Les médicaments de la rue en Afrique: A qui profite le crime?

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  • Article ajouté le : 01 Vendredi, 2013 à 12h28
  • Author: Mister Sene

Les médicaments de la rue en Afrique: A qui profite le crime?

Médicaments de la rue, pharmacie par terre, marché parallèle des médicaments, marché illicite des médicaments, vente clandestine des médicaments, voilà des termes qui désignent la même catastrophe ; celle de la vente des médicaments, des produits cosmétiques, diététiques et vétérinaires hors de tout circuit légal en violation délibérée de toutes les bonnes pratiques pharmaceutiques.

Au su et au vu des pouvoirs publiques et des instances internationales de règlementation, dès le début des années 801, l’Afrique toute entière voit émerger ce commerce illégal des médicaments. Illégal parce que la fabrication ou l’importation, la détention ou la distribution et la vente de ces médicaments ne sont conformes à aucune norme pharmaceutique. Je cite le Docteur Michel ODIKA en ses termes : les médicaments de la rue sont une « Exploitation commerciale et criminelle de la détresse sociale et existentielle des populations, un Mécanisme de compensation et d’adaptation aux inconsistances et incohérences d’un système de santé, une Entorse à l’Etat de droit et aux Droits de l’Homme, préjudiciable à la sécurité publique et à la santé publique »11. Qualifié de « crime pharmaceutique », les médicaments de la rue en Afrique sont tout au moins un crime contre l’humanité car c’est un empoisonnement lucratif et intentionné de centaines de millions de consommateurs. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 200 000 décès par an sont justiciables aux seuls antipaludiques non conformes. Un chiffre très en deçà de la réalité vue l’ampleur de ce trafic.

Une analyse de quelques études menées en l’occurrence sur le continent africain.

Origines des médicaments de la rue en Afrique : contrefaçon, malfaçon, détournement…

On peut décliner les origines de ces médicaments en origines internes (légales) et en origines externes (illégales). 
Origines internes : il s’agit de détournement des bons médicaments, des médicaments périmés ou à échéance de péremption proche des établissements sanitaires publics et privés y compris les pharmacies d’officine ; les échantillons médicaments gratuits servant à la promotion des spécialités pharmaceutiques ; le détournement de dons de médicaments octroyés aux organisations caritatives et aux formations sanitaires…
Origines externes : ce sont les médicaments issus de la contrefaçon et de la malfaçon. 
La malfaçon fait voler en éclat la déontologie des laboratoires pharmaceutiques qui desservent illégalement les gangs de contrebande en médicaments n’ayant pas satisfaits aux critères de libération de lot, et en médicaments périmés ou altérés devant être détruits. Le fait est déjà admis par l’OMS quand elle introduisait la notion « intention frauduleuse» pour différencier les médicaments malfaits des firmes pharmaceutiques de ceux contrefaits par les mafias de contrebande12. Philippe, un fonctionnaire camerounais, récuse les laboratoires pharmaceutiques en ses termes « – les infirmiers se ravitaillent chez ces vendeurs de la rue parce qu’ils savent que ces sont les mêmes délégués médicaux qui livrent ces médicaments aux vendeurs de la rue, aux médecins dans les hôpitaux et parfois aux pharmaciens – »5. Il s’agit là évidemment de médicaments malfaçonnés, périmés ou altérés en provenance des laboratoires pharmaceutiques qui sont ainsi déversés intentionnellement dans les pharmacies par terre en Afrique. 
La contrefaçon quant à elle, est entretenue par des puissantes mafias. Elles sont basées au Nigeria, au Ghana, en Chine, en Inde, en Thaïlande et desservent l’Afrique toute entière en faux médicaments. Hormis le circuit clandestin leur principal destination, ces mêmes médicaments contrefaits, sont de surcroit frauduleusement introduits dans les circuits légaux pharmaceutiques. A ce sujet, The Lancet publiait en 2006 une enquête indépendante évaluant à 60% le taux de faux médicaments circulant en Afrique.

