L’âme de la religion grecque à l’aune du Coran (4)

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  • Article ajouté le : 30 Mercredi, 2014 à 21h36
  • Author: babacar diop

L’âme de la religion grecque à l’aune du Coran (4)

(Quatrième et dernière partie)

 

Platon : prophète ou sage ?

 

   La religion grecque était incontestablementpolythéiste. Or une religion païenne ou polythéiste n’est pas de nature àproduire un prophète pour des raisons que d’éminents hellénistes ont précisées,et dont nous ne retiendrons que quelques unes qui, d’ailleurs, accentuentd’avantage les écarts entre la culture religieuse grecque d’une part, et lesreligions monothéistes, notamment celle du Coran, de l’autre.

 

   Parmi les Grecs il n’y avait ni caste niclasse de prêtres ni a fortiori desérudits savants qui se consacraient exclusivement au service liturgique. Cefait seul, selon l’helléniste anglais Charles Seltman dans son bel ouvrage quiporte le titre : The Twelve Olympians, est d’uneimportance capitale qui conditionne les autres raisons distinctives. Un autretrait de caractère chez les Grecs est qu’ils ne se soumettaient pas et n’obéissaientpas non plus à une autre personne qui leur servirait de guide, la communautédes croyants et des fidèles étant censée ignorer les normes du rite. Ensuite,il est à noter que la religion grecque ne possédait pas de dogme. L’homme grecétait disposé à abandonner ses propres dogmes, s’il y en avait, pour embrasserles croyances étrangères à la mode. Ces dernières ont eu de fortes chancesd’obtenir « une attestation de naturalisation », selonl’expression de Seltman qui dit que       « Religious particularism was not a possibility for civilised Greeks ».(Le particularisme religieux n’était pas une possibilité pour les grecscivilisés). Une autre raison est l’absence de prophètes en mission sur terre,ce fait à lui seul, est largement suffisant pour être convaincu del’impossibilité pour Platon ou pour tout autre penseur grec de son genre d’êtreprophète. Pas de dogme ; pas de mission ; donc pas de martyre. On apu mesurer l’importance capitale que revêt le concept de martyre dans le Coranpour le triomphe duquel des précurseurs persécutés ont sacrifié leur vie. Uneautre différence de taille est l’absence d’un livre sacré ou révélé. Lareligion grecque, selon Seltman, se nourrissait des légendes locales, de latradition ancestrale et des textes de louange païens, qui étaient désespérémentcontradictoires. Enfin, le système religieux grec ne s’occupait pas de lanotion de péché qu’il assimilait à l’erreur de jugement et qui risque de seproduire très fréquemment, tant qu’il n’y a pas un Maître éclairé qui peutguider les pas des fidèles sur le droit chemin.

 

   Sur labase de ces raisons, la religion grecque ne pouvait pas s’accommoder d’unprophète. La place des prophètes était, d’ailleurs, occupée par des poètesinvestis d’une certaine autorité morale et religieuse. Platon une fois encoren’a aucune place parmi les prophètes de la religion abrahamique. De plus, neperdons pas de mémoire que pour Platon, c’est une rude tâche que de trouver uncréateur de l’univers et que même si on le trouvait ce serait impossible de ledéclarer aux hommes.

 

   De Bertrand Russell à Karl Jaspers, les opinionssur Platon sont identiques. Russell parle de la cosmogonie de Platon en laqualifiant de « silly » (stupide).L’œuvre de Platon est loin d’être exempte de polythéisme païen, il est hors dequestion qu’il soit tenu pour prophète, car il use indifféremment dans sesécrits de mot « dieu » au singulier comme au pluriel, croyant qu’ilétait en la pluralité des divinités personnelles. Pour Platon, comme pour lesautres grecs, l’antinomie entre monothéisme et polythéisme est d’importanceminimale. Cela dit, aucun philosophe, aucun poète dela Grèce n’avait senti lebesoin de rompre avec cette religion homérique pervertie, et pourtant pour lesgrecs eux-mêmes, la théologie d’Homère était soit enfantine soit immorale. Platon parle de Zeusen ces termes : « Now Zeus, thecaptain in heaven, driving a winged chariot, moves first upon his way,disposing and ordering all things under his care. After him comes a host ofgods and spirits, arrayed in elevenbands ». (Alors Zeus, lecapitaine dans les Cieux, conduisant un chariot ailé poursuit d’abord sonchemin, mettant et ordonnant toutes choses sous ses hospices. A sa suite, vientun hôte des dieux et des esprits déployés en petits groupes). Celui quis’exprime en ces termes peut-il être considéré comme prophète d’une religionmonothéiste ? Nulle part dans ses écrits Platon n’a revendiqué d’êtreprophète. Il refusait même d’être philosophe, tout comme Kant ultérieurementl’avait refusé. Platon n’était prophète et il était très sage pour vouloirs’attribuer un tel titre. Selon Russell, Platon dit que tout n’est pas créé parDieu, et Il n’a créé que le bien, c’est-à-dire le plaisant. Russell tire decette pensée platonicienne la conséquence selon laquelle la multiplicité dumonde sensible a une autre source que divine.

