SOUVENIR DU BAC : LE VÉHICULE DE YAMBA, IBRA DIOP ET MOI

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SOUVENIR DU BAC : LE VÉHICULE DE YAMBA, IBRA DIOP ET MOI

A Ibra Diop, Prof de Philo

Le Baccalauréat ! Premier diplôme universitaire. Grosse tension, stress et révisions fiévreuses, puis examen sous les yeux d’encouragement des parents et amis, et enfin délibération.

Moments historiques qui marquent à jamais la vie de tout candidat à cet examen quasi mythique.

La Bac comme on l’appelle communément me rappelle mes années de professeur de lettres modernes, au lycée d’enseignement général de Diourbel, de 2000 à 2004.

J’ai découvert les réalités du métier prestigieux et hautement important d’enseignant en ce lieu auquel je suis fortement attaché. Je m’y suis lié d’amitié avec des collègues sympathiques qui marqueront à jamais ma vie.

Parmi eux, figure en bonne place Ibra Diop, Prof de philo. Un homme sympa, simple attachant qui me porte une affection fraternelle et dont la lucidité contrastait fortement avec mon caractère impétueux et déluré de jeune impertinent et casse-cou.

Nous sommes en 2002.

Par pur hasard, nous sommes tous les deux désignés pour aller siéger au lycée Djinabo de Ziguinchor en qualités de correcteurs.

A l’aller, aucun problème, nous avons tant bien que mal rallié la ville, où nous arrivâmes méconnaissables, tout couverts de poussières et de sueur du fait des travaux sur le trajet.

La route Dakar-Kaolack avait été en effet décapée, et les véhicules passaient alors par Diourbel pour rallier la capitale.

Nous avions passé un excellent séjour.

Et nous nous étions acquitté de notre tâche, avec rigueur et professionnalisme.

Enfin, vint l’heure du retour. Nous prîmes congé chacun de nos hôtes, moi de Seydou Sané, mon tuteur sur place avec qui je garde jusqu’à présent une relation privilégiée.

Arrivés à la gare routière de Ziguinchor, nous apprîmes qu’il y avait une grève des transporteurs. Et, de fait, les véhicules du Sénégal circulaient uniquement sur le territoire sénégalais, et les véhicules gambiens itou.

De ce fait, nous prîmes donc un car ndiaga ndiaye qui nous déposa tous les deux à Sénoba, avec une halte fort utile en route qui nous permit chacun d’acheter un sac de fruits casamançais fortement prisés à Diourbel, les mangues et les fameux « madd » dont raffole la gent féminine.

A Sénoba, nous changeâmes de véhicule, et voyageâmes dans un minicar à destination de Keur Ayib, la frontière Sénégalo-Gambienne d’où nous devions prendre encore un véhicule de transport sénégalais, pour rallier enfin Diourbel.

Nous arrivâmes à la traversée du bac, et descendîmes du mini car. Nous étions Ibra Diop et moi accoudés à la rambarde du ferry qui faisait la traversée, et discutions sur l’heure à laquelle nous allions arriver à destination. A côté de nous se tenaient deux hommes, dont l’un engagea la conversation.

Il nous salua et nous demanda où nous allions. Nous lui répondîmes que nous nous rendions à Diourbel.

Il dit : « Je voyage sur Dakar avec mon véhicule particulier, mais mon châssis est bas. Si vous n’avez pas trop de bagages, je pourrais vous amener jusqu’à Diourbel, à charge pour vous de contribuer pour l’essence ».

Le second homme qui était à côté de nous sauta aussitôt sur l’occasion, et lui dit qu’il n’avait lui aucun bagage.

Nous lui dîmes que nous avions chacun de nous un petit sac de voyage, et un petit sac de fruits.

Il nous proposa de nous accompagner à notre véhicule, pour voir s’il lui serait possible de nous amener.

Nous allâmes à notre mini car et hélâmes l’apprenti qui descendit nos bagages.

L’homme dit : « Pas de problèmes, ça ira ».

Nous remerciâmes le chauffeur du mini car et son apprenti, et prîmes congé d’eux, tout heureux d’avoir trouvé un moyen de transport plus confortable.

Et, effectivement, son véhicule était confortable : une BMW 530 I !

L’homme qui n’avait aucun bagage s’installa tranquillement à l’avant tandis que Diop et moi prîmes nos aises sur la banquette arrière.

Sur son fauteuil avant, était nonchalamment enroulé une belle tenue treillis.

Le ferry accosta enfin.

L’homme attacha quelques fils qui pendaient au bas du volant, et le puissant bolide vrombit si puissamment que mon cœur en soupira d’aise.

Je remarquai machinalement toutefois qu’il y avait pourtant les clefs au contact.

Le chauffeur du véhicule était élégamment habillé. Il portait un body blanc, et des chaussures Nike air sur amortisseurs.

Très athlétique, il tenait à portée de main une bouteille d’eau minérale et respirait la forme.

Dès que nous sortîmes de la zone du ferry, il mit la gomme et lança la musique.

Alioune Mbaye Nder et son fameux diapason, un must !

A toutes les haltes militaires qui jalonnaient la route, l’homme ralentissait, faisait un salut militaire et repartait de plus belle ! La seule halte où il échangea deux mots avec les gardes fut celle de farafeny.

