Terrorisme et grandeur

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  • Article ajouté le : 08 Samedi, 2015 à 18h08
  • Author: babacar diop

Terrorisme et grandeur

La lutte contre le terrorisme n’est pas la mesure de la grandeur sur l’échiquier international. C’est davantage un signe de faiblesse qu’un signe de puissance pour le cas des Etats en faillite. La volonté d’attirer sur soi les foudres du terrorisme islamiste, pour des raisons purement ostentatoires, est la pire frivolité. La terreur anarchiste est certes à la proximité de nos frontières, mais elle ignore royalement notre existence et nous nous accommodons mal de cette ignorance. Elle serait pour nous un signe d’insignifiance. Tout dernièrement, nos hommes politiques ont multiplié à ce sujet des déclarations malhabiles ça et là, comme s’ils voulaient que les terroristes ne nous oublient pas, que nous soyons dans leur ligne de mire, et que nous représentions un élément de leur plan diabolique. Les terroristes sont des meurtriers impitoyables, mais ils restent des ennemis invisibles. Dans leur folie meurtrière ils ne font pas de distinction entre hommes et femmes, malades et sains, innocents et criminels. La presse évoquait récemment le cas de femmes kamikazes issues des rangs terroristes, se lançant à la poursuite des hommes en fuite, gagnés qu’ils étaient par la peur et la trouille dans le ventre. L’on se pose pertinemment la question de savoir comment ils ont réussi à transformer des agneaux en loups, des êtres frêles et doux en tigresses d’une cruauté exceptionnelle.

 

   Nous ne disposons ni de drones sans pilotes, ni d’une haute technologie adaptée qui nous permette d’en faire un bon usage pour traquer les malfaiteurs jusqu’à leurs derniers retranchements. Il n’est pas acquis d’amblée que ceux qui en disposent pourraient nous apporter un secours logistique dans nos efforts visant à donner des coups de grâce aux nébuleuses djihadistes, pestes des temps modernes. Le terrorisme islamiste nous ignore pour l’instant, et pourquoi le provoquer ? C’est une cellule dormante dans nos corps. Il n’y a aucune nécessité de la réveiller. 

 

   Voila brièvement pour ce qui est du terrorisme international. S’agissant du terrorisme comme produit intérieur brut potentiel, ses hommes étant issus de nos propres rangs, notre jeunesse qui est d’une brutalité innocente et candide, serait non seulement sa proie facile, mais aussi et surtout sa principale force de frappe. Il n’est pas sûr, contrairement à ce que certains moralistes en Afrique pensent, que la structure de nos valeurs morales soit solide et puisse résister aux vents et marées venant d’ailleurs. Elles ne sont pas un rempart protecteur sûr pour une jeunesse moralement déboussolée. Certains des porte-étendards de ces mêmes valeurs sont traînés devant les cours et tribunaux ou croupissent dans les prisons  sordides pour cause de mœurs dégradantes : meurtres, vols, libertinage... Ce ne sont plus des valeurs pour lesquelles les moutons et les corbeaux daigneraient se battre. Il s’agit plutôt de valeurs de cupidité et de ventres bedonnants. Notre erreur fatale serait que le terrorisme intérieur pourtant tant redouté est plutôt « pris au tragique », pour reprendre une expression de Camus dans Le mythe de Sisyphe, au lieu d’être pris au sérieux, et ce en dépit des apparences. Cette prise au tragique se traduit dans ce sens que nous accordons une importance excessive aux formes tragiques de manifestation du terrorisme rampant, au détriment de ses causes profondes. La racine du mal ne nous préoccupe guère, mais plutôt ses effets. L’intérêt que nous portons pour ce qui est épisodique est une distraction car il nous donne une conscience tranquille en cachant la vérité amère, et nous érige en donneurs de leçons pour l’Humanité tout entière. Cette accommodation factice traduit notre mauvaise foi. On se croit faussement être à l’abri de la terreur parce que, selon nous, de grandes figures de l’Histoire et leurs héritiers directs avaient proféré des incantations et des malédictions contre le diable et ses nombreux démons. Je me pose la question de savoir dans quelle direction ces imprécations ont été lancées, car au vivant de ces hommes, notre identité nationale n’était pas clairement déterminée, du fait de l’aliénation coloniale et notamment de l’ethnicisation de notre histoire et de notre géographie. Les mêmes ethnies étaient à la fois le sujet et l’objet des mêmes chroniques locales et occupaient les mêmes espaces géographiques. En effet, ce sont ces illusions perdues qui, jusqu’à présent, nous mènent par le bout du nez à de mauvaises directions, dans notre montée pénible au sommet.

