Pour une histoire nationale vraie

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  • Article ajouté le : 14 Mardi, 2015 à 20h04
  • Author: babacar diop

Pour une histoire nationale vraie

Nous ne pouvons pas anticiper sur le contenu à donner à l’écriture de l’histoire de la Nation, qui, sans doute, verra le jour dans un avenir très immédiat. Il va sans dire que ceux qui se chargent de cette tâche sont les seuls habilités à le présager. L’écriture de l’histoire est une œuvre humaine. Or toute œuvre de l’homme est imparfaite. L’objectivité historique est un idéal vers lequel on tend, et qui n’est jamais atteint dans l’absolu. L’essentiel ne réside pas tant dans l’atteinte d’un idéal que dans l’effort sincère et perpétuel, dans cette tension permanente vers l’idéal absolu. Certes l’objectivité historique a des limites, mais on ne soulignera jamais assez l’importance des efforts fournis pour les transcender de la part de l’historien. Le blocage est souvent l’œuvre des circonstances qui cernent l’historien. Parfois la pression barométrique de la vie sociale ne lui rend pas facile la tâche d’être véridique. Si le contournement est hors de portée, l’unique porte de sortie est la suspension momentanée de l’écriture de l’histoire jusqu’à ce que l’environnement sociologique soit favorable à l’éclosion d’une histoire authentique. Une telle suspension permet d’éviter que l’histoire ne soit un tissu de mensonges. L’histoire est authentique ou ne sera pas. « L’histoire, écrit Hegel, est vraie dans la mesure où elle s’en tient au donné et dans la mesure où l’événement constitue son seul but ». L’authenticité de l’histoire est à la mesure de l’attachement indéfectible aux faits réels du passé, et non à la relation des événements fictifs. L’autorité politique perdrait ses atouts et ses gages si elle consentait à s’investir dans un projet d’écrire une histoire locale ayant les allures d’un conte de fée. L’autorité politique doit pouvoir identifier les bons projets où elle met ses ressources financières. L’idée même d’une écriture imminente de l'histoire locale peut causer des frissons horribles, éveiller des soupçons et conduire à la ruine des avantages et des privilèges taillés sur mesure et fondés sur la fausseté. Il ne serait pas étonnant de voir une certaine élite oligarchique ou politique se dresser pour freiner toute velléité d’objectivité historique, et mettre à sa propre solde l’historien lui-même. On ne peut pas changer le passé en substituant le devoir-être de la morale à l’être historique réel. Le désastre provient de la volonté tacite de rationalisation de l’histoire pour des raisons idéologiques. L’introduction du devoir-être dans l’histoire est la pire catastrophe. C’est dans ce sens précis que l’on allègue que tel ou tel comportement, bien que réellement produit, ne puisse absolument pas être attribué à une figure emblématique du passé, car son statut transcende la bassesse historique. Cet esprit est l’une des raisons qui ont conduit certains à la fétichisation de l’histoire, ou mieux, à la divinisation de l’histoire, selon la terminologie de Karl Jaspers, et à en faire une instance sacrée. Toute histoire réelle n’est qu’un exercice profane. Il n’y a pas lieu d’alléguer que « la construction du passé est reconstruction », selon les mots de Jean-François Lyotard, pour se livrer à la fabulation, à l’invention des histoires fausses et à faire de cette exigence un prétexte pour la transfiguration du monde historique en un fourre-tout. Si le contexte sociologique se dresse comme une entrave sur le chemin de l’objectivité historique, il arrive, comme entrave supplémentaire, que l’historien, dans un souci de gagner l’estime de l’oligarchie religieuse et de l’aristocratie républicaine, se livre à des exercices grotesques de falsification et de fiction, sans y être réellement obligé. L’unique moyen de se soustraire à cette confusion que génère la fabulation, est de se limiter à la relation de la vie publique des personnages. Notre immense plaisir serait que la noblesse des faits du passé historique corresponde à la noblesse des grandes figures de l’histoire. Or, tout n’est pas parfait chez les grandes figures historiques. Mais tout n’est pas bon à dire. Toute vérité historique ne peut pas être dite avec toute l’objectivité requise. Il est vrai que l’écriture de l’histoire d’une figure historique qui est proche dans le temps et dont les descendants sont de la même première ou de la même seconde génération que l’historien lui-même, est une tâche hardie et périlleuse. Plus que quiconque l’historien a besoin d’un recul suffisant dans le temps pour que le poids de la pression barométrique des pesanteurs sociologiques se fasse moins sentir. La compréhension comme méthode cardinale dans l’épistémologie des sciences humaines, et l’histoire en est une, est un mécanisme d’intelligibilité de la réalité chaotique des faits du passé. C’est ainsi que l’historien pourra se sauver de l’embarras et éviter, dans les limites du possible, les interprétations tendancieuses. Mais l’impératif catégorique dans l’écriture de l’histoire authentique est que les faits réels du passé, dont la relation est possible, soient narrés avec la plus grande exactitude. « L’histoire, écrira Hegel, se réfère à ce qui s’est passé ». Ainsi le rôle strict de l’historien se limite-t-il à la transposition des faits réels du passé, mais il peut en déduire des principes, des maximes et des règles de conduite. C’est à ce niveau précis qu’intervient, pour le bonheur de la discipline et du savant, la Philosophie de l’Histoire. « La philosophie de l’histoire, écrit P-L Assoun, est un démontage de la mythologie.. ». Elle est le seul mécanisme cognitif apte à débarrasser notre histoire nationale de tout