Rosa Luxemburg aux sommets parallèles

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  • Article ajouté le : 21 Dimanche, 2014 à 19h17
  • Author: babacar diop

Rosa Luxemburg aux sommets parallèles

 

   Rosa Luxemburg s’est hissée sur un majestueuxpiédestal, depuis son assassinat le 15 Janvier 1919 à Berlin, des mains lâchesde la soldatesque germano-prussienne. Son cadavre fut jeté dans une rivière dela capitale allemande d’alors. Les circonstances de sa mort tragique n’ont pasété élucidées. Une mystérieuse salle, hermétiquement fermée, située dans un endroitindéterminé des dédales de la capitale porte le nom de l’héroïne de la luttedes classes allemande. Sa vie de militante de gauche était fortement teintée dupittoresque et du tragique de la lutte des classes, ce concept que le Manifestetenait pour moteur de l’Histoire. Sa mort tragique n’est pas l’œuvre de sesseuls ennemis. Ses propres camarades y ont leur part de responsabilité. Oncomprend logiquement que ses ennemis déclarés du camp de la réaction voulaientson élimination physique. Mais qu’un camarade de lutte cherche à la neutraliser :voila ce qui dépasse le bon sens qui est, selon la formule cartésienne, lachose la mieux partagée au monde. Néanmoins, il y a eu de bonnes raisons pourla neutralisation de Rosa Luxemburg dans son propre camp. C’est qu’elle était,durant les années de ferveur révolutionnaire, une pertinente théoricienne trèsattachée à l’orthodoxie marxiste, à un moment où les théories hérétiques etdéviationnistes fleurissaient. Elle était un élément gênant de lasocial-démocratie. Dans un chapitre portant son nom, Georges Lukacs, le célèbrephilosophe et esthéticien hongrois, parle de Rosa Luxemburg en ces termes dans Histoireet conscience de classe : « Sa mort, œuvre de ses contradicteurs les plus réels et les plusacharnés, est le couronnement logique de sa pensées et de sa vie ». Onregrette amèrement que la profanation de son nom et de sa renommée ait lieudans la capitale sénégalaise. La profanation de ses couronnes et de ses titresde gloire est à la fois l’œuvre des organisateurs des sommets parallèles etcelle des hommes qui s’y opposent. Le pragmatisme militant aurait dicté uneattitude de compromis, mais non de compromission tout de même. RosaLuxembourg,  en son temps, se seraitopposée à la tenue des sommets capitalistes, néocolonialistes et impérialistesde toute sorte. Par contre, reste à déterminer si la francophonie rimeeffectivement avec l’impérialisme et ses multiples corollaires. Exigence,d’autant plus forte que même certains auteurs et théoriciens, membres du stafftechnique, ne prennent pas le mouvement francophone très au sérieux et usentsouvent des néologismes sarcastiques comme « francophilie »ou notamment « francofolie ».Et pourtant ces auteurs sarcastiques et ironistes savent mieux que quiconqueque les hommes et les femmes qui étaient à l’origine du mouvement francophonen’étaient pas des idiots.

 

   La renommée, très limitée tout au moins surle plan local, de Rosa Luxemburg n’a toujours pas été suffisante pour mobiliserle public derrière les initiateurs des sommets parallèles, qui visaient àgalvauder les idées antithétiques aux politiques réactionnaires. Leur manquentle tact et l’énorme capacité de conceptualisation dont faisait preuve lathéoricienne de la lutte des classes allemande. Son action théorique ethéroïque exerçait une fascination irrésistible sur les esprits, parce qu’elle aréussi avec brio « l’accouplementd’une éthique de gauche et d’une épistémologie de droite », selon laformulation de Lukacs dans La théorie du roman. L’étique degauche est orientée vers une révolution sociale radicale, alors que l’épistémologiede droite est la description traditionnelle et académique de la réalité. Lukacs,en opérant une comparaison avec d’autres points de vue, écrit dans Histoireet conscience de classe : « La conception de Rosa Luxemburg est la source de la véritable activitérévolutionnaire ». Voila pourquoi elle a eu une place prépondérantedans l’histoire des idées en Europe. Un autre facteur de sa grandeur historiqueest qu’avec son ouvrage : L’accumulation du capital, et celuide Lénine : L’Etat etla Révolution, la renaissance du marxisme commençaitd’une manière remarquable.

