Le 13, horrible chiffre

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  • Article ajouté le : 01 Mardi, 2014 à 09h18
  • Author: babacar diop

Le 13, horrible chiffre

   L’attribution des valeurs numériques aux lettres relève de l’arbitraire. A moins qu’il ne s’agisse d’une attribution purement conventionnelle.  La convention, évidemment, n’est pas l’œuvre d’un individu solitaire. Mais le rejet de tout arbitraire est loin d’être salutaire.  En dépit de mon statut de professionnel des chiffres et des lettres, j’avoue mon impuissance de réaliser  la valeur numérique des lettres ; valeur péremptoirement fixée une fois pour toutes. L’attribution des valeurs numériques aux lettres est une pratique, voire une technique qui ne date pas d'aujourd’hui. A notre connaissance, elle plonge par ses racines dans la littérature arabe classique, notamment dans la versification destinée principalement à la vulgarisation scientifique. Dans ce contexte précis, le but recherché était la quête des sonorités rythmiques. En effet, les vers dans la métrique classique arabe s’accommodent difficilement de la lourdeur des chiffres en tant qu’unités formelles.

    Voila pourquoi seule la métrique classique a eu un recours, à grande échelle, aux diverses valeurs numériques conventionnellement attribuées aux lettres. Mais l’arbitraire, tout l’arbitraire, consiste à en déduire des rapports de causalité. Ainsi, tout se passe comme s’il était suffisant, pour la réalisation des grandeurs arithmétiques, de nommer des termes linguistiques contenant des valeurs numériques correspondantes. Tout se passe comme si, pour faire de notre population 13 millions d’hommes, il suffisait de  prononcer  ou d’écrire ces chiffres et ces lettres. Ce serait une performance magique.  Que fait, d’ailleurs, la magie dans le royaume des chiffres et des lettres ?

   Cependant, les grandeurs et les valeurs arithmétiques du chiffre 13 me sont familières. Mais cette familiarité date récemment, à savoir depuis la publication des résultats du recensement de la population. Dorénavant, je n’ai jamais éprouvé une peine quelconque pour cerner le sens des chiffres et des lettres composant cette maudite expression : « 13 millions ». Nous nous sommes désormais lancés dans une logique implacable de croissance démographique, sans une croissance parallèle des infrastructures. Le chiffre 13, en raison de sa série interminable de zéros, pour ses affres et ses horreurs, est devenu une hantise envahissant le sommeil d’une âme paisible, une âme perdue dans des songes profonds et enchevêtrés, une âme réveillée brusquement par la peur de l’avenir. Cette âme tendre et les âmes sœurs ne frémissaient qu’accidentellement. Mais toujours est-il que ses frissons reprennent de plus belle dès qu’elle aperçoit 1 et 3 côte à côte, qui inspirent dorénavant le doute et l’incertitude. La raison de cette crainte est simple à cerner : la lutte pour vivre est imminente. C’est du darwinisme sommaire, mais c’est quand même du darwinisme indéniable. Depuis l’annonce des chiffres par ailleurs contestés ça et là, je n’ai cessé de fournir un effort colossal, surhumain, mais inutile,  afin d’identifier dans le vaste corpus linguistique un vocable  à la fois ayant comme référent l’horreur et le doute,  un vocable comprenant le chiffre maudit dans son entièreté. Les 13 millions ne promettent que la rudesse tout le long des années de braise.

    Quelle catastrophe ! Notre population compte donc treize millions de personnes. Qui aurait l’audace de le croire  à l’aube de l’ère post-coloniale?  Nous ne cesserons jamais l’évocation nostalgique de ce temps historique où notre terre natale n’était habitée que par cinq millions d’habitants. Ce temps est révolu  et il nous a tourné le dos et réciproquement nous lui avons tourné le dos, avec plus de regret. A ce rythme de croissance que deviendrons-nous demain ? Est-il vrai que sous nos cieux, vivent des hommes qui ignorent royalement le nombre pléthorique  de leurs progénitures ? Si les chiffres sont fiables, nous sommes donc treize millions d’âmes fidèles et infidèles inextricablement mêlées les unes aux autres. L’avons-nous voulue personnellement, cette maudite démographie de quantité, en lieu et place d’une démographie de qualité, ou c’est notre fatalisme qu’il conviendrait d’incriminer ? Les véritables facteurs décisifs baignent dans le flou, dans l’équivoque et l’ambivalence. Mais par delà le fatalisme, c’est au plaisir qu’il faut, de prime abord, attribuer la responsabilité. C’est la quête effrénée du plaisir qui est à l’origine du mal. La quête du plaisir mène au désastre. Le plaisir, selon la talentueuse romancière française, Françoise Sagan, est devenu un danger réel. Le péril démographique est l’œuvre du plaisir. Le plaisir est mortel. Le SIDA, n’est-ce pas, en est l’illustration la plus parfaite. Il est  incontestablement une émanation du plaisir.

