Un océan de vide

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  • Article ajouté le : 22 Mercredi, 2014 à 15h24
  • Author: babacar diop

Un océan de vide

La politique est une tragédie au sens hellénique du terme, dont les personnages sont des êtres concrets qui ne portent pas de masques. On le sait, les personnages du drame antique n’étaient pas plus réels que les ombres ou les masques portés pour donner une impression de réalité. La politique est une tragédie pour un sujet pensant et agissant à la fois, avec tout le sérieux que l’action et la pensée nécessitent pour modeler le destin de l’homme. Le monde politique est un monde tragique. Et portant l’homme se conduit comme si la politique n’était qu’une comédie. L’apparence ironique tient à cette exaltation continuelle de la conscience politique classique submergée par un océan de vide. Elle tient à cette évocation qui, en dernière analyse, n’est qu’une « stylisation nostalgique » d’un système philosophique dépassé. Or la tragédie est synonyme du néant. Toute tragédie suppose un  océan de vide, un univers mortuaire menaçant à tout moment de supplanter à ce monde peuplé  d’êtres vivants. Le monde tragique, depuis toujours, depuis les tout premiers âges de l’Humanité historique sur terre jusqu’à nos jours, est habité de mortels et de morts. Tout drame véritable aboutit fatalement au néant. Le monde politique est un univers d’hommes civilisés et de bêtes sauvages. Or le monde animal, comme l’ont bien vu les auteurs de La dialectique de l’Aufklarung, Adorno et Horkheimer, est un monde sans concepts. C’est ainsi que l’animal politique ignore de façon absolue les concepts de base de la morale catégorique : la liberté, la responsabilité, la justice et l’égalité entre les êtres vivants. L’animal politique, pour qui la morale est étriquée, étroite, clame haut et fort son innocence et sa candeur d’enfant. Il se refuse catégoriquement à assumer la responsabilité des malheurs qui s’abattent sur nos têtes. Il a recours à tous les subterfuges pour que nous croyions dans notre for intérieur que la victime est elle-même responsable de son propre trépas, et on le croit sur parole pour que les choses bougent, pour que la vie aille de l’avant. La régression, la marche à reculons est la pire catastrophe qui puisse jamais arriver à la race. Faire l’impossible  afin de l’écarter du chemin qui mène au sommet est la seule voie du salut.

 

    Il y va de l’intérêt de la politique que toute morale soit relative, que tout système éthique soit relativiste à l’extrême, qu’il n’y ait pas de critère absolu, universellement valable. Il n’y a pas de mal à ce que l’on exerce tel ou tel type de violence sur tel ou tel type d’hommes, tant que le système moral local l’accepte. Que faire de la morale objective de l’extérieur tant qu’il y a une éthique interne en vigueur ? Voila les implications logiques de notre conduite morale. Nous haïssons au fond de nous-mêmes la morale objective. L’objectivité est une catastrophe pour nous. Il faut l’écarter, cette objectivité maudite, du chemin qui nous mène directement au néant.

 

   L’animal politique écoute avec indifférence les complaintes et les imprécations des individus solitaires. Il ne les écoute même pas. Car tout simplement il n’a ni le temps ni l’audace de les écouter et n’en aura jamais jusqu’à la fin de sa vie d’animal politique. D’ailleurs est-il possible que la vie politique ait une fin ? Aura-t-elle un terme au-delà duquel il n’y a pas de vie ?  C’est une essence totalement indépendante de l’existence concrète et contingente à la fois. Tant qu’il y a la vie sur terre, il y a de la politique pour policer la vie, pour la parfaire, l’organiser, l’entretenir. C’est là une question de naturalité. Tout ce qu’il y a à percevoir est que l’animal politique est contraint d’entendre les complaintes et les imprécations des hommes sur qui l’autorité publique s’exerce. C’est le bruit assourdissant des litanies proférées dans la solitude qui l’assaillit et le cerne de toute part. Pleurer seul, lamenter seul, mourir seul : ce sont là quelques uns des impératifs catégoriques  de la morale politique. L’animal politique prend avec désinvolture des positions et des décisions qui mettent en jeu l’existence des humains, sans s’en soucier des conséquences bénéfiques ou maléfiques. L’animal politique s’adresse avec sarcasme et ironie au prolétaire déguenillé en des termes méprisants. Sans que ce mépris et le dégoût qui l’a causé suscitent réellement un jugement de valeur. La pire des folies consiste à faire d’une nécessité l’objet du jugement de valeur. L’appréciation morale portée sur une conduite instinctuelle, inévitable, sur une simple réaction mécanique et incontrôlable à l’action de l’environnement naturel, est une impertinence caractérisée.

