LA BANQUE ET LA REVOLUTION DIGITALE

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  • Article ajouté le : 28 Jeudi, 2019 à 10h03
  • Author: Mamadou SENE

LA BANQUE ET LA REVOLUTION DIGITALE

Les historiens des sciences considèrent que la révolution digitale en cours est la quatrième révolution industrielle ; la première a été caractérisée par l’utilisation de la machine à vapeur, la seconde a été marquée par l’essor de l’électricité, du pétrole et de la chimie et la troisième par le développement des technologies de l’information et de la communication.

Les révolutions précédentes ont profondément modifié les sociétés du 19ème siècle et du 20ème siècle. La présente révolution digitale est en train de transformer la société du 21ème siècle. Jugeons-en par l’impact que des entreprises nées il y a à peine 25 ans ont dans nos vies quotidiennes.

Google, à la fois journal, bibliothèque et encyclopédie, a vocation à organiser en temps réel l'information à l'échelle mondiale et à la rendre accessible à tous ; tout le monde est potentiellement à la fois producteur et consommateurs des données et informations diffusées par Google. Le néologisme « prosumer » forgé en 1980 par le futuriste Alvin Toffler rend bien cette nouvelle donne.

Trois siècles après Diderot et d'Alembert, Wikipédia a lancé une encyclopédie, mais une encyclopédie en ligne, collective, universelle et multilingue ; une encyclopédie écrite par tout le monde, et non par quelques savants ; toute personne peut en effet à tout moment, librement et bénévolement, créer, modifier, améliorer ou utiliser un contenu, pourvu que la contribution respecte des conditions de vérifiabilité, d’admissibilité et de cordialité.

Amazon, librairie en ligne à l’échelle mondiale, permet à chacun, sans se déplacer, en quelques clics, d’acheter, vendre et se faire livrer à domicile des livres.

Airbnb est une plateforme communautaire payante de location et de réservation de logements : tout particulier peut, de partout et à tout moment, mettre en location ou prendre en location un logement.

Uber, est une plateforme technologique qui met en contact, grâce à des applications mobiles, des conducteurs de voitures avec chauffeurs et des utilisateurs. Chacun peut mettre son véhicule en location, chacun peut à tout moment et pour tout trajet louer un véhicule. Uber a bouleversé sans doute les usages de consommation de services de transport dans les pays où elle est installée.

Et la liste pourrait encore être plus longue.

 

Les particularités de la révolution digitale

Les particularités de la révolution digitale en cours, observées à travers l’utilisation des plateformes ci-dessus mentionnées, sont :

1)    L’ordinateur portable, la tablette et le smartphone sont au cœur de la révolution digitale.

En effet, toutes les interactions avec les entreprises nées de la révolution digitale, notamment celles évoquées ci-dessus, se font à partir d’un smartphone, d’une tablette ou d’un ordinateur portable, outils presque indispensables à l’homme du 21ème siècle.

2)    L’internet des objets gagne tous les secteurs de la vie.

La révolution digitale est également marquée par l’omniprésence de l’internet dans les objets qui nous entourent.

Aujourd’hui, en logistique, des capteurs permettent de suivre la traçabilité des biens et améliorent la gestion des stocks ; en domotique, des capteurs et compteurs intelligents aident à la bonne gestion des consommations d’énergie ou d’eau, à la bonne surveillance de la sécurité des biens (vol, alerte incendie) ; en matière de santé, des montres et bracelets connectés et d’autres capteurs aident à la surveillance des fonctions vitales de l’homme ; dans les assurances, les automobiles connectées permettent d’ajuster la prime d'assurance en fonction des kilomètres parcourus, des routes empruntées, de la manière de conduire et de l’état du véhicule. La banque n’échappera à l’omniprésence de l’internet des objets.

3)    L’avènement de l’ère du consommateur-producteur

Hier, il y’avait d’un côté les producteurs de données et d’informations et de l’autre, les consommateurs. Aujourd’hui, tout le monde est à la fois consommateurs et producteurs, c'est-à-dire « prosommateurs ».

4)    Abolition des barrières temporelles

Hier, les questions et les réponses s’inscrivaient dans le fil du temps : les questions dans un premier temps, les réponses dans un second. Aujourd’hui, la révolution digitale nous a fait entrer dans l’ère de l’instantanéité et de l’immédiateté et répond à l’impatience de l’homme moderne.

5)    Abolition des barrières spatiales

Hier, l’économie était spatiale ; aujourd’hui, elle est de plus en plus a-spatiale, dans beaucoup de ses pans ; elle le sera davantage demain. Hier, on devait nécessairement se déplacer pour aller travailler ou remplir une quelconque formalité administrative ; aujourd’hui, la révolution digitale est en train d’abolir les barrières spatiales et permet souvent, quel que soit l’endroit où on se trouve, de travailler, de traiter avec sa banque, sa mairie ou son magasin préféré ….

