Emblèmes païens

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  • Article ajouté le : 09 Lundi, 2013 à 15h09
  • Author: babacar diop

Emblèmes païens

   Si l’on n’y prend garde, il serait facile de tomber dans le paganisme sans peut-être le savoir. Tenez ! Prononcer la simple phrase : « C’est le mois de Mars » n’est–il pas du chirk (association), dans la mesure où la dite phrase signifie : « C’est le mois du Dieu de la guerre » ? Astakhfirou Lah.. Que Dieu me pardonne.., doit-on dire, en fait, lorsqu’on entend un individu prononcer nonchalamment le mot « Mars » ou d’autres mots de la même famille sémantique. Ce serait une réelle association, un réel péché, voire une hérésie, du point de vue purement monothéiste que de proférer des mots pareils. Cet exemple de Mars n’est pas isolé. Apollo est la divinité qui inspire les poètes et les artistes. Jupiter gère le ciel et les phénomènes célestes, alors que Vénus, à qui est attribué tout produit aphrodisiaque, est la divinité de la procréation.  Même les noms des jours et ceux des mois sont couverts de couleurs païennes. Vendredi est le jour de Vénus. Mardi est le jour de Mars. Quant aux mois de l’année, ils sont également dans le même cas. Si Juillet et Août sont dérivés des noms d’empereurs romains, Janvier, Mars et Avril désignent des divinités gréco-romaines. Mai vient de Maïa, déesse romaine, alors que Juin est le mois consacré à l’honneur de Junon, la Héra de l’empire romain. La chaîne montagneuse qui s’étale le long du littoral méditerranéen reçut le nom d’Atlas, une divinité dont Eschyle parle dans Prométhée enchaîné en ces termes : « C’est Atlas, ce dieu aux forces prodigieuses, qui soutient sur son dos la terre et le pôle céleste ». Notre univers linguistique actuel est vraiment infecté de paganisme.

 

   Telle est la problématique des emblèmes païens qui nous ont envahis de la culture occidentale. La question ne se limite pas au seul champ littéraire. Elle le dépasse largement pour embrasser le domaine scientifique. L’astronome enclin à se comporter conformément à la logique de sa foi monothéiste peut se trouver embarrassé par l’utilisation récurrente et forcée des termes comme : Jupiter, Vénus, Mercure et Saturne. Il n’est pas facile pour un scientifique de s’en sortir lorsqu’il se trouve dans une situation impossible, si inconfortable, si infectée d’idolâtrie.  Mais un pas est déjà franchi avec la substitution de noms dérivés des adjectifs numéraux aux noms des jours d’origine païenne.

 

  La pensée et la culture arabes classiques, depuis le moyen âge, ont pris une position nette sur la question des emblèmes païens. En effet, les hommes de culture arabo-islamique à l’époque médiévale traduisaient systématiquement la quintessence de la pensée et de la philosophie grecques. Mais ils évitaient la tragédie, l’épopée et la poésie de La Grèce antique. La raison de cet évitement est très simple : la littérature grecque antique est remplie de mythes, de légendes et de litanies païens. L’épopée et la tragédie grecques ne pouvaient qu’horrifier un homme de culture et de religion monothéistes. Toute œuvre littéraire grecque contient des implorations adressées aux fausses divinités grecques notamment à Zeus, entant que « dieu des dieux et des hommes, dieu du ciel, des tonnerres et des éléments de la nature ». Il était mis sur le compte de ces êtres imaginaires le contrôle des phénomènes naturels et celui des contenus de la conscience humaine. Toute mise en scène de la tragédie grecque contient inéluctablement un grain d’infidélité à l’esprit pur de la tradition monothéiste. L’accent des tirades prononcées par le personnage du chœur qui est chargé de commenter et d’expliquer les rebondissements du drame dans les pièces d’Eschyle, d’Euripide et de Sophocle est un accent très païen. Les commentaires de l’action dramatique se mêlent toujours de prières et d’implorations.

 

  La littérature arabe au moyen âge ne pouvait logiquement pas inclure une littérature si païenne que celle des grecs. Pour la philosophie grecque, la situation était très différente. Les quelques emblèmes de l’idolâtrie qu’elle pouvait contenir dans les versions arabes peuvent être gommés sans que la quintessence en soit altérée ou défigurée. La culture et la philosophie grecques ont même réalisé des avancées significatives quant au processus de l’arabisation et de l’intégration des noms étrangers dans la langue arabe. Les noms des philosophes comme Aristote, Socrate et Platon deviennent : successivement :Aristo ou Arsatatâlîs, Soukhrâte et Aflâtoûne. Même la philosophie est lexicalement remodelée en Falsafa. Les philosophes sont nommés : falâsifa.  C’est ainsi que la pensée arabo-islamique au moyen âge a pu s’accommoder, sans entrave majeure, à la philosophie grecque, à l’exclusion de la grande littérature épique et dramatique grecque. Voila pourquoi les noms des auteurs : Homère, Eschyle et Sophocle  restaient sans altération lexicale majeure.

