L’âme de la religion grecque à l’aune du Coran ( toutes parties réunies)

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  • Article ajouté le : 07 Jeudi, 2014 à 10h33
  • Author: babacar diop

L’âme de la religion grecque à l’aune du Coran ( toutes parties réunies)

    Mesurer l’âme de la culture et de la religiongrecques à l’aune du Coran est un procédé méthodologique bien distinct, biendéterminé. Un autre procédé opposé consiste à juger l’esprit de la culturemonothéiste à l’aune de la culture grecque. Les résultats auxquels aboutiraientles deux procédés sont a prioriidentiques, tant que les deux systèmes présentent des caractéristiquesnettement contradictoires. Les résultats en question se ramènent à une simple antinomiestructurelle entre le Coran d’une part,  et la culture et la religion grecques del’autre, évidemment à condition que l’objectivité d’une étude comparative soitstrictement garantie, et qu’une déduction hâtive ne produise pas desconclusions erronées. Le cas de déduction de données fictives est bienenvisageable pour une problématique que voila, mais son évitement est possible,voire même aisé, si les deux termes de l’équation, ou plus précisément, del’inéquation s’opposent catégoriquement.

 

    Notrepostulat épistémologique de base est certes l’appréciation de la religiongrecque à l’aune du texte fondateur de la religion monothéiste la plusauthentique de l’histoire, mais les conclusions auxquelles aboutira l’analyseseraient identiques si l’on adoptait le cheminement inverse, à savoirl’appréciation de l’essence du Coran à l’aune de la culture grecque. Il n’y apas de commune mesure. Il ne peut pas y avoir une identité ni totale nipartielle entre le Coran et la culture grecque. Il faut souligner d’amblée quepourLa Grèceantique toute distinction entre culture et religion est purement superficielle,purement dogmatique. La religion et la culture grecques ont toutes les deuxsuivi une évolution parallèle dès l’aube de l’Humanité historique grecque.Voila pourquoi la pensée des philosophes présocratiques, comme d’ailleurs celledes post-socratiques, est toujours profondément infestée de relents païens.Dans l’esprit des grecs il n’a jamais eu de séparation entre culture etreligion. Ce à quoi l’analyse pourrait aboutir ne saurait être qu’une collisionstructurelle, voire même un heurt violent entre les données immédiates del’enseignement monothéiste du Coran d’une part, et celles de la culture grecqued’autre part.

 

 

L’illettrisme

 

   S’agissant des heurts et collisions, il fautnoter que c’est la conscience même de celui qui mène l’enquête qui en serait lethéâtre primordial. Le seul et unique fait qui peut ne pas le choquer est cettepossibilité anodine pour l’illettrisme inné de produire un corpus littéraire detrès haute facture. En effet, que l’illettré soit performent dans la sphère dela production littéraire, profane ou liturgique, se trouve dans toutes lescultures universelles. Dans la production littéraire classique, l’illettrismen’a jamais été un obstacle à faire des merveilles. Homère était un aveugle né,donc il ne savait ni lire ni écrire. Cependant l’épopée homérique est toujoursrestée et restera pour l’éternité le monument historique à nul autre pareil,inégalable dans toute la culture occidentale. D’ailleurs dans ce domaine demerveilles esthétiques produites par de superbes intelligences illettrées, lalittérature arabe classique n’est surpassée par aucune autre. En effet le doyenincontesté de la littérature arabe contemporaine, le célèbre critique,historien, et auteur du fameux roman autobiographique : Lesjours, Taha Hussein, était un aveugle qui ne lisait pas et n’écrivaitpas non plus. Cette personnalité unique au Monde Arabe n’avait que des scribesauxquels il dictait ses célèbres textes.

 