 

   Pour mettre en relief la stupidité partiellede la pensée de Platon, Russell donne un compte rendu très bouffon de laconception platonicienne curieuse de l’âme et de son destin. L’âme d’unphilosophe libéré des contraintes corporelles partira après la mort vers lemonde invisible, pour vivre dans la bénédiction, en compagnie des dieux. Mais l’âmesouillée qui n’a aimé que le corps, sera un fantôme dans la hantise d’un sépulcre,ou elle entrera dans le corps d’un animal tel qu’un âne, un loup ou un aigle,suivant son caractère. Un homme vertueux qui n’était pas philosophe, deviendraune abeille, une fourmi ou un autre animal qui vit en société organisée. C’estdans ce sens précis qu’il est rapporté du philosophe présocratique, Pythagore,qu’il se souvenait d’avoir été un cochon. Russell commente en disant que  seul le philosophe part pour le Ciel après lamort. Ces faits fictifs produits de l’imaginaire poétique sont quelques unesdes rasons qui ont conduit Jaspers à dire que Platon était aussi un poète. Oron connaît la position du Coran face à la pratique poétique païenne. Pour toutdire, Platon n’était absolument pas un prophète, mais un sage.

 

   La sagesse de Platon était légendaire ets’exprimait sur une multitude de sujets aussi vastes que la logique, la politique,la physique, la cosmogonie et les questions relatives à l’expérience humaine.Platon était politiquement sage et certains hommes de pouvoir ont tenté demettre en pratique sa sagesse politique. Platon, selon Jaspers, a su unir sapensée à l’existence historique et concrète. L’œuvre de Platon est une totalitécohérente et homogène. L’admiration de Jaspers pour Platon va jusqu’à dire que riendans l’œuvre de Platon ne peut être négligé comme non important, tout a un sensdans le contexte de la communication philosophique. De nombreuses études ontconfirmé l’idée que la pensée de Platon a fixé la philosophie occidentale surses bases définitives. Sa sagesse pratique a une multitude d’illustrations. Ilpensait par exemple que l’individu ne peut pas se suffire à lui seul ; ila besoin de l’aide des autres pour survivre. Ces mots sont de Russell:« Plato thinks that a man could liveon very little money if his wantswere reduced to a minimum ». (Platonpense qu’un home pourrait vivre avec très peu de monnaie si ses désirs étaientréduits à un minimum). Ces paroles sages ne représentent qu’une goutte d’eaudans un vaste océan. Nul autre que Jaspers n’a mieux précisé la place qu’occupe Platon dans la penséeoccidentale. « Despite the Romantic longingwith which one may look back at this lostworld of primordial revelation, écrit Jaspers, one may well utter a sigh of relief on coming to Plato from pre-Socratics ».(En dépit de la nostalgie romantique aveclaquelle l’on tourne le regard en arrière vers ce monde perdu de la révélationprimordiale, on doit bien faire un ouf de soulagement en venant desprésocratiques vers Platon). Platon a donc affranchi la pensée sage de ses élucubrationsd’antan. Jaspers va plus loin dans son Introduction à la philosophie :« Platon, dit-il, a gravi le sommet au-dessus duquel la penséehumaine ne peut plus s’élever ». Voila Platon ! Voila lesage ! 

 

   Platon jouit d’une estime considérable grâceà la liberté de sa pensée totalement affranchie de la docilité doctrinale, unepensée dotée de concrétude historique, sans que cela signifie qu’il fût unprophète, mais simplement un sage.