Différentes familles pharmacologiques retrouvées dans les médicaments de la rue

Les antalgiques représentent en volume la famille la plus vendue avec un taux de 80.63%, suivie des anti-inflammatoires 7.85%, les antipaludiques 6.80%, les antibiotiques 2.10%, les autres familles 2.62%2 comprenant les psychotropes, stupéfiants (amphétamines, morphines), les orexigènes, anabolisants, anti-acides, les complexes vitaminiques, antiparasitaires, corticoïdes, les médicaments cardiovasculaires… Toutes les formes galéniques sont retrouvées, des injectables au comprimés en passant par les sprays, les suppositoires, les sirops, collyres, pommades, comprimés, les poudres… 
Qualitativement, on y trouve des médicaments placebos, des médicaments sous-dosés, normo-dosés et sur-dosés en leurs principe actifs, des médicaments aux matières premières de qualité médiocre (impuretés inadmissibles, excipients falsifiés, excipients toxiques). Selon le Pr H. CHADER, pharmacologue à Alger, la teneur normale en principe actif n’est pas le seul gage de sécurité des médicaments, la qualité des matières premières et leur taux d’impuretés sont déterminants3.

Vendeurs des médicaments de la rue

Le commerce mafieux des ces médicaments emploie en majorité des illettrés comme vendeurs, au mieux quelques lettrés ou des instruits chômeurs mais profanes du domaine pharmaceutique et médical. Pour preuves, voici quelques aberrations sur le marché de Niamey: ANAFRANIL® (clomipramine, antidépresseur) est conseillé comme aphrodisiaque ; NIFLURIL® (acide niflumique) est indiqué dans les affections dentaires, articulaires, osseuses et comme antibiotique des plaies suppurées ; VALIUM FORT® (diazépam, anxiolytique) indiqué contre la fatigue ; ibuprofène contre la fatigue4. En Mauritanie, ALBIDIOL® (vermifuge vétérinaire) est utilisé dans une pratique séculaire «grossir pour être aimé ».
A Dira, un village du Burkina Faso comme ailleurs dans ce pays profondément touché par le trafic des médicaments de la rue, des gélules présentées comme antigrippales sont conseillées aussi contre les maux de ventres. Les vendeurs indiquent par ailleurs que ces gélules doivent être décapuchonnées et les poudres sont à dissoudre (suspension) avant d’être bues. La même suspension, beaucoup plus concentrée est administrée en injection chez les bovins, ovins et les caprins contre les syndromes grippaux.

Lieu de vente, style de vente des médicaments de la rue

Ces médicaments sont vendus en pleine rue sur des étalages exposés au soleil, à la poussière, à l’humidité, à même par terre ; dans les marchés populaires où de surcroit certains vendeurs détiennent des numéros de patente, cas au marché de Niamey3 ; livrés aux consommateurs dans leur domicile ou dans leur lieu de travail (stratégie porte à porte). A l’achat, quelque soit l’origine du médicament de la rue, ce sont tous de faux médicaments au regard des conditions de détention et de distribution au gré des aléas climatiques, qui, somme toute, sont incompatibles avec l’innocuité, l’efficacité, la qualité et la légalité des médicaments. Dans les villes comme dans les villages, ce trafic sévit la population à une proportion infernale. 
Dans certaines zones défavorisées à Ouagadougou au Burkina Faso, 47.75% des habitants ont recours aux médicaments de la rue dont 78.53% en automédication, 16.23 % avec une ordonnance prescrite par des médecins, 5.24% sur conseil des tradipraticien2.

Causes de l’émergence du trafic des médicaments de la rue

Après trois décennies d’intoxication massive, le trafic des médicaments de la rue règne impunément, preuve de l’insouciance des décideurs politiques et de l’ignorance des consommateurs. La précarité de la couverture sanitaire conjuguée à la cherté des médicaments et des prestations médicales est à mon sens le meilleur argument en faveur du commerce galopant des médicaments de la rue. 
Dira possède un dispensaire au service de 06 villages environnants, tous situés à au moins 06 kilomètres à la ronde, tous difficiles d’accès surtout en saison pluvieuse car tous enclavés. Il est alors évident que les médicaments de la rue comble au grand bonheur des habitants ce manque criard de formation sanitaire ! Donc il s’agit avant tout d’une question de proximité. « Mais on n’a pas le choix. Nos revenus ne nous permettent pas d’aller en pharmacie. Même si on peut y trouver la mort, on n’y peut rien », déclare Sylvie, vendeuse de fruits au marché Accacias (Cameroun)5.
La misère, le chômage et l’abandon scolaire des jeunes sont un lit pour la prospérité du commerce illicite des médicaments, car offrent des employés pour ce marchandage illicite.
On peut arguer pour le manque de règlementation du circuit pharmaceutique, le contrôle douanier du trafic des marchandises très corrompu, le dérapage déontologique des pouvoirs étatiques et de certains professionnels de santé. 
La corruption et le clientélisme des pouvoirs étatiques où sont impliqués les hauts responsables gouvernementaux, laissent le champ libre à l’expansion du trafic. En témoigne la confrérie des mourides qui gère le plus puissant réseau de médicaments de la rue au Sénégal6.