   En dépit de ce handicap majeur qu’est lacécité, avec son corollaire : l’illettrisme, l’œuvre épique homérique estsurtout la principale source de la pensée religieuse grecque. La placeprépondérante qui, dans le système religieux grec, revenait aux concepts deprocréation, de mort et de vie d’outre-tombe, ne fut révélée que par des poètesgrecs. La théologie grecque n’a été formulée ni par des prophètes, ni par desprêtres, mais par de simples artistes, par des poètes et des philosophes. Cette idée est del’auteur anglais Cornford qui, dans son ouvrage: Greek religious thought,écrit : « Her we touch a fact of central importance – that Greektheology was formulated not by priests nor even by prophets, but by artists,poets and philosophers.. One consequence was that the conception of deity couldbe dissociated from cult and enlarged to include beings and things which no oneever dreamed of connecting with theobligation of worship ». (Icinous touchons à un fait d’une importance centrale, à savoir que la théologiegrecque n’était formulée ni par des prêtres, ni même par des prophètes, maispar des artistes, des poètes et des philosophes.. La conséquence en était quela conception de la déité était dissociée du culte et élargie pour inclure desêtres et des choses dont nul n’a jamais rêvé qu’ils seraient connectés auxobligations de culte). Que la poésie soit une source de textes liturgiques, unesource d’inspiration pour la pensée religieuse : voila ce que rejette leCoran de la manière la plus absolue. Si la poésie épique et tragique occupaitune place de choix dans la mythologie grecque, la logique du Coran, quant àelle, n’y voit qu’une simple nébuleuse de contes de fées, qu’un universféerique habité par des êtres imaginaires. L’art poétique décadent, depuis ledébut de l’ère antéislamique, n’a été pour l’essentiel qu’un outil defabrication de futilités, de mondes obscures et de vérités usées. L’aversion etle dédain coraniques pour l’art poétique païen décadent se justifient par lescaractéristiques intrinsèques de ce dernier qui prônait les valeurs de l’orgueiltribal, de la haine, de criminalité et de la débauche. En un mot, les poètes àl’époque antéislamique étaient, dans leur majorité écrasante, des avocats dudiable. L’unique aspect esthétique humanisable, mais corrompu en fin de compte,dans l’art poétique de l’époque, était la peinture des sentiments dégradés etignobles. Cette position unique dans l’histoire des religions abrahamiques nedécoule pas tant d’une réaction aux accusations non fondées dont le Prophèteétait victime que d’une conception bien déterminée de l’art poétique. La fonctiondu poète n’est pas la création de mythes et de mondes mythiques ou la transfigurationdes qualités vertueuses en leurs contraires. La mission du poète n’est pas nonplus l’éloge des brigands et des bandits de grands chemins, mais la défense descauses justes et nobles. La poésie ne vise pas à la propagation des valeursobscurantistes, mais à la vulgarisation des valeurs hautement divines ethumaines. La fonction poétique n’est pas de faire d’un bourreau une victime innocente,d’un agresseur un vaillant guerrier. Or la poésie était si profondémententachée de fourberie et de criminalité que le seul moyen de la débarrasser deces aspects dégradants fut de la nier en bloc avant de la réhabiliter par lasuite avec un langage et un contenu nouveau plus adaptés à la situation del’époque. Une nouvelle mission lui a été assignée. Le rejet total fut doncindispensable, afin de réformer l’art poétique de l’époque. Il arrive que ladestruction totale d’un système corrompu soit la seule voie de salut.

 

   Cetraitement de choc magistralement administré à la corruption poétique est l’undes points sur lesquels le Coran s’oppose radicalement à la culture grecque. Sila poésie notamment épique et dramatique était une source capitale d’oùs’alimentaient la pensée religieuse et la liturgie en Grèce antique, l’artpoétique païen était l’objet de rejet total de la part du texte fondateur de lareligion musulmane. C’est donc là un aspect de la collision entre les deuxsystèmes. La conclusion que l’on peut tirer de cette antinomie est que si lapoésie est la principale source des principes fondamentaux de la mythologiegrecque, le Coran, de par son rejet catégorique de la poésie païenne, ne peuts’inspirer de la culture et de la religion grecques.

 

   D’autre part, la conception coranique del’illettrisme est très originale. Le Coran, et l’évolution historique de lalittérature arabe lui a largement donné raison, ne conçoit pas l’illettrismecomme une entrave majeure à la production de corpus littéraires de haut niveau.Un prophète est bien habilité à produire un corpus merveilleux, d’une manièreou d’une autre, sans savoir ni lire ni écrire.          