 

   La Grèce antique ne se sentait pas embarrassée par  la multiplicité des idoles. Ainsi le contenu de sa culture et de son art ne pouvait pas convenir à l’univers mental du monde arabo-islamique. La pensée philosophique grecque était généralement exemptée des dieux païens. Même lorsqu’elle avait recours aux mythes et aux légendes, il ne s’agissait que d’un effleurement de cet univers imaginaire. Et l’objectif du recours n’était qu’un prolongement herméneutique des idées jugées très abstraites et hors de portée du commun des mortels. Les intellectuels du monde musulman au moyen âge ont donc pris les précautions qu’il fallait pour éviter de tomber sur les écueils auxquels les hommes de notre temps se heurtent.

 

   L’importation massive et tous azimut des produits de l’Occident est le facteur d’infection du monde des concepts qui est rendu flou et inextricable. Le seul remède auquel l’on peut recourir pour édulcorer le goût amer et éloigner l’odeur acre du paganisme linguistique est le postulat selon lequel l’intentionnalité fonde le sens de l’action. En d’autres termes, le sens d’un acte est fondé sur l’intention.

 

     Le monde des concepts est un monde confus. Dans cette perspective, l’usage du mot « Olympe »et de ses nombreuses formes dérivées peut s’avérer problématique. A Athènes, un mont porte ce nom au sommet duquel se trouve le quartier général des divinités grecques. A l’Olympe, ce haut lieu païen, où se déroulaient les olympiades, les athlètes étaient couronnés avec des rameaux d’olivier comme demi-dieux, et à nos jours encore les reporters sportifs les décrivent comme « des dieux de stade », sans que la fibre monothéiste se mette à vibrer. Quoi de plus païen que de suivre la trace olympique ? La perpétuation de la tradition païenne n’est-elle pas un paganisme ?

 

   Les concepts eux-mêmes sont devenus fourre-tout. L’identité entre l’olympisme et l’humanisme n’est qu’une identité hypothétique. Il faut d’abord voir les points sur lesquels les deux concepts se superposent, se croisent, et ensuite voir en quoi l’olympisme serait un humanisme. En effet, ce genre d’affirmations est souvent issu de simples jeux de mots. C’est Sartre qui disait par exemple que l’existentialisme est un humanisme. Et cela reste encore à démontrer. Ce n’est pas évident que tout ce que Sartre dit soit vrai. Si l’humanisme est toujours à la mode, l’existentialisme est aujourd’hui oublié. La philosophie de Sartre et de Heidegger n’est pas seule dans ce cas. La quasi-totalité des grands systèmes philosophiques sont oubliés. Demain une forte tête pourra se réveiller d’un sommeil profond et affirmer, en jurant sur la tête d’un parent, que le fascisme est un humanisme, ou que le racisme est humanisme.. Qui va la contredire, cette forte tête ? Personne ! Les hommes aujourd’hui sont intellectuellement paresseux et n’ont plus ni la force ni l’audace d’argumenter. La contradiction est inutile, la dialectique est une vanité. L’auteur, n’importe lequel, peut, à son aise, affirmer des choses absurdes, sans être inquiet. Récemment  une ministre bien hexagonale est identifiée à une guenon, sans que l’on sache comment, et un nombre indéterminé de citoyens hexagonaux ont largement approuvé cette identification absurde. Certains d’entre nous qui avons la même couleur de peau, les mêmes traits physiques que la victime n’ont eu comme réaction à ces allégations que d’afficher une indifférence totale, ou bien de sourire sous le manteau et de dire tout bas, en mordant leurs lèvres inférieures: « Niaw ! C’est bien fait pour elle ».

 

   Afin d’atténuer la couleur païenne très vive des emblèmes et des symboles, des tentatives sans lendemain ont été initiées. Le défunt guide libyen avait fait des tentatives dans ce sens. Mais il n’avait pas été pris au sérieux. Il était plutôt la risée de tout le monde. Cependant, dans le calendrier républicain français, des noms avaient été avancés. C’est ainsi que l’on rencontre accidentellement dans les œuvres de fiction et de philosophie, mais plus fréquemment dans les livres d’histoire, des mots comme : Brumaire, Thermidor, Germinal etc. Il faut dire que cette fois-ci, contrairement au cas du leader libyen, le calendrier républicain était pris très au sérieux. Car des auteurs mondialement connus ont fait un bon usage des noms de mois du calendrier républicain. Karl Marx a choisi comme titre de l’un de ses livres : Le 18 Brumaire. Emile Zola, le plus grand romancier réaliste français donna à l’une de ses œuvres romanesques le titre de Germinal.

 

   La sortie du dilemme que pose le paganisme linguistique nécessiterait donc la création de nouveaux symboles et de nouveaux emblèmes. Mais cette création n’est- elle pas une chimère, vu la situation de domination et d’hégémonie des langues de ceux qui étaient jadis à l’origine des fausses divinités et de leurs noms ? L’abandon même des emblèmes païens laissera sûrement un vaste abïme difficile à combler, dans le système linguistique mondial.

 

                                              Babacar Diop


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