ce qui est corps étranger tel que les légendes et les événements fictifs dont la finalité est de plaire à l’oligarchie confrérique et à l’aristocratie politique. Selon Lyotard, il n’y a pas de science historique qui ne repose sur une philosophie de l’histoire. Ce serait un désastre, du point de vue purement scientifique, qu’au nom de la cohésion sociale, l’histoire se fasse légende. « Nous avons conscience de notre identité, écrit Raymond Aron, à travers le temps ». En d’autres termes, c’est grâce à l’histoire que la communauté nationale prend conscience de son être identitaire. L’histoire dessine les contours de notre identité. Et Aron d’aller encore plus loin : « La science historique est une forme de la conscience qu’une communauté prend d’elle-même ». Sur cette base, l’histoire authentique comme socle de l’identité, ne peut pas détruire notre cohésion sociale. Plutôt elle la consolide et la renforce. A certains niveaux, il y a lieu de se demander s’il n’y a pas d’autres voies à emprunter pour atteindre une telle finalité noble, du reste. Le passé historique ne peut pas être changé, les données historiques ne peuvent pas être falsifiées, pour mettre en lieu et place des légendes ou des contes de fées. La falsification de l’histoire peut produire l’irréparable, dans la mesure où elle est de nature à donner naissance à des revendications non fondées et des prérogatives fictives. Voila pourquoi c’est une nécessité absolue de la bannir du champ de l’histoire. Les finalités de la pratique de l’histoire sont énumérées par Jaspers comme suit : prise effective de la conscience de soi ; élargissement de l’horizon humain ; transmission des valeurs traditionnelles ; formulation des normes de vie ; restauration du climat de liberté originelle. Quelle noblissime mission ! On ne badine pas avec l’histoire. Même si l’histoire cimente notre être, et c’est de cela que provient son importance, notre péché est de diviniser l’histoire. Il est déjà question d’une fétichisation de l’Histoire. Nous accordons trop d’intérêt au temps passé. Or, le passé n’est pas l’unique dimension de notre être profond qui est composé à la fois du passé, du présent et de l’avenir. Une nation se construit progressivement, c’est une banalité de le dire. Une nation est un projet qui n’est jamais achevé, qui est toujours à accomplir. La cohésion sociale est fondée aussi bien sur le passé que sur le présent et l’avenir. L’être identitaire est un devenir perpétuel. L’Histoire authentique n’est pas un tissu de mensonges ou une étoffe de légendes dont l’objectif est de faire plaisir à l’oligarchie religieuse ou à l’aristocratie politicienne. Elle n’est pas non plus faite de chaînes d’illusions dont la finalité est de charmer et hypnotiser tout un peuple. Il n’est nullement exclu que l’irrationnel puisse être collectif. Ceux qui peuvent échapper à la règle sont une infime minorité dont les intérêts sont en jeu, voire en danger, alors que la grande masse populaire amorphe se nourrit d’illusions perdues. A priori, la stabilité et la cohésion sociales n’ont pas de prix. L’authenticité historique n’a pas de prix non plus. S’il est évident que la cohésion sociale est un impératif catégorique, l’authenticité historique ne l’est pas moins. Voila les termes du dilemme où se trouve tiraillé l’historien d’aujourd’hui. Mais il y a des moments de trêve et de répit où le dilemme s’estompe et se réduit à sa plus simple expression. Le dynamisme interne de nos sociétés peut bien créer un équilibre parfait entre les exigences et les forces de la dialectique sociale. En réalité, le recul temporel est sans conteste de nature à créer les conditions d’un tel environnement social propice à l’écroulement des limites de l’objectivité historique, et en conséquence la perspective pour l’historien se trouve élargie. L’histoire n’est jamais aussi universelle qu’elle l’est à l’époque de la mondialisation. Certes, l’histoire est nationale, mais elle est surtout celle du concert des Nations, et nous ne pouvons pas nous présenter dans un tel concert de chroniques locales avec des légendes et des contes de fées dont la seule finalité est de plaire aux princes et aux princesses des oligarchies religieuses et de l’aristocratie républicaine. C’est un impératif catégorique que de nous présenter dans ce concert des Nations avec des chroniques locales crédibles. L’histoire est le récit véridique des actions héroïques et notamment publiques des figures exceptionnelles du passé. C’est en cela qu’elle est une peinture fidèle de l’être identitaire d’un peuple. L’identité d’une nation se construit sur la base des souvenirs du passé, des valeurs de gestion du présent et de la projection sur l’avenir. En conséquence, la substitution des miracles et des légendes à l’histoire authentique d’une nation est le pire désastre. Si la philosophie de l’histoire assigne à cette dernière une finalité précise, elle ne saurait être que l’Unité de l’Humanité, selon les termes de Jaspers. Or, cette finalité n’est valable que pour l’histoire universelle. Ainsi l’histoire locale a-t-elle pour finalité propre l’Unité de la Nation. Cette unité ne peut se concrétiser que dans des conditions claires et intelligibles optimales. L’histoire révèle notre être identitaire profond qui ne se fonde que sur une relation authentique, et non sur une chronique faite de miracles et de légendes. Babacar Diop


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L\'auteur - #1

L\'article Est Aussi Publié Dans: Babacardiop327khary.unblog.fr

le Mardi 14 Avril, 2015 à 20:40:53RépondreAlerter

Anonyme - #2

L\'article Est Publie Dans Le Journal Le Quotidien Du 8janvier 2016

le Jeudi 14 Janvier, 2016 à 17:55:10RépondreAlerter

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