                                                                  

  

                                                   

 

Lamise au ban de la poésie

 

   Lelecteur averti ne serait pas surpris de cette attitude de rejet catégorique duCoran, dont le genre poétique païen fait l’objet. Déjà avant plusieurs siècles,Platon a éjecté de sa cité idéale les poètes. Il est évident que cebannissement de la poésie et des poètes par Platon n’est pas dicté par lesmêmes raisons que le Coran. En effet l’art poétique pour Platon est un art du« simulacre ». La poésie, selon le philosophe grec, est une imitationtrompeuse de l’objet. Elle n’atteint jamais la vérité. N’étant qu’un artd’ornement, la poésie décadente inspire la faiblesse à l’âme humaine. Il fautpréciser également que l’objectif visé par Platon dans la mise au ban de lapoésie est la restauration du règne et de l’autorité de la raison, bien qu’ilne soit pas évident que le rejet platonicien de la fantaisie poétique estsuffisant pour que la raison règne en maîtresse absolue sur la totalité del’espace épistémique humain. Même si c’était le cas, ce serait un objectif bienlimité, bien fragmentaire. S’ajoute à cela un fait d’une importancecapitale : c’est que la restauration de l’autorité et du règne de la raisonpeut produire des effets malencontreux , voire même catastrophiques nonseulement pour l’homme lui-même, mais aussi pour son environnement, « ladialectique de la raison » en est l’illustration la plus parfaite. Il esthors de question de se plier à toute sorte d’assertion, chaque fois que laraison y est évoquée. La raison conçue isolément des valeurs éthiques, del’idée d’équilibre et du principe de bonheur, peut s’avérer destructrice. Ladialectique de la raison résulte d’un long processus annoncé par l’Odysséed’Homère, amorcée parLa Renaissance et aboutit à cette maudite rationalitétechnologique qui a réduit l’homme à la servitude et à l’aliénation qui ontlargement dégradé la vie et l’environnement à tel point que la vie esthypothéquée plus que jamais, alors qu’au début de ce processus derationalisation de la vie l’optimisme était partout de mise. Le processus ayantabouti à ce phénomène, est amplement décrit par Rousseau et notamment parAdorno et Horkheimer dans leur best-seller,La Dialectique del’Aufklarung.

 

  Le Coran dans sa logiqueinterne va bien au-delà de ces limites. Le bannissement de l’art poétique païenest l’aboutissement de la lutte contre la débauche, l’agressivité, lebanditisme trans-saharien et le tribalisme dansla Péninsule arabique.

 

   Il ne peut pas y avoir de commune mesure nonplus sur ce point où précisément le rejet n’est pas l’élément déterminant dansla situation antithétique. Des sujets opposés peuvent rejeter le même objetnégatif, mais les raisons n’étant pas identiques, aucune commune mesure nerattache les diverses positions  les unesaux autres.

 

   S’agissant des similitudes formelles, ilfaut absolument être circonspect. Selon l’éminent helléniste britannique,Jonathan Barnes, des philosophes présocratiques ont séjourné en Egypte etailleurs au Proche-Orient, et sont revenus en Grèce avec de la philosophie. Ilest bien possible de supposer qu’il y ait un contact intellectuel direct entreles grecs d’une part et leurs voisins du Moyen-Orient d’autre part. Mais, seloncet auteur, il est difficile de trouver un seul cas d’influence évident. Barnes, dans sonouvrage intitulé: Early Greek Philosophy, va plus loin, en écrivant: « It should be said that where some scholarssee striking parallels between a Greek and an eastern text, others see no morethan superficial coincidence ». (Ilserait affirmé que là où des spécialistes perçoivent un parallélisme frappantentre un texte grec et un texte oriental, d’autres ne voient pas plus qu’unecoïncidence superficielle).

 

  Reste donc infondée, même sur le planpurement théorique, l’assertion selon laquelle un texte coranique serait unecopie d’un texte grec retrouvé en Egypte ou en un autre endroit duMoyen-Orient. Seule une déduction hâtive en besogne, basée sur des prémisses etdes postulats faux au départ, puisse affirmer une idée incohérente pareille. Sil’idée de conformité accidentelle est improbable même entre différents textesprofanes, alors comment envisager l’idée absurde de parallélisme possible entredeux corpus liturgiques appartenant, chacun de son coté, à deux registres quetoute composante oppose diamétralement, l’un étant abrahamique et monothéisted’une part, l’autre étant païen et polythéiste de l’autre.      

 

 

      

L’anthropomorphisme

 

   L’anthropomorphisme des divinités grecqueset ses multiples implications dans la pratique cultuelle en Grèce antique restele point névralgique sur lequel se cristallisent les antagonismes les plusexacerbés entre le Coran d’une part, et la religion et la culture grecques d’autrepart. 

 

     L’anthropomorphisme consiste à donner uneforme humaine à des êtres qui ne sont pas des hommes, notamment aux êtressurnaturels, et ce, à la fois, dans leur existence physique, dans  leurs divers sentiments, dans leurs volontés,voire même leurs caprices. En un mot, l’anthropomorphisme attribue à la déiténon seulement un corps et une membrure corporelle, mais également les nombreuxcontenus de la conscience de l’être humain. 

