Enfant victime ou auteur de violence : Que faire ? Professionnellement.

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  • Article ajouté le : 13 Mardi, 2017 à 14h06
  • Author: oumar ndiaye

Enfant victime ou auteur de violence : Que faire ? Professionnellement.

Les enfants sénégalais savent être si violents qu’ils surprennent dans leur passage à l’acte tous ceux qui n’ont pas le regard exercé à décoder ce que les adultes exposent au quotidien  devant nos tout-petits: violence physique, verbale, psychologique, sexuelle, culturelle, médiatique, socioéconomique, religieuse (prosélytisme fanatique) etc…En effet, le Sénégal est loin d’être le havre de paix que nous claironnons à tout bout de champs. A la bonne école de leurs parents, nos garnements sont le fruit de notre société, telle que nous refusons de l’admettre.

La violence de nos enfants, contre les adultes, sur d’autres enfants et sur eux-mêmes, est telle qu’il devient presque téméraire de chercher un soupçon d’innocence ou de non discernement dans leur agir. D’ailleurs, la délinquance juvénile n’existe pas en soi, si l’on sait que tous les crimes et délits commis par les jeunes sont les mêmes que commettent les adultes ; seuls ou en bandes organisées, les jeunes sont sur tous les champs de la délinquance et du crime.

Au cours des échanges sur la problématique avec Madame Fatou Ndiaye Kamara, Educatrice Spécialisée – Formatrice en Justice juvénile, Directrice du Centre de Sauvegarde de Pikine-Guédiawaye, une dissonance cognitive à laquelle bute tout éducateur spécialisé dans l’exercice de ses fonctions de prise en charge et de protection de l’enfance  est souvent revenue dans nos débats:  comment agir sur les sources de la vulnérabilité des enfants sans leur dénier toute responsabilité dans leur malheur ? Est-il possible de corriger un comportement déviant sans une action coercitive de correction sur le mineur qui ne s’affirme qu’en s’opposant à l’autorité de l’adulte ? Cette difficulté se démultiplie davantage dans le cadre de la violence où souvent auteur et victime sont tous les deux mineurs à protéger et à éduquer.

La violence des jeunes, de plus en plus spectaculaire et amplifiée par les médias, est un sujet d’actualité qui interpelle la communauté toute entière. Les conséquences sur le plan psychosomatique, émotionnel et cognitif sont inestimables. La diversité des acteurs et la pluralité des interventions en matière de prise en charge indiquent clairement la nécessité d’une synergie, notamment la consolidation du schéma intégré de prise en charge en cours d’expérimentation  dans le nouveau contexte de mise en œuvre de la stratégie nationale de protection de l’enfant partiellement adopté (sous réserve) en décembre 2013. Les violences faites ou subies par les enfants sont multiformes. Les plus récurrentes sont : l’exploitation de par la mendicité, le mariage précoce ou forcée, le viol des filles comme des garçons, le cyber harcèlement, la négligence lourde,  la traite des enfants, la prostitution, l’utilisation des enfants à des fins pornographiques, l’utilisation des enfants dans les conflits armés…

Cette violence du fait des proches ou de personnes de confiance, au sein des familles (parents et fratrie), dans la rue et auprès des voisins se cristallise le plus souvent dans les rapports avec l’éducateur spécialisé, obligé toute fois d’avoir toujours en ligne de mire l’éthique de responsabilité vis-à-vis de la détresse d’autrui. Cette congruence l’amène professionnellement à presque transformer  constamment le mineur auteur  de violence en une victime sociale dont l’infortune serait dans une socialisation ratée, voire une éducation à reprendre et à réajuster. Et c’est là que le travail de l’éducateur spécialisé, mandaté par le juge, revient à transformer un délit ou même un crime en « une injustice à traiter socialement ».

Très souvent, l’éducateur spécialisé, devant le Tribunal Pour Enfants, face à la victime(en sang et en larmes) à côté de ses parents, est amené à démontrer que l’auteur est aussi victime que sa proie. Il est dans son rôle, difficile à comprendre pour le profane, de solliciter la clémence du Juge en invoquant le non discernement et l’éducabilité du jeune délinquant. La plaidoirie éducative est telle que souvent, éducateurs et magistrats arrivent à en oublier la victime qui elle aussi demande  justice et mérite réparation et  prise en charge.

Force est d’admettre cependant que malgré les avancées significatives en matière de  protection et de prise en charge, le Sénégal dont une grande partie  de la population est constituée de jeunes : 48,25 % moins de 18 ans, 17,29 % moins de 5 ans (selon l’ANSD 2013) est toujours confronté  à la problématique de l’enfant en situation de vulnérabilité, victime de violence ou d’abus de toutes sortes.  Ces enfants à classer dans la catégorie de ceux dits en danger moral deviennent presque invisibles tant la définition que lui accorde la loi ratisse large : L’enfant en danger moral correspond à l’ensemble des enfants en risque et des enfants maltraités pris ou non en charge par le système judiciaire ou social.

