La structure esthétique du panégyrique du Prophète: Bourda

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  • Article ajouté le : 08 Mercredi, 2014 à 07h21
  • Author: babacar diop

La structure esthétique du panégyrique du Prophète: Bourda

Le Bourda, communément appelé Bourde, est avant tout une œuvre poétique produite à un temps historique qui ne favorisait guère l'éclosion du génie poétique que possédait son auteur. Dans le domaine esthétique, il est fort possible qu’il y ait décalage entre l’environnement historique et social d’une part, et le niveau de la création artistique d’autre part. Le Bourda est composé à une époque où la littérature arabe sombrait dans un déclin sans précédent, déclin caractérisé, non seulement par une thématique sans valeur significative, mais également par un formalisme vide de toute portée et de toute substance. Les poètes contemporains de Bousseyry, l'auteur du Bourda, terme signifiant :(manteau) en arabe, se livraient aveuglément à un mimétisme total rendant leur production dénuée de sincérité émotionnelle. Ainsi ont-ils manqué notoirement d'originalité. Les signes du formalisme dans  la  composition des œuvres littéraires étaient palpables partout, à l'époque où le Bourda fit son apparition. Les œuvres littéraires, dans leur globalité, n'ont pas eu les qualités esthétiques  remarquables que possédaient la poésie et la prose des périodes antérieures, ni dans leur composition formelle ni dans leur conception esthétique. C'est là que réside la grandeur artistique de Bousseyry, l’auteur du  fameux Bourda. Cet homme, en effet, a réussi un exploit personnel en produisant un texte de haute facture esthétique, à l'honneur du prophète (p s l), sur une toile de fond de décadence politique et intellectuelle à la fois.

 

   Le Bourda est un modèle réduit de la structure d'ensemble de toute l'esthétique poétique du panégyrique, dont les éléments constitutifs sont successivement: l'évocation nostalgique des lieux où a vécu le personnage central, sa naissance, les miracles qu'il a produits, l'abandon de la terre natale pour une autre terre  étrangère totalement nouvelle, ses exploits de vaillant combattant pour une cause juste, et enfin les implorations du poète lui-même en vue d'obtenir du personnage central une intercession en sa faveur dans les épreuves et les situations existentielles exceptionnellement difficiles.

 

   Néanmoins Bousseyry, d'une main de maître, a remodelé une telle structure en y insérant, de part en part, des conseils de sagesse pratique sur la maîtrise de l'âme humaine, de ses caprices et de ses enfantillages, sur les moyens pratiques qui permettent de dompter l'âme, de l'orienter et de la remettre, pour de bon, sur la voie du salut; et ceci dès l'entrée en la matière. Après la partie inaugurale, l'auteur s'est mis à exalter les vertus du Prophète sans prétendre à une énumération exhaustive de telles vertus. Mais conscient que la magie de son art verbal est impuissante devant la vastitude des qualités morales et des mérites personnels du personnage, l'auteur a eu recours à de nombreuses métaphores. Le Prophète est tantôt un soleil qui inonde de sa lumière les planètes, tantôt une pierre précieuse de valeur inestimable. Il est, de surcroît,  ce vaste océan de savoir et de vertu sans limite, ni fin. Ces métaphores ont pour finalité de hisser sur un piédestal à hauteur inégalable non seulement la nature prophétique primordiale du personnage,  mais également sa conduite exemplaire et sa morale exceptionnelle. La venue au monde du Prophète est évaluée à sa juste valeur, quand elle est tenue pour une source intarissable de bouleversements et de cataclysmes universels. La Perse et la Byzance furent violemment secouées dès la naissance du Prophète, puis entièrement rayées de la carte, en tant que superpuissances du moment, au cours de l’histoire. Parmi les nombreux miracles, celui qui demeure le plus vivant est sans nul doute le miracle du Coran, notamment dans son inimitabilité formelle et sémantique. L'œuvre poétique est conclue sur un ton d'optimisme total quant à l'éventualité d'une intercession du Prophète en faveur de celui qui l'a composée.

