Rêve et réalité dans l’épopée de Josèphe

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  • Article ajouté le : 19 Samedi, 2013 à 19h39
  • Author: babacar diop

Rêve et réalité dans l’épopée de Josèphe

   Dans la narration de l’histoire de  Josèphe, le réel n’est nullement plus réel que l’onirique. De même l'onirique n'est pas plus irréel que le réel lui-même. Dans cette histoire la superposition du réel et de l'irréel est totale. La réalité et la fiction sont les deux termes distincts d'une même équation. La substitution même du rêve à la réalité est une donnée à identifier et à dénoncer dans la large perspective de la crise des valeurs. L'onirique et le réel s'emballent tous les deux dans une vaste dialectique où l'un sombre dans l'autre sans se métamorphoser.

 

   Pour des détails de la belle épopée de Josèphe, le lecteur est  évidemment renvoyé au texte coranique. Mais en résumé, le récit de la vie de ce prophète, selon certains exégètes "est le drame de l'homme de bien, de l'homme juste qui souffre de la jalousie, de l'ingratitude de ses semblables, à commencer par ses frères, et qui pardonne à ceux-là mêmes par qui et pour qui il souffert.. Le triomphe final de Josèphe préfigure la victoire de la vérité sur le mensonge, du bon droit sur l'injustice".

 

    Cette vue synoptique ne fait pas cas d'autres éléments majeurs dans la structure narrative du texte coranique, dont: le tribut lourdement payé à cause des rêves et des songes, non seulement par le personnage central du récit, mais également par la société égyptienne d'alors, sous le règne tyrannique et cruel de la dynastie pharaonique. L'autre fait majeur est que le fantasme, pour ne pas dire la fantaisie, est à l'origine de la souffrance des hommes dans cette société hiérarchisée à outrance. Josèphe a été torturé, humilié, vendu et réduit à l'esclavage, parce que le bruit courait qu'il avait rêvé d'un merveilleux avenir pour lui-même et que, si ses rêves se réalisaient, ses propres parents et ses propres onze demi-frères se prosterneraient tous devant lui. Les onze étoiles prosternées sont ses frères, alors que le soleil symbolise son père, et la lune sa mère. Un tel rêve ne pouvait pas manquer d'horrifier les membres de sa famille rongés déjà par la jalousie. Pour un simple rêve, une famille se sent humiliée et se met à l'état de nuire. Le rêve est donc pris pour un fait réel. Les codétenus de Josèphe, emprisonnés avec lui, suite à une injustice avérée, ont fait d'horribles songes et le mauvais sort les a cruellement frappés. Les songes de Pharaon sur les vaches maigres bouffant les vaches grasses, jetèrent les bases des mesures prises pour prévenir la disette et la sécheresse imminentes.  

 

   Ainsi l'onirique et le réel se confondent-ils parce qu'une crise aigue de valeurs s'est installée. A vrai dire la confusion d'entités distinctes est l'une des manifestations de la crise des valeurs. Le coran relate l'histoire de Josèphe pour dénoncer cette crise. Il est salutaire d'accepter que la fiction et la réalité soient deux entités différentes, rien n'a le pouvoir de les réunir ou de créer à partir d'elles une réelle synthèse. Leur confusion est vigoureusement dénoncée à la fois par la religion et par la raison. Ainsi la philosophie n'est ni une hérésie ni un écart par rapport aux normes de la morale sociale. La philosophie n'est nullement une aliénation. Elle s'est installée au cœur même du cercle des valeurs dominantes. La philosophie n'est pas non plus en conflit ni en compétition avec la religion dans une hypothétique course vers la domination des consciences. La religion et la philosophie sont des armes complémentaires sur le champ de cette bataille livrée aux illusions et aux déviations. En effet, si la religion fonde le système global des valeurs, alors dans les manuels scolaires mêmes, il est réitéré que "Seule la philosophie pose le problème des valeurs". En d'autres termes la religion positivise les valeurs, tandis que la philosophie les problématise, le cas échéant.

 

   Entendons nous bien sur ces termes: en effet, la religion pose l'acte fondateur des valeurs. Mais la longue pratique des valeurs peut produire des déviations et des distorsions, et c'est à ce moment que la philosophie intervient, problématise les données en les mettant en cause, remet les esprits sur les rails et redonne vigueur à la pratique éthique.   

 

    L'arrivée d'un homme aussi vertueux, aussi pur et purifié par les circonstances d'une vie épique très mouvementée, que Josèphe dans cette société en crise, dénote la volonté divine de l'amender, de la réformer. Cette crise trouve son apogée et son dénouement tragique dans le massacre de bébés inoffensifs. Cette tuerie atteste, si besoin en est, la collusion entre le réel et l'onirique. Pharaon procéda au massacre des âmes innocentes sur la base de simples rêves de ses proches collaborateurs que furent les devins et les magiciens.

 

   On regrette que l'analyse de la moralité de l'histoire est souvent une analyse de surface, une analyse étriquée qui ne va pas jusqu'au fond des choses pour souligner que la narration coranique vise un objectif bien précis: la dénonciation de cet état sociétal qui consistait en la coïncidence et en la superposition du rêve et de la réalité. Rien n'est plus indicatif du chaos moral où baigne une communauté, que la tendance à fonder l'action concrète sur la base des songes et des rêves. Que ceux qui s'efforcent inlassablement et obstinément de modeler leur vie suivant un plan d'action qui n'est fait que d'un tissu de songes et de rêves, méditent et s'inspirent de la belle épopée de Josèphe. Les songes ne fournissent pas une base valide à l'action concrète dans la vie.

 

   Loin d'être un gage de validité donné à la confusion entre le rêve et la réalité, l'histoire de Josèphe, telle qu'elle est restructurée par le coran est une dénonciation d'une certaine crise de valeurs dans une société où règnent l'injustice et la tyrannie. Cette crise atteindra son paroxysme au temps de Moise, quand Pharaon a décidé de massacrer sans aucune retenue tout nouveau-né; décision prise et exécutée sur la base de simples rêves de conseillers techniques en magie et en prédiction de l'avenir, aux termes desquels, la chute de Pharaon est imminente entre les mains d'un homme qui verra le jour à cette époque. L'histoire de Josèphe, comme l'a bien vu Mr Tachefine de la faculté des lettres de Fès, nous donne une idée précise sur les croyances religieuses démodées, qui prévalaient dans cet environnement historique lointain, et sur l'intérêt particulier porté aux rêves et aux prédictions de l'avenir, au sein d'une société moralement décadente.   

 

 

                                            Babacar Diop


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