 

   Si nous avons dit précédemment que lareligion du Coran est, sans conteste, la religion monothéiste la plusauthentique que l’Histoire ait jamais connue, ce n’est nullement par excès dezèle ou par prosélytisme de notre part que nous formulons cette thèse. Le Coranest incontestablement l’écriture céleste totalement monothéiste à cause de saposition ferme et radicale face à l’anthropomorphisme. Les types de monothéismepervertis enregistrés ça et là dans l’histoire des religions le sont à cause deleur contact direct ou indirect avecla Grèce païenne. C’est ainsi qu’ils ont étéfortement contaminés par les croyances anthropomorphiques dans la culturegrecque. Le Coran, quant à lui, ne serait-ce qu’au niveau de son historicité,reste toujours fidèle à son idéal monothéiste contre vents et marées enprovenance dela Grèceantique. A notre connaissance aucun livre révélé ne s’est opposé sifarouchement, si radicalement à l’humanisation de la déité que le Coran. Or, onle sait, l’anthropomorphisme reste la base du mythe et de la mythologie grecscréés depuis La théogonie d’Hésiode jusqu’à l’épopée homérique, deux sourcesprincipales de la pensée religieuse grecque. Toutes les conceptionsanthropomorphiques ne sont que des absurdités dans l’optique du Coran, dans lamesure où elles peignent le divin à l’image de l’humain. Dans le best-sellerdéjà cité, La dialectique de l’Aufklarung Adorno et Horkheimer parlent del’anthropomorphisme en ces termes : « Enleightenmenthas always regarded anthropomorphism, the projection of subjective propertiesonto nature, as the basis of myth. Thesupernatural, spirits and demons, are taken to be reflections of human beingswho allow themselves to be frightened by natural phenomena ». (L’Aufklarung, - c’est-à-dire les lumières de laraison- a toujours considéré l’anthropomorphisme, cette projection descaractères subjectifs sur la nature, comme la base du mythe. Les êtressurnaturels, esprits et démons, sont pris pour des reflets des êtres humainsqui se laissent effrayer par les phénomènes naturels). En d’autres termes, lamythologie grecque conçoit l’être surnaturel comme une entité purementconceptuelle taillée sur mesure et n’exprime pour l’essentiel que les désirs,les caprices, les fantaisies et d’autres contenus de la conscience de l’homme.Une fois encore l’imagination débordante des poètes et des bardes a été àl’origine de la naissance des divinités hellènes.

 

   Cependant, les conceptionsanthropomorphiques n’ont jamais fait l’objet d’unanimité parmi l’éliteintellectuelle grecque d’alors. Déjà avant la révélation du Coran de plusieurssiècles, voire même de millénaires, elles faisaient l’objet de rejet et deraillerie. Le sarcasme du philosophe présocratique Xénophane est allé jusqu’àdire : « Mais les mortelsconsidèrent que les dieux sont nés, qu’ils portent des vêtements, ont unlangage et un corps à eux ». Dans sa critique sarcastique acerbe,Xénophane va encore plus loin en ces termes : « Au dire d’Homère et d’Hésiode, les dieux font toutes sortes de chosesque les hommes considéreraient honteuses : adultère, vol, tromperie mutuelle ».Comment serait-on surpris par le radicalisme coranique face à ce principepernicieux d’anthropomorphisme grec ? Comment peut-on concevoir l’idéeinsensée que le Coran, dans sa logique monothéiste implacable, puisses’inspirer, d’une manière ou d’une autre, de la culture grecque ? Si despenseurs présocratiques éprouvaient des sentiments de dégoût et de rejet àl’égard de l’anthropomorphisme, vu l’évolution des mentalités depuis cetteépoque lointaine, n’est-il pas rationnel que le Coran combatte énergiquementcette identification du divin avec l’humain ?

 

   Dans les citations précédentes, Xénophanetraite de l’une des implications nombreuses de la conception anthropomorphique,qui heurtent toutes, sans exception, la conscience du sujet monothéiste. L’idéede procréation en est une, et elle fut l’épine dorsale de la conceptionreligieuse grecque.