 

   Dans la perspective qui m’est propre en tant qu’intellectuel totalement engagé dans mon rôle de critique social, je n’aperçois à l’horizon qu’une seule porte de sortie du fondamentalisme religieux : libérer les jeunes âmes croyantes du joug qu’on leur impose au nom de la religion. Tout homme normal refuse l’asservissement. Ce refus ne saurait être partiel ou hypothétique, mais catégorique, total. Cependant le refus, tout refus à caractère psychologique, peut revêtir des formes contradictoires, allant de la violence aveugle jusqu’au reniement volontaire de la liberté. Qu’un homme libre soit volontairement soumis à l’autorité morale ou politique d’un autre homme plus libéré des contraintes de toutes sortes, plus doué, n’est qu’une contradiction apparente que l’on peut résoudre dans le cadre d’une herméneutique psychologique appropriée. On est soumis volontairement parce qu’on est à l’aise dans l’aliénation. C’est ainsi qu’on renie sa responsabilité par la réduction au néant de sa personnalité, sous l’effet de la contrainte ou de la persuasion. Ici la logique grotesque à l’œuvre est que, pour être libre il faut toujours se soumettre. C’est dans le domaine de la spiritualité que l’aliénation peut prendre des formes diverses et antinomiques. La particularité d’une telle situation de l’homme libre mais asservi, tient de ce que l’aliénation spirituelle a pour origine l’aliénation économique. C’est pour des raisons purement économiques que l’homme est aliéné. Il est inadmissible qu’on attribue la responsabilité de l’aliénation à une seule classe sociale d’une certaine intelligence exceptionnelle. Nous tous, surdoués comme sous-doués, en sommes coupables, sans exception. L’aliénation, selon Camus, est un « péché collectif ». Nous en avons fait une base de notre système social, et la structure de notre pensée spirituelle et religieuse lui sert d’alibi et de justification.

 

   Une alternative à cette réaction doucereuse à l’aliénation est le recours à la violence et à la destruction dans le sens d’une libération totale. Ce qui donne naissance à l’extrémisme religieux et ses multiples corollaires sanglants. La lutte contre l’aliénation économique et spirituelle nécessitera donc l’ouverture simultanée de plusieurs fronts.

 

   Le pire handicap d’une nation est l’incapacité de ses leaders de cerner le sens véritable de l’Histoire et de capter ses aspects tragiques. Le sens de l’Histoire n’est pas celui que déterminerait une drôle de lutte livrée à l’extrémisme religieux. La grandeur d’une nation se mesure à l’aune de la capacité de ses grands hommes de tirer pertinemment les leçons du passé historique, afin d’agir sur le présent et poser les actes prioritaires pour l’avenir. C'est une fausse assertion de dire qu'une nation est grande parce qu’elle est belliciste ou guerrière. La lutte armée entre pays ou entre civilisations est le facteur le plus efficient de l’instabilité et du fiasco dans la gestion des affaires publiques. Le terrorisme est un monstre endormi. Il peut rebondir à tout moment et causer un désastre, s’il est jamais réveillé. S’attirer les foudres du terrorisme islamiste n’est pas un critère valable de grandeur.

 

                                               Babacar Diop


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Anonyme - #1

L\'article Est Publié Aujourd\'hui Dans Le Journal Du Quotidien

le Jeudi 13 Août, 2015 à 20:09:05RépondreAlerter

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