   

    Les formes tragiques de la vie sont rendues plus visibles dans l’univers politiques que partout ailleurs. Cela parce que le monde politique est un univers étriqué, étroit et ne peut pas contenir les formes variées de la vie. La vie est trop vaste pour qu’elle puisse s’être abritée dans l’espace fermé de l’univers politique. La vie est une ouverture, alors que la politique est un univers clos. Un combat tacite s’est engagé entre la vie et la politique depuis que les idéaux se sont imposés à l’imaginaire des hommes. Comment cela est-il arrivé alors que la politique est naturellement au service de la vie ? C’est que les idéaux de la vie ne peuvent s’accommoder des imperfections inhérentes au monde politique. Il s’y ajoute également que la politique affiche toujours des ambitions démesurées par rapport à l’étroitesse de l’espace où elle opère ses mouvements, par rapport à l’exiguïté de son champ d’action. C’est ainsi que les signes de l’étroitesse d’esprit se manifestent dans cette folle prétention à l’exclusivité des services rendus à la vie et à l’homme. La politique pense que c’est elle seule qui est habilitée à rendre service à la vie, et que tout autre champ d’activité serait pour elle un lieu d’encombrements, une zone de turbulences.

 

   La politique à elle seule constitue un monde à part, un univers parallèle, un espace isolé. Cet isolement est un garant pour des avantages et des privilèges liés à la fonction politique. Les hommes qui ne l’exercent pas savent et acceptent bon gré malgré qu’ils n’aient pas des prérogatives à revendiquer des largesses et des honneurs impliqués. Les droits liés à l’exercice de ce type de fonction sont taillés sur mesure. Voila pourquoi nous disons que le monde politique est un espace fermé et qu’il n’est pas donné au commun des mortels de le pénétrer.

 

  « Bien que sous un aspect fortement sécularisé,  écrit Marcea Eliade, le monde moderne conserve l’espoir eschatologique d’une rénovation universelle, opérée par la victoire d’une classe sociale, ou même d’un parti ou d’une personnalité politique ». A notre qualité, ou plus exactement à notre défaut, d’habitants d’un monde archaïque, nous devons penser que la fonction politique la plus noble est de renouveler notre univers de façon cyclique. La lutte contre le vieillissement est une lutte impérative, un combat permanent. C’est une exigence vitale que chaque renouvellement cyclique soit appelé à être plus performent que celui qui le précède. Voila le sens du progrès. La question pressante est de savoir si nous pensons ou non au renouvellement cyclique de la vie, si nous faisons ou non ce qu’il faut pour opérer les changements. Avant de passer à l’acte il incombe au sujet historique d’abord de reconsidérer l’idée, de la réévaluer.   

 

   Le monde politique est fait de contradictions, de problématiques, de problèmes sans solutions. Il est un drame, mais aussi une comédie. C’est un monde de drame parce que la mort d’êtres innocents y est fortement impliquée. C’est également un univers comique, parce que l’être et le paraître chez le sujet historique y sont contradictoires. Les acteurs politiques ne cherchent que d’être crus sur parole. Les prendre au sérieux est le cadet de leurs soucis. Nonobstant son essentialité humaine, le monde politique est un océan de vide.

                                        

                                                   Babacar Diop


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