 

   Sans doute, le réalisme foncier est à labase de toutes ces distorsions. Les hellénistes ont révélé que les divinitésgrecques étaient d’anciens rois et princes et que la mythologie hellène reposeessentiellement sur des souvenirs confus ou transfigurés à dessein parl’imagination fertile des poètes mages. Cette transfiguration a été opérée surdes gestes et des comportements précis de rois et de héros primitifs. Ainsi lesconduites qu’a déplorées Xénophane relèveraient-elles des faits historiquesréels et authentifiés. La conception coranique de la nature divine est donc unvéritable challenge, voire même une menace réelle pour la religion et la culturegrecques, en ceci que toutes les entités mythologiques grecques sont descréations de poètes et de bardes. Mais il ne s’agit nullement de créations ex nihilo, car c’est l’histoire et lapréhistoire dela Grècequi leur servirent de substrat. Autrement dit l’histoire et la préhistoire sonttransfigurées en symbolique païenne. En conséquence, comment un tel systèmepeut-il servir de source d’inspiration à un corpus qui a comme principe de basele refus catégorique de l’anthropomorphisme, l’épine dorsale du systèmepolythéiste perverti ? Même la pensée de Platon était touchée par cetteperversion. Nous reviendrons ultérieurement sur le cas de Platon pour voir ceque ce dernier est réellement : un prophète ou tout simplement un sage.Mais disons pour le moment que selon Platon lui-même, fidèle héritier de latradition religieuse grecque, il n’y a pas de différence entre la nature divineet la nature humaine.

 

   Une autre implication qui découle de lavision anthropomorphique païenne est l’idée de procréation divine. Pour laculture grecque, les divinités naissent les unes des autres et se constituentdes descendances et des dynasties qui règnent sur des pans entiers del’univers. Xénophane encore, l’une des figures de proue de l’éliteintellectuelle présocratique, s’est violemment insurgé contre ce concept. Nuln’ignore la manière absolue dont le Coran rejette cette idée de procréationdivine. En effet, dans la logique implacable du Coran, Dieu « n’a pas engendré et n’est pas engendré ».Cette formule liturgique est l’une des plus récurrentes dans les litaniesquotidiennes. L’originalité du Coran sur la question anthropomorphique reposesur son refus catégorique total, et sur la considération de son antithèse commebase du dogme et de la validité de la pratique cultuelle de tous les jours.

 

   Une autre implication corollaire de laconception anthropomorphique de la mythologie grecque est le confinement decertaines divinités dans des régions cosmiques déterminées. Thalès lui-mêmes’est insurgé contre cette conception homérique de limitation. Néanmoins, dansla logique antithétique de la culture grecque la multiplicité des divinités n’apas exclu l’idée de clivage et de cloisonnement. Ainsi des frontièressont-elles arbitrairement tracées sur les prérogatives et les zones d’influencepour les divinités omnipotentes. La pluralité des divinités implique égalementla possibilité d’une collision violente entre elles. Même si dans la mentalitépolythéiste de l’homme grec le conflit ne signifie pas le règne du chao et de l’anarchie,les coups bas peuvent être échangés entre divinités perfides. Zeus acyniquement chassé son challenger et s’établit sur le trône olympien usurpé,avec sa lignée. Plus ridicule est cette fin comique de la trilogie d’Eschyle,pour en attester, où l’on voit des divinités belliqueuses arriver à descompromis ou même des compromissions. On connaît également la position du Coransur la question d’un conflit éventuel qui opposerait non pas de nombreux dieux,mais « deux Dieux » seulement, et qui sèmerait inéluctablement ledésordre et l’anarchie sur l’immensité cosmique.

 

   Bien qu’entités anthropomorphiques, lesdivinités grecques sont tombées dans une bassesse morale à nulle autrepareille. Certains de leurs aspects sont dévalorisants : des divinités quin’arrivent même pas à se hisser à la hauteur des critères éthiques définis pardes êtres humains. Tout sujet monothéiste authentique mis sur les traces et leparcours de l’âme religieuse grecque, est inéluctablement offusqué parl’immoralité et l’indignité des divinités mises en mouvement dans le dramereligieux grec. La théologie d’Homère, véritable base de la divinitéolympienne, est sujette soit à des enfantillages, soit à l’immoralité, soitenfin au besoin impérieux d’une réforme profonde, pour en extirper ce qui estune offense à l’esprit religieux authentique.

 

   Par conséquent, sur le plan moral, le Corans’oppose radicalement à la culture grecque, car cette dernière, dans sa logiqueanthropomorphique, n’a pas pensé que de pareilles divinités imaginaires nepeuvent jamais conduire la destinée de l’univers. 

                                                           

 

                                            

Platon : prophète ou sage ?