 

   Le combat mené par Rosa Luxemburg ne pouvaitêtre que sincère, car les raisons pour lesquelles elle était révolutionnaireétaient concrètes et avaient pour noms : l’injustice, la violence etl’exploitation qui minait le monde. L’objectif de son combat était que lestravailleurs du monde entier brisent les carcans du capitalisme et desfrontières nationales. En effet, ce combat est toujours d’actualité, d’autantplus que le credo de Rosa Luxemburg fut que le capitalisme n’est pas éternel etqu’il peut être un jour vaincu. C’était un combat mené sur le double planthéorique et pratique. L’unité de la théorie et de la praxis était le signe deson œuvre et de sa vie. Ces deux aspects de l’action historique ne pouvaientqu’être ainsi unifiés, car chez elle, selon Lukacs, la connaissance devientaction, la théorie devient mot d’ordre. Dans la pensée de Rosa Luxemburg, iln’y a pas de place pour le théorique pur. Chez elle la main agissante étaitl’alliée naturelle du cerveau pensant. Cela va en directe ligne avec saconception du marxisme. Elle n’était pas une marxiste orthodoxe, mais plutôtune marxiste authentique très attachée aux enseignements originels etauthentiques de Karl Marx. « Lemarxisme, écrit-elle, est une vision révolutionnairedu monde qui doit appeler à lutter sans cesse pour acquérir des connaissancesnouvelles ». Évidemment toutes ces convictions sont sans douteteintées d’utopisme, plus particulièrement lorsqu’elle prône la lutte contre lesalariat et le militarisme. Mais pour saisir le sens de sa pensée, il estnécessaire de pénétrer la logique qui y est à l’œuvre, à savoir que l’homme nefait pas son histoire de toutes pièces ou d’illusions, mais il la faitlui-même, avec sa propre main et son cerveau. L’Histoire, selonl’existentialisme, est une succession d’engagements libres.

 

   Théoricienne puissante de la lutte desclasses, Rosa Luxemburg ne pouvait pas passer sous silence la conditionféminine. Elle était réellement féministe, comme l’ont vigoureusement soulignéses biographes. Mais elle n’a jamais envisagé le féminisme comme dissocié dularge mouvement de la dialectique sociale. Elle le concevait toujours dans lavaste perspective de la lutte des classes. A ce propos, Lukacs, dans Histoireet conscience de classe, écrit : « L’unité de la victoire et de la défaite, du destin individuel et duprocessus d’ensemble ont constitué le fil directeur de la théorie de RosaLuxemburg et de sa conduite ». Son féminisme s’intègre doncentièrement dans le cadre du vaste mouvement d’émancipation sociale. Isolé ducadre de la dialectique sociale, le féminisme risque d’être opportuniste. Ellepensait même que la réalité ne peut être saisie et pénétrée que comme totalité.Elle pensait également que le droit de vote des femmes n’est pas seulementl’affaire des femmes, et le passage le plus cité d’elle à ce propos estcelui-ci : « Le suffrageféminin est le but. Mais le mouvement de masse qui doit l’obtenir n’est pas quel’affaire des femmes, c’est une affaire de classe commune aux femmes et hommesdu prolétariat. Le manque actuel de droits pour les femmes en Allemagne n’estqu’un maillon de la chaîne qui entrave la vie du peuple ». Leféminisme de Rosa Luxemburg consiste à lutter pour l’avènement d’une démocratieréelle, et non pour une parité formelle qui est aujourd’hui à la mode, et quiaurait inspiré dégoût et aversion à elle. Le féminisme authentique, conformeaux vues de Rosa Luxemburg découle d’une opposition totale au système de classes,à toutes les formes d’inégalités sociales et à tout pouvoir de domination. Leféminisme ne se réduit pas à une attitude opportuniste qui laisse la militantes’engager dans un mouvement qui sert d’opportunité pour obtenir des intérêts etdes avantages taillés sur mesure. Le féminisme n’est pas non plus cette dispositiond’esprit à faire des concessions incalculables, afin d’occuper des postes deresponsabilité. Il vise notamment à l’émancipation effective de la femme vuecomme actrice sociale, et non comme une entité spécifique. Rosa Luxemburgadopte le point de vue de Charles Fourrier qu’elle cite et qui écrit :« Dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesurenaturelle de l’émancipation générale ». Elle a magnifié dans sesécrits l’éveil politique et syndical des masses du prolétariat féminin. RosaLuxemburg regrettait et s’étonnait qu’au moment où elle menait ce combathéroïque, les femmes en Allemagne étaient privées de droit de voter.