6)    Universalité du réseau

Hier, aucun des réseaux existants (transport, télécommunication, …) n’avait la prétention d’être universel, c’est à dire d’être capable de relier tous les hommes. Aujourd’hui, l’internet le fait, ou presque notamment la blockchain, qui, au-delà d'une traçabilité et d’une sécurité accrue, permet de créer des réseaux distribués collaboratifs où tous les acteurs sont garants de la fiabilité du système.

 

Les défis du secteur bancaire à l’ère du digital

Le secteur financier en général, le secteur bancaire en particulier n’ont pas échappé aux assauts de cette révolution digitale. Aussi, les banques traditionnelles font, à mon avis, face aux défis suivants pour demeurer des acteurs économiques forts et innovants du 21ème siècle.

1)    Le défi de la prise en compte des pratiques actuelles des clients

L’omniprésence d’internet, la démocratisation du smartphone et la diffusion de la révolution digitale dans beaucoup de secteurs sont en train de modifier les habitudes de consommation des personnes un peu partout dans le monde.

Pour le secteur bancaire, aujourd’hui déjà, les clients se rendent de moins en moins à leur agence pour les opérations les plus courantes, compte tenu de l’évolution des modes de vie et de la gestion différente du temps disponible. De chez soi ou en tout autre lieu et à tout heure, chacun peut en quelques clics effectuer ses opérations, sans perdre inutilement du temps dans des trajets et des files ou salles d’attente. Les progrès technologiques permettent cette abolition des barrières spatiales, les difficultés de mobilité urbaine la justifie.

Les abolitions progressives des barrières spatiales et temporelles sont incontestablement un marqueur fort de la révolution digitale. 

2)    Le défi de la maîtrise de coûts opérationnels

Les banques connaissent une tendance à l’augmentation naturelle de leurs coûts à tous les niveaux : investissements commerciaux, informatiques, règlementaires ; investissements en capital humain ; investissements pour l’ouverture d’agences.

La transformation digitale a, parmi ses nombreuses vertus, celle de concourir à terme à réduire les coûts des banques ou, au moins, à réduire leur structure, grâce au traitement en ligne des opérations courantes et à des modifications structurelles passant par l’amélioration des processus, des changements organisationnels et l’évolution du business model. La transformation digitale bien menée dans la banque est source de gain de productivité et d’évolution profonde du travail des conseillers clientèle, qui réaliseront moins de tâches courantes et plus de conseil. 

3)    Le défi de la gestion du risque

De tout temps, mais aujourd’hui plus qu’hier, les banques doivent se protéger de risques opérationnels croissants, notamment ceux liés aux fraudes financières, aux cyber-attaques, au blanchiment de l’argent sale ou au financement du terrorisme. La gestion du risque est et restera un défi majeur pour les banques, étant donné le volume et la variété des données qu’elles manient. Sans aucun doute, le digital aidera à relever ce défi, grâce aux capacités de collecte et de traitement de données qu’il permet. En effet, les outils actuels permettent d’agréger de multiples sources de données, qu’elles soient des bases de données publiques ou privés. Ainsi, tout employé de banque qui a amorcé sa transformation digitale, peut avoir accès en un clic à une vue assez complète sur la situation financière d’une entreprise à financer.

4)    Le défi des exigences réglementaires

Le cadre règlementaire auquel les banques doivent se conformer devient de plus en plus exigeant au fil des années : les recommandations du Comité de Bale se sont succédé : Bale 1 en 1988, Bale 2 en 2004, et Bale 3 en 2013. Il doit prendre compte de la nouvelle donne technologique, de plus en plus.

Les défis de la réglementation et de la conformité sont déjà immenses, ils le sont encore plus avec les nouvelles opportunités qu’offre aux banques le digital. 

5)    Le défi de l’innovation technologique

Le secteur financier s’est distingué au cours des dernières années par l’arrivée de nouveaux acteurs utilisant leur expertise technologique pour repenser et transformer les services financiers et bancaires d’aujourd’hui. C’est le cas de Paypal, Google Wallet, Apple Pay, Wari, Orange Money, M-Pesa. Pour marquer leur territoire et garder leur avance dans les services financiers, les banques ont l’obligation de relever le défi de l’innovation que les fintechs leur ont lancé. 

Par ailleurs, un des défis majeurs de l’innovation technologique dans les banques est la place que l’intelligence artificielle trouvera dans celles-ci. 