 

   La religion grecque était incontestablementpolythéiste. Or une religion païenne ou polythéiste n’est pas de nature àproduire un prophète pour des raisons que d’éminents hellénistes ont précisées,et dont nous ne retiendrons que quelques unes qui, d’ailleurs, accentuentdavantage les écarts entre la culture religieuse grecque d’une part, et lesreligions monothéistes, notamment celle du Coran, de l’autre.

 

   Parmi les Grecs il n’y avait ni caste niclasse de prêtres ni a fortiori desérudits savants qui se consacraient exclusivement au service liturgique. Cefait seul, selon l’helléniste anglais Charles Seltman dans son bel ouvrage quiporte le titre : The Twelve Olympians, est d’uneimportance capitale qui conditionne les autres raisons distinctives. Un autretrait de caractère chez les Grecs est qu’ils ne se soumettaient pas etn’obéissaient pas non plus à une autre personne qui leur servirait de guide, lacommunauté des croyants et des fidèles étant censée ignorer les normes du rite.Ensuite, il est à noter que la religion grecque ne possédait pas de dogme.L’homme grec était disposé à abandonner ses propres dogmes, s’il y en avait,pour embrasser les croyances étrangères à la mode. Ces dernières ont eu defortes chances d’obtenir « uneattestation de naturalisation »,selon l’expression de Seltman qui dit que       « Religious particularism was nota possibility for civilised Greeks ». (Le particularisme religieux n’étaitpas une possibilité pour les grecs civilisés). Une autre raison est l’absencede prophètes en mission sur terre, ce fait à lui seul, est largement suffisantpour être convaincu de l’impossibilité pour Platon ou pour tout autre penseurgrec de son genre d’être prophète. Pas de dogme ; pas de mission ;donc pas de martyre. On a pu mesurer l’importance capitale que revêt le conceptde martyre dans le Coran pour le triomphe duquel des précurseurs persécutés ontsacrifié leur vie. Une autre différence de taille est l’absence d’un livresacré ou révélé. La religion grecque, selon Seltman, se nourrissait deslégendes locales, de la tradition ancestrale et des textes de louange païens,qui étaient désespérément contradictoires. Enfin, le système religieux grec nes’occupait pas de la notion de péché qu’il assimilait à l’erreur de jugement etqui risque de se produire très fréquemment, tant qu’il n’y a pas un Maîtreéclairé qui peut guider les pas des fidèles sur le droit chemin.

 

   Sur la base de ces raisons, la religiongrecque ne pouvait pas s’accommoder d’un prophète. La place des prophètesétait, d’ailleurs, occupée par des poètes investis d’une certaine autoritémorale et religieuse. Platon une fois encore n’a aucune place parmi lesprophètes de la religion abrahamique. De plus, ne perdons pas de mémoire quepour Platon, c’est une rude tâche que de trouver un créateur de l’univers etque même si on le trouvait ce serait impossible de le déclarer aux hommes.

 

   De Bertrand Russell à Karl Jaspers, lesopinions sur Platon sont identiques. Russell parle de la cosmogonie de Platonen la qualifiant de « silly »(stupide). L’œuvre de Platon est loin d’être exempte de polythéisme païen, ilest hors de question qu’il soit tenu pour prophète, car il use indifféremmentdans ses écrits du mot « dieu/dieux » au singulier comme au pluriel,croyant qu’il était en la pluralité des divinités personnelles. Pour Platon,comme pour les autres grecs, l’antinomie entre monothéisme et polythéisme estd’importance minimale. Cela dit, aucun philosophe, aucun poète dela Grèce n’avait senti lebesoin de rompre avec cette religion homérique pervertie, et pourtant pour lesgrecs eux-mêmes, la théologie d’Homère était soit enfantine soit immorale. Platon lui-mêmeparle de Zeus en ces termes : « NowZeus, the captain in heaven, driving a winged chariot, moves first upon hisway, disposing and ordering all things under his care. After him comes a hostof gods and spirits, arrayed ineleven bands ». (Alors Zeus, lecapitaine dans les Cieux, conduisant un chariot ailé poursuit d’abord sonchemin, mettant et ordonnant toutes choses sous ses hospices. A sa suite, vientun hôte des dieux et des esprits déployés en petits groupes). Celui quis’exprime en ces termes peut-il être considéré comme prophète d’une religionmonothéiste ? Nulle part dans ses écrits Platon n’a revendiqué d’êtreprophète. Il refusait même d’être philosophe, tout comme Kant ultérieurementl’avait refusé. Platon n’était prophète pas et il était très sage pour vouloirs’attribuer un tel titre. Selon Russell, Platon dit que tout n’est pas créé parDieu, et Il n’a créé que le bien, c’est-à-dire le plaisant. Russell tire decette pensée platonicienne la conséquence selon laquelle la multiplicité dumonde sensible a une autre source que divine.