 Aux termes de l’article 293 du Code de la Famille et de l’article 594 du Code de Procédure Pénale, l’enfant en danger moral est « le mineur de 21 ans dont la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation sont compromises ou insuffisamment sauvegardées ». Le danger moral ainsi accepté, se transforme en une situation qui peut être « saisie par le droit ».

L’Enfant victime(en danger moral) a, en effet par ordonnance du Juge, droit à la protection, à un accompagnement psychosocial, à une prise  en charge médicale, à une médiation. Atteint dans son intégrité physique ou psychologique (abus, mauvais traitements, négligence, violence…) par une personne ou des personnes, majeures ou mineures, connues ou étrangères, il revient dès lors à l’éducateur spécialisé, fort de la décision judiciaire, de travailler en réseau à bâtir autour de cet enfant, directement ou par référencement, une équipe pluridisciplinaire pour répondre au mieux aux impératifs de la prise en charge et/ou du projet éducatif.

Dans cet accompagnement du mineur victime ou auteur sous-main de Justice, il s’agira d’agir avec prudence et tact en protégeant l’enfant  placé ou suivi de toute forme de stigmatisation  qui risque de l’affecter dans l’ immédiat et plus tard du seul fait de ses relations avec le Tribunal, les services AEMO ou des Centres. C’est d’ailleurs ce que redoutent les parents ou point de choisir l’omerta autour des abus sexuels, où l’enfant est souvent de sexe féminin et est victime dans sa propre famille (frère, oncle, cousin ou père biologique).

Face à l’enfant auteur de violence, cette action de protection va de pair avec un processus de responsabilisation afin qu’il se sente concerné par son devenir d’où la nécessité d’inscrire le tout dans le cadre d’un projet éducatif.

Ainsi donc, devant l’auteur et la victime, depuis le tribunal, l’Educateur spécialisé s’évertue à développer une activité de médiation et de conciliation entre la victime et le « coupable ». Dans le cas d’un viol, il ne suivra pas l’arrangement socio familial qui voudrait que la victime, pour « sauver son honneur », épouse son violeur. «  Il devient plutôt un agent de « résilience » qui doit, pour ce faire, prendre appui sur le statut de victime, non pour demander réparation, mais pour agir sur la logique victimaire des usagers afin de les rendre capables d’apprentissage. » Comme dirait Boris Cyrilnuk, trouver du merveilleux dans le malheur et déclencher le processus de l’oxymoron.

C’est cet « art de l’ordinaire » qui conduit l’éducateur  spécialisé à rendre le miracle si banal  en favorisant d’emblée l’expression du vécu et des émotions dans un processus de soutien psychosocial à l’enfant  qui autrement pourrait basculer dans le déni ou le refoulement. L’occasion est ainsi donnée à l’enfant de s’exprimer selon son rythme propre à l’appui de métaphores pour l’aider à mettre des mots sur ce qu’il a vécu et sur ce qu’il ressent.

En ses qualités d’animateur, l’éducateur spécialisé utilise des moyens ludiques pour aider à ce que le vécu et le ressenti  soient  exprimés tout en développant les talents de l’enfant (dessins, pâte à modeler, contes, théâtres, écriture, musique, peinture, chants, photos …) : les grands blessés de l’âme sont très souvent ceux qui ont le plus contribué à l’évolution des arts et des sciences….s’ils ne sont pas prophètes de Dieu tout bonnement.

L’éducateur spécialisé est formé aussi bien au  « case work » (travail social individuel), au travail social de groupe qu’à l’approche communautaire. Et  dans la prise en charge de l’enfant violant ou violenté, il encourage progressivement le jeune à évoluer avec le groupe de pairs afin de lui permettre de développer des habiletés  sociales. Ce travail se fait parallèlement à une formation professionnelle ou une scolarité en centre de sauvegarde, en centre d’hébergement ou en milieu ouvert.

A l’analyse, l’intervention de l’éducateur spécialisé se révèle comme une chaîne de pratiques professionnelles prudentielles qui renvoient à deux dimensions et composantes qui caractérisent  la prudence telle que définit par Aristote : «  une composante conjecturelle, les incertitudes dues à la singularité et à la complexité des cas à traiter, obligeant à faire des paris au cours du travail, et une composante de délibération sur les fins de l’activité, l’impossibilité de toujours servir de façon également satisfaisante toutes les fins de l’activité rendant inévitables des choix quant à leur hiérarchie. »

Toutefois, périodiquement, les ressources de l’enfant et l’évolution de son comportement sont évalués : vérifier sa sensibilité aux signaux précurseurs de danger ou de passage à l’acte, s’assurer qu’il connait les ressources auxquelles il peut faire appel en cas de danger, sa capacité à demander de l’aide, et le tout fait l’objet d’un rapport adressé au Juge pour enfants.

Toutes ses activités au quotidien, difficilement objectivables nécessitent un investissement personnel important et coûteux pour le professionnel à qui il est demandé en plus une neutralité émotionnelle sans faille… dilemme Cornélien !


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