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   Où va l'âme du toubab (l'homme blanc)?

A à l'enfer? Au diable? Ailleurs? Qui sait?

   Je me tenais ce jour-là debout, mes doigts crispés, agrippés sur les poignets, à l'intérieur du bus et j'apercevais au fond un individu qui tenait entre les main un journal dont une page intérieure portait ce titre qui attira soudain mon regard: "Où va l'âme du toubab" ? Que non! Je n'étais pas sûr que ce fût une phrase interrogative ou affirmative. Je n'étais sûr de rien. Que sais-je? Quand même, me disais-je, sur certains sujets la certitude et l'incertitude se valent, sans que cela soit un penchant de ma part pour le scepticisme: dans cette vie il faut à l'homme du courage et des idées sures. Et j'en avais une ce jour-là: il s'agissait pour la rédaction du journal d'un fait divers parmi tant d'autres dont le pays ne manquera jamais tant qu'il y a la vie sur cette terre. L'homme blanc était au cœur de l'affaire. Mais il s'agissait d'un homme blanc précis en chair, en os et en sang, occupant sa place dans le temps et dans l'espace. Ce n'était pas un homme blanc générique, flou et ambigu comme le mien.

   Quel sort réserver à l'homme blanc? Où ira son âme après sa vie sur terre? Le diable et l'enfer sont un même destin. Le destin final du diable est connu. C'est l'abîme sans fin ni fond de l'enfer. C'est la chute vertigineuse dans les gouffres enflammés. Où va donc l'âme errante de l'homme blanc?

   Bien entendu dans notre conscience morale, dans nos croyances, la couleur de la peau n'a aucune valeur réelle. Tout compte fait nous ne sommes pas racistes et nous ne pouvons pas l'être, car de nature notre racisme ne saurait être sérieux. Néanmoins il arrive que l'on confonde  sentiments racistes et sentiments xénophobes. Encore qu'ici dans le champ psychologique tout est relatif. Chez l'homme il est toujours loisible de déceler un petit grain de racisme. C'est l'instinct de la conservation de soi qui le nécessite. Ce sont nos relations historiques mouvementées avec l'homme blanc depuis les temps immémoriaux, qui font que notre racisme ne peut que se faire ridiculiser. La supériorité de la race fonde le sentiment raciste. Or qu'est-ce qui justifie ce maudit sentiment? Même le racisme anti-raciste, ou comme  on l'appelle parfois, le racisme à rebours, est une réaction ridicule, enfantine aux yeux de la race blanche.

   S'il est souhaitable que l'âme damnée de l'homme blanc aille au diable c'est qu'elle a fait des malheurs.

   En effet c'est bien lui l'homme blanc qui, jadis, a érigé l'esclavage en système économique, dont a souffert une bonne partie de l'Humanité, une partie tenant le rôle des bêtes et des machines, principaux outils de production, et vendue comme simple marchandise à valeur d'usage et aussi à valeur d'échange.

   C'est l'homme blanc qui colonisait les terres de ses semblables vivant sous d'autres cieux, à la poursuite de buts non avoués, prétendant allumer la lumière de la raison sur les terres conquises où régnaient les ténèbres. Si une résistance à sa volonté apparaît à l'horizon, la seule réaction qu'il connaît est la répression la plus sanglante et n'hésite pas à tenir la résistance pour responsable de ses crimes propres; une résistance prise au piège de sa force de frappe mortelle.

   C'est l'homme blanc qui a conçu les armes à feu et les armes de destruction massive qui, en un seul geste du doigt, peuvent pulvériser des contrées entières. C'est lui qui a mis au point l'armement biologique, chimique et j'en passe. Ne me dis pas que c'est du progrès scientifique, que c'est du génie inventif et que rien au monde ne justifie la thèse du crime et du péché. Allons donc.. Einstein était un homme blanc qui a eu le mérite de concevoir la théorie de la relativité générale, mais qui a péché pour avoir dérivé de ses applications pratiques la fabrication de la bombe atomique. Sans le génie du physicien blanc ni Hiroshima ni Nagasaki ne seraient rayés de la carte, comme le furent jadis Sodome et Gomorrhe, deux cités pécheresses antiques. Les hommes des deux noms antinomiques et leurs admirateurs  aux quatre coins du monde, qu'attendent-ils donc pour méditer le sort fatal des villes maudites?

   C'est l'homme blanc qui tournait et tourne encore en dérision les consciences et les valeurs transcendantales, rien que pour rouler dans la farine les sujets afin de les   exploiter, les polluer.

   Le génie de l'homme blanc a raccourci la longueur du temps, il a rétréci la vastitude de l'espace et a dissipé les ténèbres nocturnes. Les fabriques gigantesques tournent en vitesse et produisent des biens commodes d'une importance primordiale pour l'Humanité tout entière. Toutefois l'un des dommages collatéraux est-t-il la naissance de classes marginales et souillées au service d'une minorité aisée.

   C'est l'homme blanc qui a mis en circulation des objets de bonne qualité et d'autres objets de mauvaise qualité. Il aime jouer avec le vrai et le faux et n'hésite pas à procéder au mélange de genres, si ce procédé lui donne un malin plaisir. Même cet outil dont j'use présentement, l'écriture qui me lie à mon alter ego, le lecteur, est une création de l'homme blanc. Un outil de merveille, mais un couteau à double tranchant, exactement à l'instar de la toile d'araignée globalisée.

   Où va donc l'âme damnée de l'homme blanc ?

Au diable? A l'enfer? A la zone tampon, à la no man's land, cette bande mince de l'espace qui séparera les bienheureux des maudits?

  Dieu Seul sait.   

                                                  Babacar Diop