 

   Pour conclure, il faut dire que c’est ici danscette logique oppositionnelle que le dicton : « Comparaison n’est pasraison » se vérifie plus que partout ailleurs. L’esprit du Coran s’opposeradicalement à l’âme de la culture grecque et ne peut pas s’en inspirer. Si leCoran et la religion qu’il structure sont une totalité divine cohérente, lamythologie grecque est une création poétique. Les idées religieuses à la modedansla Grèceantique, de l’avis des spécialistes, n’ont reçu aucune visibilité, aucunelisibilité. Même s’il y a une expression claire d’une idée, elle se trouve,pour certains hellénistes, incohérente. L’anthropomorphisme a assombri le cielmythologique grec. Le processus parallèle fut la déification non seulement deséléments naturels, mais aussi des abstractions et des contenus de consciencehumaine.

 

    Même le hasard a été divinisé et suite à cettedéification la théorie est formulée selon laquelle la création du monde n’arésulté d’aucun dessein. Homère lui-même n’a rien dit ni sur l’art liturgiqueni sur l’art funéraire qui est l’ultime exercice d’expression religieuse. De surcroît,après Platon le concept même de divinité est réduit à l’activité du purintellect. Ici dans ce monde, tout est imprécis. Même les vocables :déité, divinité, Ciel ne renvoient pas à des référents précis, concrets.  

 

    Nous nous sommes longuement appesanti surl’anthropomorphisme. Mais il faut ajouter, pour assombrir davantage le tableau,qu’il y avait des divinités occasionnelles dont l’existence éphémère dépendaitd’une fonction temporaire. Plus encore, des divinités sont configurées sous desformes humaines avec des ailes; à quoi s’ajoute la déification des démons, deshéros et des âmes des races anciennes. Le culte des morts n’a disparu du mondegrec qu’avec l’implantation du culte homérique fortement hiérarchisé. Lesfantômes n’étaient pas en reste. Aux morts et aux fantômes l’homme grecdemandait « la répétition des faveurs reçues ». Le dépit d’unedivinité traduisait son impuissance d’arracher les siens aux griffes de lamort. Tout est sombre dans ce monde antique, tout y est confus, chaotique. LeCoran, dans son inimitabilité divine, intransigeant sur l’idéal monothéiste, nepeut pas s’inspirer de cet univers vidé de tout référent divin concret.    

 

   En débattant du thème de l’âme de lareligion et de la culture grecques, mesurée selon les critères du Coran, nousavons tenté d’élever le débat au-dessus du bas niveau des questions formelles,où certains auteurs ont voulu le situer. Nous sommes convaincu que ce ne sontpas des éléments anodins d’intertextualité lexicale qui constitueraientl’essence de ce rapport problématique. C’est dans l’objectif de dépasserlargement ce stade inférieur que nous avons opposé le Coran à la culturegrecque sur des points névralgiques qui sont des pans entiers de la structuredu monde mythologique grec. La conséquence que nous avons tirée des thèses decet essai, pour autant que les postulats de base et les prémisses sontacceptés, est que le Coran d’une part et la culture et la religion grecques del’autre se trouvent dans une logique implacable d’antinomie structurelle sur toutesles questions de dogme, de croyance et de corpus.

 

   Le débat en question est très sérieux etdoit toujours le rester. Il est inacceptable qu’il soit placé uniquement sousle signe de questions formelles. C’est un débat de fond et non de forme. Nous ysommes engagé avec nos lecteurs qui, il faut se l’avouer, pourraient être gênéspar certaines descriptions du monde mythologique grec. Qu’ils veuillent biennous en excuser. Dans certaines phases du processus  de l’argumentation, les descriptions sontindispensables. Notre intention est de rehausser le débat à un niveau intellectuelque nous jugeons lui convenir. Si le lecteur éprouve le sentiment d’êtreembarqué dans une problématique de fond et non de forme, relative à cettelogique antithétique du Coran et de la culture grecque, alors nous estimons quenotre pari est largement gagné.

                                                          (Fin)

 

                                                      Babacar Diop

     

 


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Babacardiop327 - #1

Les Première, Deuxième Et Trposième Parties Sont Publiées Dans Seneweb

le Mercredi 30 Juillet, 2014 à 21:43:41RépondreAlerter

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