Idéologies de charme

Blogs
  • Article ajouté le : 12 Dimanche, 2014 à 16h21
  • Author: babacar diop

Idéologies de charme

  Il y a des idéologies qui sont conçues pour charmer les électeurs, et non pour donner une orientation précise et déterminée à l’action politique et sociale. C’est une comédie que de dire qu’il n’y a pas de parti politique sans idéologie. Mais la politique, nonobstant son caractère essentiel, est une comédie; il faut se l’avouer. Certains leaders politiques affichent ces prétentions pour provoquer les intellectuels et ridiculiser l’électorat naïf. Le fruit de la provocation est naturellement l’entêtement suivi de la répression. C’est un spectacle attrayant, dans cette logique horrible, que de réprimer la révolte intellectuelle. Cela est l’une des fonctions multiples des idéologies de charme : contrarier les esprits critiques et envoûter les masses populaires vulnérables,  idéologiquement désarmées et privées de l’outillage mental nécessaire à démasquer leurs fossoyeurs. Voila pourquoi toute idéologie de charme est ipso facto une « idéologie de charpie » : elle n’a pour mission que de fasciner les simples d’esprit et dissimuler les plaies et les abcès de la vie. L’attitude provocatrice est la meilleure stratégie adoptée face aux intellectuels rebelles, tant  qu’ils demeurent réfractaires à l’envoûtement idéologique. Certains auteurs parlent même de l’idéologie comme s’il s’agissait d’une maladie incurable. La critique de l’idéologie ne date pas d’aujourd’hui. Elle est une discipline philosophique classique. Je fais ici une confidence au lecteur : j’envisageais d’abord ces lignes sous le titre : « idéologie de charpie ». Mais j’y ai renoncé, car ce vocable ennobli par le phénomène révolutionnaire, avec toute l’ambiguïté qui l’entoure, ne lui sied pas qu’on lui attache le vocable « charpie » comme complément ou comme terme de précision. Il est quand même auréolé d’une certaine solennité sémantique. Durant les toutes dernières décennies du siècle passé, qui précédèrent l’effondrement du système racial en Afrique du sud, et avant l’accession de la majorité noire au pouvoir, il était très courant de parler de l’Apartheid en tant qu’ « idéologie de charpie » qui, curieusement et en dépit de ses méchancetés, n’a cessé de charmer tout une catégorie d’hommes. C’est là incontestablement une bassesse sémantique en parfait contraste avec cette noblesse d’usage que le mot retrouve dans le titre d’un ouvrage clé de l’histoire de la pensée européenne : « L’idéologie allemande ».

 

   Il y a tout une série de courants idéologiques sans aucun projet de société, qui, tout comme l’Apartheid, n’ont pour finalité que de charmer les masses ou de faire plaisir aux minorités agissantes, afin de mieux les assujettir, et d’isoler davantage les esprits critiques. La tendance idéologique la plus naturelle est orientée vers l’immobilisme et le conservatisme. L’aversion idéologique au changement et à la nouveauté est une bénédiction inespérée pour les pratiques politiques négatives. 

 

   L’idéologue officiel, quand il est atteint de l’aliénation courtisane, ne fait pas cas de l’objectivité, ni dans son propre champ de vision, ni dans celui du courant politique auquel il appartient. En dépit de ses tentatives de séduire ses supérieurs hiérarchiques au sein de la structure partisane, il n’est pas exclu que l’idéologue officiel soit chargé de missions dont nul autre que lui ne veut. Ses ambitions personnelles démesurées l’obligent de se surpasser, et la seule récompense qu’il obtiendrait c’est de n’être assisté que par un agent partisan et courtisan de basse classe, dont la seule présence lui donne une immense fierté, sans se douter une seule fois qu’on se moque de lui. Malheureusement c’est souvent le sort des intellectuels idéologues dans les structures politiques. L’intellectuel idéologue est parfois soupçonné de vouloir garder jalousement sa dignité d’homme et sa personnalité intégrale. Or la cohésion au sein d’un parti politique est largement due à l’énorme capacité de ses leaders d’agir en permanence pour réduire au néant l’expression de la personnalité de ses membres adhérents. C’est l’acceptation volontaire ou involontaire des vérités toutes faites et des postulats arbitraires qui assure la cohésion formelle des formations politiques. Il est vital pour un parti de cette nature  de réduire la personnalité individuelle à son expression minimale, d’éloigner les écarts de toute l’harmonie collective et d’imposer une seule direction à l’action politique. Les orientations idéologiques et philosophiques s’imposent de force même s’il est évident qu’elles ne sont que des vérités caduques et usées, en déphasage complet avec la totalité vitale.

