L'ambivalence de l'univers chaotique

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  • Article ajouté le : 08 Mardi, 2013 à 00h50
  • Author: babacar diop

L'ambivalence de l'univers chaotique

    Dans l'espace archaïque, le chaos est ambivalent: il est à la fois positif et négatif; le désordre, de toute évidence, est destructif, mais par la suite constructif si, et seulement si, l'on a pu en tirer les enseignements logiques qu'il faut. Dans tout chaos perçu comme tel, il y a un espoir tacite de reconstruction. L'histoire n'a cessé de montrer et de démontrer qu'à travers le chaos désolant une nation peut être très soudée. Ce qui fera de l'épreuve un douloureux souvenir; le souvenir d'un passé historique marqué de stigmates non cicatrisées, de blessures profondes. Les crises peuvent toujours engendrer des distorsions, des déviations et des réactions spontanées, mais à contrario c'est à travers elles que l'on reconnaît une grande nation. La grandeur d'un peuple se mesure à l'aune des chaos historiques traversés. Le mystère, le secret, le principe de cette capacité de  résistance est l'harmonie des sentiments, l'union des cœurs et la synthèse des volontés communes. En effet la communauté des biens et le rapprochement des identités individuelles et ethniques sont de moindre importance en face de la communauté des volontés. Une nation peut sortir grandie de toute épreuve douloureuse, de tout chaos historique, si elle est soudée, cimentée et animée par les  mêmes sentiments d'appartenance identitaire.

 

   Chez nous une petite étincelle suffit largement pour que la situation politique et sociale s'embrase et que la déchirure réciproque se déclanche. Le péril s'endort, le feu couve et peu de débordement peut l'attiser. La crise de l'eau en est l'illustration la plus proche de nous, la plus récente. Durant cette crise, les scènes populaires, notamment dans les quartiers périphériques des métropoles, où les hommes, les femmes et les jeunes gens s'affrontaient à coups de seaux, faisaient penser à une tragédie totale. Dans ces scènes populaires, des déviations ont été commises: des bouteilles et des bassines d'eau volées, des récipients disparus sans que l'on sache comment, des seaux dérobés… C'étaient des scènes tragi-comiques. Tout objet pouvant servir à se procurer le liquide précieux devenu rare, était bon à emporter, à dérober. Après le passage dans les zones de turbulence, après les orages et la tempête, les uns et les autres n'oseront plus se regarder les yeux dans les yeux, ou pour le moins se regarderont la tête baissée ou les yeux baissés. Ce dont on ne tenait pas compte durant ces événements tragiques c'est que la crise hydraulique, comme tout autre crise de cette nature, ne pouvait pas durer, elle était condamnée à n'être que passagère, provisoire et circonstancielle. C'est cette inadvertance qui est aujourd'hui l'origine de la honte commune.

 

   Peut-être n'est-il pas nécessaire de dramatiser outre mesure les scènes de débordements populaires durant la crise hydraulique récente, dans la mesure où elles relèvent des réflexes et des réactions spontanés dictés particulièrement par des circonstances extérieures contraignantes. Néanmoins ces scènes demeureront des indices de l'armature réelle de notre structure psychique et morale fragile, quoiqu'en disent les moralistes naïfs qui  professent l'idéalisation du chaos, poussés qu'ils sont dans cette impasse par leur optimisme béat. Les scènes engendrées par la crise récente de l'eau donnent une image fidèle de notre univers chaotique. La crise de l'eau restera une blessure profonde à la fois dans notre conscient et dans notre subconscient. Il faut craindre à juste titre que le chaos ne soit pas plus structurel encore, plus profond, plus aigu, s'il se produira à l'avenir. Et il est légitime de s'interroger sur la possibilité ou non d'extraire de toutes ces crises cycliques, des enseignements cruciaux, des plans stratégiques d'action. Notre prédilection va naturellement à la première alternative, étant donné l'ambivalence de l'univers chaotique. Il est certain que des évaluations correctes opérées sur l'évolution de nos conditions de vie matérielles, marquées jusqu'alors par la fragilité et la précarité, pourront nous mettre sur la voie du salut et dans le bon sens de l'histoire.

 

  La pénurie d'eau n'est nullement l'unique crise structurelle que l'histoire récente a enregistrée. En effet, des bouleversements politiques et sociaux ayant lieu dans un passé proche, avaient secoué et même avaient failli balayer tout notre système sociologique qui en avait reçu d'énormes coups, et même la structure étatique avait failli s'écrouler suite à l'assaut des factions rivales oeuvrant inlassablement à visage découvert. Malgré tout, l'institution étatique a pu résister aux menées subversives des groupes excentriques. Seulement des signes avant-coureurs donnent à penser qu'il y a lieu de craindre que la stabilité présente ne soit de courte durée et que la situation politique et sociale ne s'enlise à nouveau dans un univers chaotique subséquent.

 

    Pourtant nous nous targuions de la fiabilité et de la solidité légendaire de ce système. Malheureusement le cours des événements et le sens de l'histoire n'ont pas donné raison à cette position erronée. Si l'on n'y prend pas garde notre système social pourra bien connaître les malheurs que tout autre système du même type a connus dans  son évolution historique moderne.

 

   Toutefois, un monde organique était-il né des  décombres sociopolitiques en question. Cependant une bonne pratique politique soutenue par une conception correcte des choses,  pourra en assurer la continuité. Ainsi c'est toujours ce rapport dialectique entre le positif et le négatif qui est à l'œuvre dans l'ambivalence du monde chaotique. Le chaos est négatif, on n'en disconvient pas, mais il peut servir de tremplin à l'action d'édification et de reconstruction. Cela est dicté par les nécessités vitales. Nul homme ne saurait accepter et souffrir que sa propre vie s'installe en permanence dans le désordre. L'homme est obligé d'œuvrer d'arrache pied, afin de sortir sa vie du merdier et de l'anarchie.

 

   Arracher son peuple aux griffes du néant; bâtir du solide sur des ruines et des décombres; réorganiser le monde chaotique: voila l'activité politique la plus essentielle de l'homme de notre temps et de notre espace.                    

                                               Babacar Diop


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