 

   Pour mettre en relief la stupidité partiellede la pensée de Platon, Russell donne un compte rendu très bouffon de la conceptionplatonicienne curieuse de l’âme et de son destin. L’âme d’un philosophe libérédes contraintes corporelles partira après la mort vers le monde invisible, pourvivre dans la bénédiction, en compagnie des dieux. Mais l’âme souillée qui n’aaimé que le corps, sera un fantôme dans la hantise d’un sépulcre, ou elleentrera dans le corps d’un animal tel qu’un âne, un loup ou un aigle, suivantson caractère. Un homme vertueux qui n’était pas philosophe, deviendra uneabeille, une fourmi ou un autre animal qui vit en société organisée. C’est dansce sens précis qu’il est rapporté du philosophe présocratique, Pythagore, qu’ilse souvenait d’avoir été un cochon. Russell commente en disant que  seul le philosophe part pour le Ciel après lamort. Ces faits fictifs produits de l’imaginaire poétique sont quelques unesdes rasons qui ont conduit Jaspers à dire que Platon était aussi un poète. Oron connaît la position du Coran face à la pratique poétique païenne. Pour toutdire, Platon n’était absolument pas un prophète, mais un sage.

 

   La sagesse de Platon était légendaire ets’exprimait sur une multitude de sujets aussi vastes que la logique, lapolitique, la physique, la cosmogonie et les questions relatives à l’expériencehumaine. Platon était politiquement sage et certains hommes de pouvoir onttenté de mettre en pratique sa sagesse politique. Platon, selon Jaspers, a suunir sa pensée à l’existence historique et concrète. L’œuvre de Platon est unetotalité cohérente et homogène. L’admiration de Jaspers pour Platon va jusqu’àdire que rien dans l’œuvre de Platon ne peut être négligé comme non important,tout a un sens dans le contexte de la communication philosophique. Denombreuses études ont confirmé l’idée que la pensée de Platon a fixé laphilosophie occidentale sur ses bases définitives. Sa sagesse pratique a unemultitude d’illustrations. Il pensait par exemple que l’individu ne peut pas sesuffire à lui seul ; il a besoin de l’aide des autres pour survivre. Ces mots suivants sontde Russell: « Plato thinks that aman could live on very little money if his wants were reduced to a minimum ». (Platon pense qu’un home pourrait vivre avec très peude monnaie si ses désirs étaient réduits à un minimum). Ces paroles sages nereprésentent qu’une goutte d’eau dans un vaste océan. Nul autre que  Jaspers n’a mieux précisé la place qu’occupePlaton dans la pensée occidentale. « Despitethe Romantic longing with which onemay look back at this lost world of primordial revelation, écrit Jaspers, one may well utter a sigh of relief oncoming to Plato from pre-Socratics ». (En dépit de la nostalgie romantique avec laquelle l’on tourne leregard en arrière vers ce monde perdu de la révélation primordiale, on doitbien faire un ouf de soulagement en venant des présocratiques vers Platon). Platona donc affranchi la pensée sage de ses élucubrations d’antan. Jaspers va plusloin dans son Introduction à la philosophie : « Platon, dit-il, a gravi le sommet au-dessus duquel la pensée humaine ne peut pluss’élever ». Voila Platon ! Voila le sage ! 

 

   Platon jouit d’une estime considérable grâceà la liberté de sa pensée totalement affranchie de la docilité doctrinale, unepensée dotée de concrétude historique, sans que cela signifie qu’il fût unprophète, mais simplement un sage.

 

   Pourconclure, il faut dire que c’est ici dans cette logique oppositionnelle que ledicton : « Comparaison n’estpas raison » se vérifie plusque partout ailleurs. L’esprit du Coran s’oppose radicalement à l’âme de laculture grecque et ne peut pas s’en inspirer. Si le Coran et la religion qu’ilstructure sont une totalité divine cohérente, la mythologie grecque est unecréation poétique. Les idées religieuses à la mode dansla Grèce antique, de l’avis desspécialistes, n’ont reçu aucune visibilité, aucune lisibilité. Même s’il y aune expression claire d’une idée, elle se trouve, pour certains hellénistes,incohérente. L’anthropomorphisme a assombri le ciel mythologique grec. Leprocessus parallèle fut la déification non seulement des éléments naturels, maisaussi des abstractions et des contenus de conscience humaine.