L’intelligence artificielle dans la banque a l’avantage appréciable d’améliorer la performance des employés de banques. Pour les conseillers clientèle, elle leur permet de délivrer à leurs clients un meilleur conseil sur l’ensemble de la gamme de produits ; Pour cela, elle les débarrasse des tâches chronophages, répétitives ou fastidieuses, comme le traitement des demandes simples des clients par téléphone, email ou chat.  Les exemples ne manquent pas : Chez Orange Bank en France, par exemple, l’intelligence artificielle a pris la forme d’un chatbot, ou robot conversationnel, qui peut répondre 24h/24 aux questions des clients, même personnalisées, et déclencher certaines actions, comme bloquer une carte bancaire. Au Crédit Mutuel en France, les conseillers bancaires disposent d'assistants virtuels pour trier le courrier électronique, préparer des réponses et fournir plus rapidement des informations personnalisées aux clients sur les produits. Dans les banques les plus en avance, l’intelligence artificiel permet à un robot de répondre directement par mail ou par synthèse vocale aux clients.

L’intelligence artificielle aura également des applications dans d’autres secteurs de la banque : la détection des fraudes, le contrôle des coûts, le traitement des factures et l’approfondissement des données-clients.

6)    Le défi de la concurrence des fintechs

Au cours des 25 dernières années, les banques ont vu apparaître des concurrents redoutables, forts de leur expertise technologique, beaucoup plus innovants, plus agiles et moins chers. Il s’agit des banques en ligne et des acteurs de la fintech. 

Les banques en ligne sont des banques accessibles uniquement par internet. Elles proposent les mêmes services que les banques traditionnelles. Elles présentent les avantages suivants :

-       Elles permettent à leurs clients d’effectuer la totalité de leurs opérations bancaires en ligne, sans devoir se déplacer en agence, ce qui constitue un gain de temps appréciable ; en France plus de 50% des clients se rendaient en 2010 dans leurs agences, ils ne sont que 21% en 2015 ;

-       Elles ont des conseillers disponibles en ligne et par téléphone sur des plages horaires élargies, souvent jusqu’à 21h et 6 jours sur 7, ce qui permet aux clients d’obtenir un support une bonne partie de la journée ;

-       Les tarifs des banques en ligne sont très souvent moins élevés que ceux des banques traditionnelles, car elles ont moins de frais fixes (pas d'agence, moins de conseillers...). Ils sont même gratuits pour certains produits et services : les cartes bancaires et les opérations courantes réalisées sur internet.

Les fintechs (contraction des termes “finance” et “technologie”) sont des start-ups innovantes qui utilisent les nouvelles technologies de l’information, du numérique et de l’intelligence artificielle pour proposer des services financiers et bancaires moins chers et plus adaptés aux comportements du client d’aujourd’hui, en terme de rapidité. Les fintechs se sont distinguées dans les domaines suivants : les banques digitales, les plateformes de services financiers aux particuliers, les plateformes de services financiers aux entreprises.

Les banques digitales ou neo-banques sont des banques sans agences et accessibles uniquement depuis un téléphone portable. Elles concurrencent les banques dans leurs métiers traditionnels. Leur apparition fait suite au succès sans précédent du smartphone.

Elles présentent les particularités suivantes :

-       Elles s’adressent à un public plus large, sans doute moins nanti, que celui des banques traditionnelles, parce qu’elles n’imposent pas de barrières à l’entrée ; à titre d’illustration, il faut noter qu’Orange Money compte au Sénégal près de 1,5 millions de clients actifs, lorsque la banque la plus importante du pays en compte un peu plus de 300 000 ;

-       Les ouvertures de compte se font en quelques clics ;

-       Elles sont accessibles à n'importe quel moment et de n'importe où ;

-       La plupart de leurs services sont gratuits ou quasi gratuits ;

-       Leurs applications mobiles sont en général plus innovantes et confèrent beaucoup de confort et de réactivité. 

Pour l’heure, beaucoup de banques mobiles sont essentiellement des établissements de paiement même si certaines, de plus en plus nombreuses, ont tendance à solliciter une licence bancaire, voire à être rachetées par de grands groupes bancaires.

Les plateformes de services financiers aux particuliers se sont rapidement développées et ont connu un succès spectaculaire au niveau des populations. Concurrençant redoutablement les banques, elles proposent des services financiers de base comme le transfert d'argent, le paiement de factures, notamment d’eau, d’électricité et de téléphone, les cartes de paiement, le recharge de crédit de téléphone.

Wari en Afrique de l’ouest et M-Pesa en Afrique de l’est sont assez représentatives de l’impact de ces plateformes dans la vie quotidienne des gens.

