus qu’il est distant dans le temps, plus qu’il est vivace, et plus qu’il est vivant. On ne peut pas vivre avec un être dans le même temps et le même espace, en constatant ses imperfections, ses défauts physiques et moraux et en même temps faire de lui un mythe. Voila la raison pour laquelle il nous est difficile voire même impossible de faire de nos contemporains des êtres mythiques acceptés de tous comme tels. Voila pourquoi nos élucubrations, nos tonitruances et nos agitations ont pour source notre volonté puérile de créer des mythes à partir des êtres vivant dans un temps et dans un espace qui nous sont totalement familiers. La familiarité et la proximité réduisent le respect et la révérence voués à l’égard de l’objet. Or, plus que tout autre, le mythe a besoin d’être un objet de la vénération la plus totale.

 

                                              Babacar Diop

 


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