 

   L'auteur du plus célèbre panégyrique dans la littérature arabe a également innové en réduisant l'aspect narratif du texte à son expression la plus simple. Toutefois, le poète ne visait-il pas tant l'idéal de perfection poétique et formelle que la mise en relief des attributs de l'élu de Dieu. C'est sans doute l’une des raisons principales qui ont conduit les critiques à le considérer comme maître d'école dans l'art panégyrique. Certains historiens de la littérature tiennent même le Bourda pour une œuvre accomplie servant de prototype à ce genre de poésie lyrique. Il est même affirmé que cette phase de l'évolution littéraire, que nous avons déjà évoquée, ne serait considérée, dans les nombreuses classifications, comme décadente si l'on tenait en compte les performances des poètes versés dans l'art panégyrique de l'époque.       

 

  La portée universelle de l'œuvre de Bousseyry et la valeur intrinsèque de son art ont conduit les esprits épris de la grandeur et des mérites du Prophète à s'emparer du Bourda, et à se l'approprier pour les qualités poétiques qu'il offre et pour son contenu thématique cohérent qui a fait du personnage central un être transcendantal. En lisant cette œuvre ou même en l'écoutant quand elle est scandée, le lecteur ou l'auditeur sent que celui qui l'a composée était animé de sincérité dans les sentiments, et de volonté d'originalité dans la composition. L'œuvre poétique de Bousseyry est saluée par les critiques du Proche-Orient, et scandée lors des commémorations nocturnes de la naissance du Prophète dans toute l'Afrique du nord et ailleurs. Selon l’opinion d’un critique marocain, les dons de l’auteur ont fait du Bourda un modèle de composition réussie dans le domaine de l’art panégyrique, et ces dons ont pour noms : la maîtrise verbale, l’élan chevaleresque, la sincérité des sentiments exprimés dans un langage d’orfèvre et l’éloquence légendaire de l’auteur.

 

    "En Afrique du nord, dit Cheikh Hamza Abou Baker, dans son Traité moderne de théologie islamique, il est fréquent que le panégyrique du Prophète (Bourda) de Bousseyry soit scandé par la foule. Cette scansion n'est valable qu'à une condition: l'évocation amoureuse doit être écartée". En effet cette conditionnalité relève d'une lecture superficielle du poème de Bousseyry. Car l'œuvre présente une unité indestructible: ce qui est une qualité formelle rare dans la production littéraire classique. Le texte est un tout dont il est impossible d'isoler un élément constitutif, sans lui tordre le cou. Le terme Nassiib même que Mr Hamza traduit par l'expression: évocation amoureuse et qui est à la base de cette lecture de surface, est un procédé technique qui vise plutôt à évoquer les noms de contrées situées dans la péninsule arabique, terre où  naquit et vécut le Messager d'Allah. L'évocation nostalgique des lieux où l'élu de Dieu passait sa vie sur terre, loin d'être une maladresse stylistique, est l'une des composantes de la structure  formelle du panégyrique prophétique. Même si le terme amour est cité sur un nombre assez réduit de vers dans la partie introductive du texte, c'est justement pour dénoncer son pouvoir corrupteur et corrosif pouvant détourner l’âme du croyant de l'affection authentique: celle du Prophète. L'appréciation de Mr Hamza est irrecevable, car elle perd de vue la dimension symbolique de l’évocation amoureuse qui vise principalement à banaliser ce genre de sentiments dégradants, et à pousser l'esprit à s'opposer énergiquement à son envahissement pour ne pas subir ses conséquences dévastatrices. Cet aspect esthétique de toute la poésie panégyrique a pour finalité l'émancipation et la libération de l'ego de toutes les contraintes de la vie terrestre.

 

 

                                          Babacar Diop,

    

 


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