 

   Rosa Luxemburg possédait des talentsfascinants dans le champ de l’esthétique littéraire. Elle a écrit l’une desplus belles pages sur l’art du géant romancier et moraliste russe, Tolstoï.« Le raisonnement que Tolstoïdéveloppe brillamment, écrit-elle, estle suivant : l’art - contrairement à l’opinion de toutes les écoles philosophiqueset esthétiques - n’est pas un luxe destiné à déclencher dans les belles âmesles sentiments de beauté, la joie et d’autres choses sensibles, mais il est aucontraire une importante forme historique de la communication sociale deshommes entre eux, comme le langage ». Rosa Luxemburg a épousé toutsces vues du romancier russe sur l’art. L’art en général et la littérature enparticulier ne labourent pas le champ de la gratuité et de l’esthétique pure.Ils sont deux instruments de lutte adéquats pour l’émancipation des classessociales opprimées. Dans un élan d’une belle envolée lyrique, Rosa Luxemburg,pour des raisons d’identité de vue, a convié ses amis de la social-démocratie,qui vivaient au seuil du 20e siècle, à serrer la main, sans honte, àTolstoï, cet illustre emblème de la littérature mondiale, qui allait quitter cemonde juste au crépuscule du 19e siècle.  

 

   En 1919 en Allemagne, le nouveau régimepolitique établi avait, pour empêcher  lapropagation de l’ébullition sociale, fait tuer les révolutionnaires dont RosaLuxemburg. Il devenait nécessaire de l’assassiner, puis de se débarrasser deson cadavre en le jetant dans un canal de Berlin. Mais même après ce crimeodieux, elle restait politiquement gênante et les calomnies sur son comptecontinuaient de plus belle. Cette politique mensongère atteignit son paroxysmeà l’avènement du régime nazi qui fit interdire et brûler ses textes. Sonassassinat, les calomnies dont elle était victime et l’autodafé de ses œuvresthéoriques attestent, si besoin en est, le fait que Rosa Luxemburg était unemilitante redoutable. Fidèle héritière de l’humanisme de gauche, attachée à lavision du monde et des choses du marxisme authentique, Rosa Luxemburg se seraiténergiquement opposée à la tenue des sommets impérialistes et néocolonialistes.Son combat héroïque, elle l’a mené contre les forces du mal capitalistes etréactionnaires. En conséquence, rien d’anormal à ce qu’un local qui porte sonnom abrite des réunions d’une gauche même essoufflée, exténuée, voire mourante.

 

   En effet, la faiblesse grandissante de lagauche reste une équation à des inconnues multiples. Mais le facteurdéterminant de la débâcle est que l’Humanité a définitivement tourné le dos àla gauche en dépit de l’épopée héroïque des marxistes par le passé. Les hommesde la gauche n’ont fait au mieux que des promesses non tenues et au pire desmenaces de cataclysmes apocalyptiques qui surviendront à coup sûr pour eux à lafin des temps de l’Histoire. Au lieu de remplir nos poches avec de l’argent,les idéologues de gauche n’ont fait que de remplir nos ventres par des conceptset des catégories purs, mais usés et démodés tels que : la lutte desclasses, la dictature du prolétariat et la fin de l’Histoire. L’usagefrénétique d’une terminologie ridicule et sclérosée ainsi que le recours massifà  des clichés et des stéréotypes ontéloigné vers d’autres horizons l’adhésion et la sympathie des masses populairesque ces idéologues étaient pourtant censés défendre. Lénine et ses épigones quiprofessaient un matérialisme dialectique vulgaire et auxquels Rosa Luxemburg s’opposaitfarouchement, étaient largement responsables de cette inadéquationlinguistique. L’on ne sait pas ce qu’il faut souhaiter au défunt leadersoviétique, Lénine : qu’il soit couvert de bénédiction ou qu’il soitfrappé de malédiction ? Il a laissé de maudites séquelles sur la pensée decertains africains illuminés. Tenez ! Lénine a produit un ouvragetitré : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, et à sa suiteNkrumah a sorti un ouvrage sous le titre : Le colonialisme, stade suprême del’impérialisme. C’est bien dommage que l’œuvre du ghanéen passaincognito.    

 

   Rosa Luxemburg s’est installée sur un sommetparallèle à celui sur lequel se sont établis le capitalisme et l’impérialismemondial. Sa chute était prématurée, car au moment de sa tragédie elle n’avaitque 47 ans. Mais ce fut une chute prévisible et elle ne put guère manquer àêtre mortelle. Rosa Luxemburg était une figure de proue dans l’histoiremouvementée de la dialectique marxiste, mais elle est peu connue en milieuintellectuel local. Si elle devient une figure plus familière pour le lecteuret que ce dernier parvient à saisir les raisons pour lesquelles des fondationset des locaux portent son nom, alors notre objectif est largement atteint.

 

                                                      Babacar Diop    

 


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Anonyme - #1

L'article Est Aussi Publié Dans Le Site Personnel Du Rédacteur: Babacardiop327khary.unblog.fr

le Samedi 21 Mars, 2015 à 23:11:32RépondreAlerter

Anonyme - #2

Cet Article Est Publié Dans Le Journal Le Quotidien D'aujourd'hui

le Samedi 10 Janvier, 2015 à 23:50:08RépondreAlerter

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