 

    Même le hasard a été divinisé et suite àcette déification la théorie est formulée selon laquelle la création du monden’a résulté d’aucun dessein. Homère lui-même n’a rien dit ni sur l’artliturgique ni sur l’art funéraire qui est l’ultime exercice d’expressionreligieuse. De surcroît, après Platon le concept même de divinité est réduit àl’activité du pur intellect. Ici dans ce monde, tout est imprécis. Même lesvocables : déité, divinité, Ciel ne renvoient pas à des référents précis,concrets. 

 

    Nous nous sommes longuement appesanti surl’anthropomorphisme. Mais il faut ajouter, pour assombrir davantage le tableau,qu’il y avait des divinités occasionnelles dont l’existence éphémère dépendaitd’une fonction temporaire. Plus encore, des divinités sont configurées sous desformes humaines avec des ailes; à quoi s’ajoute la déification des démons, deshéros et des âmes des races anciennes. Le culte des morts n’a disparu du mondegrec qu’avec l’implantation du culte homérique fortement hiérarchisé. Lesfantômes n’étaient pas en reste. Aux morts et aux fantômes l’homme grecdemandait « la répétition des faveurs reçues ». Le dépit d’unedivinité traduisait son impuissance d’arracher les siens aux griffes de lamort. Tout est sombre dans ce monde antique, tout y est confus, chaotique. LeCoran, dans son inimitabilité divine, intransigeant sur l’idéal monothéiste, nepeut pas s’inspirer de cet univers vidé de tout référent divin concret.   

 

   En débattant du thème de l’âme de lareligion et de la culture grecques, mesurée selon les critères du Coran, nousavons tenté d’élever le débat au-dessus du bas niveau des questions formelles,où certains auteurs ont voulu le situer. Nous sommes convaincu que ce ne sontpas des éléments anodins d’intertextualité lexicale qui constitueraientl’essence de ce rapport problématique. C’est dans l’objectif de dépasserlargement ce stade inférieur que nous avons opposé le Coran à la culturegrecque sur des points névralgiques qui sont des pans entiers de la structuredu monde mythologique grec. La conséquence que nous avons tirée des thèses decet essai, pour autant que les postulats de base et les prémisses sontacceptés, est que le Coran d’une part et la culture et la religion grecques del’autre se trouvent dans une logique implacable d’antinomie structurelle surtoutes les questions de dogme, de croyance et de corpus.

 

   Le débat en question est très sérieux etdoit toujours le rester. Il est inacceptable qu’il soit placé uniquement sousle signe de questions formelles. C’est un débat de fond et non de forme. Nous ysommes engagé avec nos lecteurs qui, il faut se l’avouer, pourraient être gênéspar certaines descriptions du monde mythologique grec. Qu’ils veuillent biennous en excuser. Dans certaines phases du processus  de l’argumentation, les descriptions sontindispensables. Notre intention est de rehausser le débat à un niveauintellectuel que nous jugeons lui convenir. Si le lecteur éprouve le sentimentd’être embarqué dans une problématique de fond et non de forme, relative àcette logique antithétique du Coran et de la culture grecque, alors nousestimons que notre pari est largement gagné.

                 

                                                            Babacar Diop

    

 

 

 

 

 

 


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Anonyme - #1

Toutes Les 4 Parties Qui Composent Ce Texte Sont Déjà Publiées Dans Ce Site Ou Ailleurs

le Jeudi 07 Août, 2014 à 12:50:59RépondreAlerter

Anonyme - #2

Cet Article Est Publié Dans Le Journal Le Quotidien D'aujourd'hui

le Jeudi 21 Août, 2014 à 15:49:08RépondreAlerter

Anonyme - #3

Cet Article Est En Train De Faire Sa Propre Promotion, Vu Le Nombre De Ses Lecteurs Qui Ne Cesse De S'acroître Nuit Et Jour.

le Jeudi 21 Août, 2014 à 08:23:45RépondreAlerter

Pèlerin De La Vérité - #4

Vraiment Cet Article Devrait être Afficheé à La Une. Mis La Censure A Passé Par Là.

le Lundi 18 Août, 2014 à 13:19:17RépondreAlerter

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