 

   Il est fort possible que les leaders d’un parti politique soient convaincus que leurs idées sont perverties et que leurs thèses sont fausses. Cependant ils ont d’énormes capacités de cacher leurs doutes, de dissimuler leurs illusions et d’afficher ostensiblement leur fidélité absolue à la vérité objective et de revendiquer arbitrairement le monopole de la pertinence. Seulement il faut souligner avec force l’idée selon laquelle la fausseté d’une idéologie reflète une réalité donnée, celle du caractère de laideur que recèlent les structures qui régissent les modes de vie des hommes. L’absurdité ne touche pas isolément une formation politique donnée dans ses orientations et ses choix,  mais aussi le cadre politique et social le plus large. La superstructure idéologique est enlaidie parce que les institutions et les infrastructures de base sont d’abord corrompues.

 

    C’est le temps qui donne naissance à l’idéologie et c’est aussi lui qui peut la ruiner le moment venu. Après avoir été une réalité concrète, le courant idéologique peut devenir un vestige du passé. A ce moment les idéologues peuvent afficher une volonté ridicule et enfantine de résister à l’action corrosive du temps, tout en sachant que le temps n’est plus le leur et qu’une autre tendance est en train de s’imposer. Une attitude pragmatique face à la fuite du temps est celle qui consiste à changer de couleur. Seulement la simple variation des couleurs ne suffit pas pour assurer une réalisation des objectifs fixés. Le changement du décor extérieur ne signifie absolument pas une évolution ou une progression quelconques dans les positions et les attitudes. L’aspect formel est une chose, et l’essence de la réalité en est une autre.

 

    La question de l’idéologie se résume simplement en ce qu’elle peut bien devenir une idéologie de charpie, voire une infection quand elle sert à masquer la laideur de la vie. Vaste champ de perception objective, l’idéologie, détournée de sa fonction primordiale de catalyseuse d’énergies humaines, est susceptible de finir en un champ de ruines, vestiges d’illusions perdues.

 

                                                         Babacar Diop


Cette entrée a été publiée dans Politique. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien. Alerter

Vous pouvez lire aussi

Pèlerin De La Vérité - #1

Définition De Danzau Et North: "ideologies Are The Shared Framework Of Mental Models That Groups Of Individuals Possess That Provide Both An Interprétation Of The Environment And A Prescription As To How That Environment Should Be Structured"

le Dimanche 12 Janvier, 2014 à 19:25:35RépondreAlerter

Pèlerin De La Vérité - #2

Définition De Erikson Et Tedin: "ideology Is A Set Of Beliefs About The Proper Order Of Society And How It Can Be Achieved"

le Dimanche 12 Janvier, 2014 à 19:33:08RépondreAlerter

Pèlerin De La Vérité - #3

Jost And Al: "if One Accepts That Ideology Is Shared, That It Helps To Interpret The Social World, And That It Normatively Specifies Or Requires Good And Proper Ways Of Addressing Life's Problems, Then It Is Easy To See How Ideology Reflects And Reinforces What Psychologists Might Refer To As Relational, Epistemic, And Existential Needs And Motives"

le Dimanche 12 Janvier, 2014 à 20:19:50RépondreAlerter

Prophilo - #4

Pascal Durand: "si L'idéologie, Comme Discours, S'exprime Dans Une Syntaxe (qui Est Celle Du Proverbe, De La Sagesse Des Nations), Elle Mobilise également Tout Un Répertoire De Lieux Communs, D'idées Reçues, De Stéréotypes, De Clichés, Mais Aussi Tout Un Appareil D'automatismes De Pensées Et De Perceptions."

le Lundi 13 Janvier, 2014 à 16:43:25RépondreAlerter

Anonyme - #5

Mallarmé:"l'idéologie Est Un Système De Représentation Symbolique D'un Univers Social Singulier"

le Lundi 13 Janvier, 2014 à 16:49:54RépondreAlerter

Commentez cet article

Pseudo *

Votre commentaire :

Pseudo *

Mon commentaire *