Des conséquences sanitaires, sociales – désastreuses

En premier plan, les conséquences sanitaires sont les plus atroces et révoltantes. Elles relèvent essentiellement de l’automédication, des indications erronées, des erreurs médicamenteuses, des surdosages, de l’abus, du mésusage, des syndromes de sevrage, de l’inefficacité thérapeutique, des produits défectueux (produits toxiques de dégradation), des produits de mauvaise qualité (impuretés toxiques ou dose supérieur à la Dose Journalière Admissible), de la pharmacodépendance… Il s’agit d’intoxications cliniques aigues ou chroniques, d’échecs thérapeutiques, de développement de résistance aux antibiotiques, aux antipaludiques… « Un Monsieur – a acheté du Mentezol pour déparasiter ses trois enfants – à peine avait-il donné le médicament aux enfants que deux sont morts. Le troisième a été sauvé de justesse » déclare le Docteur Joseph Tchouafong, un pharmacien Camerounais5. L’abus des anabolisants chez les filles jeunes filles en Cote d’Ivoire est bien une triste réalité, où les gros seins (lolo) et les grosses fesses (bobaraba) font office à en croire des « canons de beauté»7. En Mauritanie, avec l’avènement des médicaments de la rue, le « gavage » par le lait est de plus en plus suppléer par les corticoïdes. Selon le Docteur Ahmed Ould Eba, cardiologue à l’hôpital cheikh Zaid de Nouakchott, l’usage des corticoïdes en vue d’accroitre la masse corporelle des jeunes filles a contribué à la hausse du taux d’obésité morbide, l’HTA morbide, des arthroses, les pathologies vasculaires et orthopédiques8.
Au plan social, le retentissement de ce trafic est une vraie hantise par l’ascension de la délinquance, la criminalité, la toxicomanie, le vagabondage sexuel, la flambée des avortements clandestins, car les adeptes ont à leur disposition toutes les classes pharmacologiques nécessaires. 
Au plan économique, c’est une perte importante de la part du marché aux pharmaciens qui n’ont autre source de rémunération que les marges sur la vente des médicaments. Pour le fisc et la douane des pays, c’est une fuite importante de taxes. 
Au plan juridique, d’après la convention 182 du bureau international du travail (BIT), il y a violation des droits de l’enfant par leur recrutement aux fins d’activités illicites9, ici, le trafic illicite des médicaments et des stupéfiants.

Des actions politiques dignes en attente

Les ordres nationaux des pharmaciens de bon nombre de pays africains et l’Inter-ordre des pharmaciens d’Afrique ont non seulement interpellé les pouvoirs publics à agir, mais ils tentent difficilement de sensibiliser les consommateurs du danger qu’ils encourent par la consommation des médicaments de la rue. Le Réseau Médicaments et Développement (ReMed) est une des organisations professionnelles internationales qui militent pour l’endiguement de ce phénomène. Quant à l’action des pouvoirs publics, des cas sporadiques de saisies et de destructions de quelques échantillons de faux médicaments sont brièvement médiatisées demeurant tout de même dérisoires voire hypocrites. Au nom de sa fondation le 12 Octobre 2009 à Cotonou, devant un parterre des présidents du Bénin, Togo, Sénégal, Burkina Faso, Congo Brazzaville, Niger, Centrafrique, Jacques CHIRAC, ex-président français a appelé à la tenue de l’adoption d’une « Convention internationale de lutte contre les faux médicaments ». Il disait en substance que « de toutes les inégalités, la plus blessante est l’inégalité devant la santé »10.

La nature criminelle de la vente illicite des médicaments de la rue en Afrique n’est plus à démontrer. L’impératif, c’est d’agir sans délai, avec toute la décence qu’il faudra afin de limiter les dégâts à court et à long terme de l’usage des médicaments de la rue.

C'était NGOOR

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Source:news.doccheck.com


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