Les plateformes de services financiers aux entreprises également se sont mises à se développer et proposent divers services dont le transfert de devises en ligne, comme Kantox, et l'affacturage dématérialisé, comme Finexkap.

Les plateformes de financement participatif ou de « crowdfunding » mettent en relation, d’une part, des porteurs de projets, créateurs, commerçants, PME, et, d’autre part, des investisseurs, particuliers ou professionnels.

Le financement participatif, dont le principe est collecter une multitude de petites sommes pour financer des projets plus ou moins importants dans divers domaines, peut prendre différentes formes :

-       Le don : La contribution est bénévole, mais le contributeur peut recevoir en retour une récompense sous forme de cadeau ;

-       Le prêt : le contributeur octroie un prêt et attend, en retour le remboursement de celui-ci ;

-       La prise de participation : Le contributeur prend une participation dans le capital de la société financée et espère recevoir des dividendes en retour.

KissKissBankBank est un exemple de financement participatif sous forme de don ; October, anciennement Lendix, un exemple de financement participatif sous forme de prêt ; Sowefund un exemple de financement participatif sous forme de prise de participation.

7)    Optimiser la collecte et la gestion des données

La sévérité toujours plus forte de la réglementation et l’âpreté accrue de la concurrence rendent vitale la bonne connaissance de chaque client, de chaque concurrent et de l’environnement économique. Ainsi, la collecte, l’analyse et la gestion des données deviennent des enjeux majeurs de la banque moderne. L’amélioration des performances des banques passent par le déploiement d’une analyse fine et plus ciblée des données et leur opérationnalisation en temps réel.

8)    Le défi de la formation

L’évolution des métiers de la banque, celle de la technologie et des connaissances et le niveau de compétence accru des clients font de la formation des agents de banques, notamment des commerciaux un des principaux leviers du succès des banques. Pour ce qui est de la formation au numérique, elle doit être diffusée dans l’ensemble de la banque et doit concerner tous les agents. 

Face à la transformation digitale en cours partout, le secteur bancaire doit saisir les opportunités qu’elle lui offre et en faire un moteur de son développement. Pour ce faire, les banques traditionnelles doivent s’approprier sans délai la technologie digitale, soit en développant des partenariats féconds avec les acteurs de la fintech, soit en les rachetant. Une telle approche est indispensable parce que :

-       Les clients et les investissements se déplacent significativement vers les produits et services développés et commercialisés par les fintechs et les banques en ligne; cette tendance est plus nette avec les jeunes générations d’aujourd’hui, qui sont les consommateurs de demain ; 

-       Elle permet aux banques de faire un saut qualitatif considérable, en s’appropriant l’expertise technologique et l‘agilité des fintechs. Certaines banques l’ont bien compris en rachetant ou en incubant ces nouveaux acteurs. C’est le cas de Nickel rachetée par BNP Paribas ou encore de Leetchi par Le Crédit Mutuel Arkéa. 

-       Elle permet aux banques traditionnelles d’avoir plus de puissance et de répondant, face aux assauts inévitables des géants de l’internet des télécoms, qui maîtrisent parfaitement le digital et le marketing et disposent d’une force de frappe financière considérable. Cette arrivée des grands groupes de l’internet et des télécoms connaît déjà un début de réalité : Orange a créé Orange Money en Afrique à partir de 2008 et Orange Bank en France en 2017 ; elle s’apprête à créer, en partenariat avec le groupe Nouvelle Société Interafricaine d’Assurance (NSIA), une banque digitale pour proposer en Afrique de l’Ouest des services de banque de détail, de microcrédit et d'assurance. Au Canada, Canadien Rogers Communications a créé Rogers Bank en 2013. Google a lancé Tez, un service de paiement mobile dédié exclusivement au marché indien. Amazon aurait commencé à échanger avec plusieurs banques américaines dans l’optique de commercialiser prochainement un compte courant. Nombreuses sont les sociétés de l’internet et des télécoms qui affichent leur intérêt pour le secteur bancaire.

Tout compte fait, la révolution digitale est irréversible et touche tous les secteurs de l’économie et de la société. Elle dresse beaucoup de défis devant le secteur bancaire, mais surtout lui ouvre beaucoup d’opportunités. Si les banques traditionnelles tirent parti de ces opportunités, la fameuse phrase prêtée à Bill Gates « Nous avons besoin de services bancaires, mais nous n'avons plus besoin de banques »* restera anecdotique.

 

 

Mamadou SENE

Ancien Directeur Général de Banque

[email protected]

 

 

* « we need banking but we don't need banks anymore »


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