Il en fut ainsi tout le chemin. Quand sa cassette de mbalakh arriva à la fin, je lui glissai la mienne, une cassette de l’album rap de NAS, Stillmatic.

J’étais aux anges.

Je lui demandai qu’est-ce qu’il faisait comme job, en Gambie, ce à quoi il répondit qu’il était officier supérieur dans l’armée, et allais à Dakar rendre visite à son épouse.

Nous étions admiratifs Diop et moi. Un officier en Gambie roulait en BMW série 5 injection, alors que nous professeurs d’enseignement secondaire au Sénégal, n’avions même pas de vélo. Il y avait de quoi avoir envie de renaitre en Gambie et d’être officier supérieur !

A Keur Ayib où nous arrivâmes enfin, les militaires en faction nous intimèrent l’ordre de stopper sur le bas-côté.

L’homme baissa sa vitre, et leur fit un salut militaire impeccable.

L’un des militaires en faction lui dit, en anglais : « Tu as dit à nos collègues de Farafeny que tu es militaire, est ce vrai ? »

Notre chauffeur répondit, en anglais : « en effet, mais je ne suis plus en fonction »

Et l’autre de lui dire : « A qui appartient cette tenue accrochée au siège avant » ?

Il répondit : « A moi, mais tu peux le prendre »

Le militaire ignora sa proposition et lui demanda : « Tu es de quelle classe » ?

Il baragouina quelque chose. Le militaire lui objecta que ce n’était pas vrai, car son collègue en faction et lui-même étaient de cette classe-là, et ne le connaissaient pas !

Puis il se tourna vers nous et nous demanda : « Vous connaissez celui avec qui vous voyagez » ?

Nous lui répondîmes que non, et lui montrâmes nos convocations de bac, après lui avoir expliqué que nous nous étions rencontrés sur le ferry et qu’il s’était proposé de nous conduire jusqu’à Diourbel, puisqu’il allait à Dakar. Celui de devant dit la même chose.

Le militaire se retourna vers notre chauffeur et lui demanda : « Donnez-moi la carte grise du véhicule ».

Le chauffeur dit qu’elle était entre les mains de la gendarmerie de Nioro, et qu’il comptait la récupérer durant son voyage.

Le militaire lui demanda son permis de conduite. Il répliqua qu’il était aussi entre les mains de la gendarmerie sénégalaise.

Le militaire lui dit alors de bien ranger son véhicule sur le bas-côté.

Et il se retourna vers nous et nous dit : « Descendez et prenez un autre véhicule, celui-ci ne part plus » !

Nous débarquâmes prestement nos bagages et Ibra Dipp entreprit de trouver une charrette tandis que je gardais les bagages en l’attendant, en compagnie de notre troisième compagnon de route.

Notre chauffeur ne tenait plus en place.

Il sembla soudain pris d’une envie de boire et nous dit qu’il allait acheter de l’eau dans la boutique en face.

Il entra, puis sortit et passa devant nous pour dire qu’il allait dans la boutique de l’autre côté de la route où il aurait certainement une bouteille d’eau minérale.

Il entra dans la boutique, sorti par la porte latérale, et prit aussitôt ses jambes à son cou !

Les militaires gambiens et notre compagnon de voyage, aidées des cokseurs de la gare routière se lancèrent aussitôt à ses trousses, sous les cris des badauds et autres spectateurs qui regardaient cette course poursuite en pleine brousse.

Il fut rapidement capturé.

Sous la bonne escorte des militaires gambiens qui lui firent une belle fête aussitôt, il lui fut exigé d’ouvrir les portières de son véhicule pour une fouille plus approfondie.

Quand les portières furent ouvertes et que les militaires gambiens levèrent les sièges et les dossiers sur lesquels nous étions installés, parut au grand jour la plus formidable cargaison de chanvre indien soigneusement emballée en paquet comme de sucre scotchés, partout où il y avait de l’espace pour en glisser un !

Le regard que les militaires gambiens nous jetèrent fut terrible, et nous fit trembler de tout notre corps, Ibra Diop revenu entre temps avec une charrette, et moi.

C’est en cet instant précis que le destin s’en mêla !

Le chauffeur du minicar et son apprenti qui étaient entre temps arrivés nous reconnurent et nous interpellèrent pour nous demander qu’est-ce que nous faisions là, depuis le moment où nous les avions laissés au ferry.

Nous les priâmes de venir témoigner pour nous et de confirmer que nous ne connaissions pas le chauffeur, grand trafiquant de drogue qui venait de se faire épingler.

Ils acceptèrent de bonne grâce.

Nous fûmes tous conduits manu militari au bureau du boss du poste, pour nos dépositions.

Le témoignage du chauffeur du minicar, et notre discours appuyé par nos convocations de bac nous sauvèrent.

Nous reçûmes l’autorisation de traverser la frontière, et fûmes heureux et soulagés de retrouver nos compatriotes qui s’extasièrent devant notre chance infinie de nous extraire des griffes des militaires gambiens avec ce scandale, sans coup férir !

16 ans après, Ibra Dip reprend la Trans gambienne, pour aller corriger encore le bac en Casamance, à Kabrousse.

Cette fois-ci, ce sera sans moi !


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