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Samedi 13 Avril, 2024
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Hier matin, les réseaux sociaux bouillonnaient de textes et de commentaires, au sein de la communauté sénégalaise, au sujet des propos d’un professeur de philosophie sénégalais sur le plateau d’une émission de télévision. Dans un extrait qui circulait sur Internet, le professeur s’était exprimé sur le viol et parlait de la part de responsabilité des femmes qui feraient mieux de s’habiller de manière plus décente. Ce n’était pas la première fois que la communauté avait ce type de débat mais, fait intéressant, pour la première fois ce débat semblait plus équilibré. Je voyais moins de femmes qui disaient que « nous sommes trop aliénées à la culture occidentale, que nos mères ne nous ont pas éduquées ainsi, qu’il a raison, habillons-nous décemment », et je voyais également plus d’hommes qui réagissaient avec virulence, expliquant que les propos du professeur étaient tous simplement intolérables. Très vite donc, je me suis rendue compte que ledit professeur s’était, malgré lui, retrouvé dans l’arène d’une corrida et, contrairement à ce qu’il pensait sur le plateau de télévision, il n’était pas le toréador : il était le taureau.
L’Africain d’aujourd’hui se trouve à un carrefour à huit branches : entre quatre cultures en moyenne, entre deux siècles, entre deux millénaires, entre deux systèmes d’organisation sociale (la Royauté et la République). Et il doit faire des choix pour bâtir les fondations de l’Afrique de demain. Cela fait de lui un équilibriste. Un homme et une femme en permanence sur le fil, pesant chacun de leurs pas. Et si jamais l’Africain s’installe dans le confort de l’époque ancienne, en oubliant qu’il est sur un pont vers une époque nouvelle, qu’il se permet en plus d’appuyer sur l’accélérateur au mauvais moment et de la mauvaise façon, alors l’inévitable se produit : il frappe un mur.
Ce professeur venait de frapper un mur.
Alors, hier, j’ai voulu apporter ma petite contribution à ce moment spécifique de la Révolution Lente et Silencieuse menée par mon pays d’origine depuis plus d’un demi-siècle maintenant. Je devais sortir faire des courses, alors je me suis dit que j’allais simplement continuer dans la lignée de mes derniers textes sur les contes classiques et la prédation. J’ai donc fait un témoignage sur comment l’on se sent en tant que proie potentielle. Je ne me suis même pas relue, il y avait même une phrase qui manquait à la fin et une autre qui se répétait, et j’ai couru prendre mon autobus.
Que ne fut ma surprise à mon retour de retrouver une centaines de likes et un long fil de commentaires par des amis, des hommes sénégalais en majorité, qui me disaient en substance : « J’ai cru qu’il s’agissait d’une histoire d’amour et là, quelle ne fut ma surprise quand je suis arrivé sur la chute ! ». Ils avaient, semblait-t-il, beaucoup apprécié mon texte. En me relisant, j’ai vu effectivement qu’il manquait une phrase au niveau de la chute mais ce n’était pas cela qui les avait frappés. Ils n’ont compris que je parlais de la prédation qu’à la fin du texte ! Une amie m’a fait la même remarque. Alors, ce matin, je me suis relue à tête reposée.
En fait, sans le vouloir ni le savoir, j’avais écrit un texte qui décrivait au départ effectivement une scène, dans la rue d’une ville, mais du point de vue d’un homme (même si le narrateur est une femme) – Une jeune fille, charmante, je lui tiens galamment la porte, elle me sourit, je trouve ce sourire irrésistible, je ne sais pas quoi dire alors je ne dis rien mais, je la suis, dans le magasin, dans la rue, elle change de trottoir et moi aussi, elle semble se rendre chez elle, ce serait bien si j’avais son adresse… Scène de vie tranquille dans les yeux de ce jeune homme. Alors que, du point de vue de la jeune fille, c’est tout autre : elle se demande pourquoi cet inconnu la suit, elle qui vient d’avoir 18 ans et qui vit seule dans un pays étranger ! Mais le texte l’exprime à la fin, de manière abrupte et cela choque le lecteur qui soudain passe des souliers de l’homme qui se promène à celui de la femme qui s’est senti traquée. Je terminais en donnant les dispositions que j’avais prises par la suite. À savoir m’armer à l’université comme au dojo, pour ne jamais avoir à subir, sans me battre, la peur des violences psychologiques comme physiques d’un autre.
Dans les débats au sujet du viol hier, j’ai utilisé ces armes.
À ceux qui me disent pourquoi s’acharner sur ce professeur en particulier alors que d’autres ont déjà dit les mêmes choses de tout temps, je répond que ma position sur cette question a toujours été claire même si auparavant moi et bien d’autres parlions dans le vent (pas tout à fait d’ailleurs apparemment), et que la France a connu plusieurs rois pendant des siècles mais c’est Louis XVI qui a payé pour tous, ainsi va l’Histoire.
À ceux qui me disent pourquoi, sachant cela, nous ne passons pas à autre chose car on aurait dit que nous en profitons pour régler des comptes avec ce professeur, je répond qu’il ne s’agissait plus du professeur depuis longtemps. La parole s’est libérée hier. Oui, beaucoup ont condamné les propos du professeur mais, en face, beaucoup l’on défendu comme un prophète dont la parole était véridique. Il ne s’agit plus de corrida depuis longtemps, il ne s’agit plus du combat entre le toréador et le taureau, il s’agit de savoir si la corrida doit encore exister ou pas !
À ceux qui me disent qu’il faut savoir pardonner, je répond que l’on pardonne à celui qui demande le pardon – eh oui, l’équilibre se trouve à l’intersection de l’offre et de la demande ! Or, le professeur n’a pas demandé pardon, il a dit que nous avons mal interprété son propos.
Sur ce dernier point, il a fait une erreur stratégique qui va lui coûter au moins quelques nuits sans sommeil. Ce matin, les médias nous apprennent qu’il a été traduit en justice après une plainte déposée par une coalition de femmes psychologues et juristes qui l’accusent d’avoir fait l’apologie du viol. Le code civil sénégalais est semble-t-il flou sur le sujet et peut-être qu’il n’y aura pas de suite à cette plainte. Mais une chose est sure :
À partir de ce mois de mars 2018, beaucoup d’hommes et de femmes sénégalaises seront plus conscients qu’ils marchent, chaque jour, sur un pont qui mène de la Royauté vers la République.
Dans le Blog du Sociologue Rebelle
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