    L’humanisme classique, mis à l’application gauche et gauchisante, n’est pour la plupart du temps qu’un prétexte pour la lassitude et le renoncement. L’humanisme caduc et le communautarisme primaire sont quelques uns des facteurs psychologiques qui ont conduit des décideurs brillants par leur passivité, à la ratification de mauvaises conventions et à la signature de maudits accords, suite auxquels les frontières sont largement ouvertes au flux interminable des intrus, au virus mortel  d’Ebola et au sida. Cette ouverture n’a pas permis jusqu’alors la réalisation concrète des espoirs escomptés.

   Le recensement  de tous les facteurs qui sont à l’origine de cette forte croissance démographique n’est pas à propos. Cependant, certains d’entre eux sont des données immédiates facilement identifiables. Le péril démographique représente un danger réel dont l’origine remonte à la quête effrénée du plaisir, bien que d’aucuns s’opposent farouchement à cette thèse qu’ils jugeront peu orthodoxe, quitte à attribuer le mal démographique à la fatalité. En effet, les phénomènes sociaux, et la démographie inappropriée en est un, doivent leur apparition à des causes endogènes et exogènes. Si la quête du plaisir est un facteur individuel intime, le flux non contrôlé des migrants représente un facteur extérieur non négligeable. Le migrant qui se sent comme tel, n’hésitera pas à mettre à son propre profit toutes les possibilités que lui offrent les terres conquises, pour se faire une place au soleil. De là cette tendance à grossir la taille de la famille. Même avec les naissances clandestines, des droits réels et des prérogatives sont facilement acquis.

   En conséquence, l’alternative prioritaire à cette logique de procréation, apte à juguler le mal de la croissance démographique, est de lutter contre les tendances fatalistes qui réduisent au néant le sentiment de la responsabilité chez l’être humain. Nous ne comprendrons jamais pourquoi des catégories d’hommes applaudissent avec leurs mains et leurs pieds, lorsque les indicateurs dessinent une tendance à mettre sur cette terre des êtres plus qu’il ne faut.

   En second lieu, il est urgent de tout entreprendre pour stopper le flux migratoire qui n’apporte rien au progrès de la société locale, en mettant en place, comme mesure préventive, un dispositif de surveillance plus stricte dans les zones frontalières. Mais la condition préalable est de réviser entièrement les conventions et les accords qui nous ont tant asphyxiés. Il est peu probable qu’il y ait l’audace de prendre des mesures pareilles, mais il y a d’autres pays du Tiers-Monde qui, aspirant à la renaissance et à  l’émergence, prennent de telles mesures qu’à défaut de prendre, les rêves et les espoirs nourris par une émergence légitimement attendue, vu les sacrifices tant consentis, seront fatalement brisés.

   Il est évident que, pour certains ergoteurs, le dépassement du fatalisme n’est pas pour le moment à l’ordre du jour. Il est non moins évident que la maîtrise de l’avenir commence à nous échapper, dans la mesure où l’avenir se transforme progressivement sous nos yeux, en un passé réel, et il impossible de courber l’échine du temps passé. Il est encore certain que notre rôle d’hommes tombés sous la limite d’âge, se réduit de plus en plus à la simple gestion du temps présent, et c’est là un sentiment douloureux, pénible, dû surement au constat amer que, quelque part par le passé, nous avons failli à notre mission. Quoiqu’il en soit, nous n’avons nullement le droit de léguer à nos fils et petits-fils un monde où la lutte pour la vie sera rude plus qu’il ne faudra.

 

                                                          Babacar Diop.


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