LA SUPPRESSION DU POSTE DE PREMIER MINISTRE : QUELLES CONSEQUENCES INSTITUTIONNELLES ?

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  • Article ajouté le : 15 Lundi, 2019 à 06h04
  • Author: Mamadou SENE

LA SUPPRESSION DU POSTE DE PREMIER MINISTRE : QUELLES CONSEQUENCES INSTITUTIONNELLES ?

Le Président Macky Sall réélu Président de la République du Sénégal le 24 février 2019, a demandé à Monsieur Mahammed Boun Abdallah Dionne, Premier Ministre sortant, de former un nouveau gouvernement et, en même temps, de conduire la réforme devant aboutir à la suppression du poste de chef de gouvernement. Cumulativement à sa fonction de Premier Ministre appelée à disparaitre, Monsieur Dionne est nommé Ministre d’Etat, Secrétaire Général de la Présidence de la République. Aussi étonnant et regrettable que cela puisse être, une réforme constitutionnelle aussi substantielle n’a pas été débattue lors du grand débat démocratique qu’est supposée être la campagne présidentielle de février 2019.

Aujourd’hui, deux questions sont susceptibles de traverser l’esprit des citoyens sénégalais :

-       Quelles sont les motifs de la suppression du poste de premier ministre ?

-       Quelles sont les conséquences de cette suppression ?

 

Quelles sont les motifs de la suppression du poste de premier ministre ?

Le motif évoqué par le nouveau Premier Ministre et Ministre d’Etat, Secrétaire Général de la Présidence et le nouveau Secrétaire Général du Gouvernement est le suivant : le besoin pour le Président la République de supprimer le niveau que constitue la fonction de Premier ministre pour être lui-même au contact direct avec les niveaux administratifs chargés de la mise en œuvre de ses politiques.

Au Sénégal, la suppression du poste de Premier Ministre n’est pas une décision inédite. Il y a eu deux fois dans le passé une suppression du poste de Premier Ministre, en 1963 et en 1983, pour des raisons quelque peu différentes de celles avancées aujourd’hui. En 1963, le Président Senghor vainqueur du différend politique qui l’opposait au Président du Conseil des Ministres, son ami et camarade de parti, Mamadou Dia a senti le besoin de mettre fin à toute dyarchie au niveau du pouvoir exécutif. En 1983, le Président Diouf, élu pour la première fois au suffrage universel, mais pas suffisamment maître de son parti, aurait voulu concentrer tous les pouvoirs à son niveau pour mieux asseoir son autorité sur l’Etat et son parti.

L’explication de l’actuel pouvoir exécutif sur la suppression du poste de Premier Ministre me parait insuffisante, si on estime à sa juste valeur le rôle de coordination de l’action gouvernementale, d’arbitrage entre les ministres et de préparation des décisions pour le Président que joue un Premier Ministre politiquement en cohérence avec lui. L’intérêt de ce rôle compense largement les inconvénients qu’aurait un échelon hiérarchique de plus.

 

Quelles sont les conséquences de cette suppression du poste de Premier Ministre ?

La première conséquence devrait être la disparition du gouvernement de la liste des institutions de la République et la disparition subséquente de son rôle constitutionnel. Aujourd’hui, le gouvernement est une institution de la République à part entière, distincte du Président de la République. Avec cette réforme, les Ministres seraient sous l’autorité directe du Président de la République, qui deviendrait la seule institution détenant le pouvoir exécutif.

La deuxième conséquence est que le gouvernement ayant pour chef le Président de la République, ne pourrait plus être responsable devant l’Assemblée Nationale, comme c’est le cas aujourd’hui. En effet, le Président de la République n’étant pas responsable devant l’Assemblée Nationale, le Gouvernement sous son autorité directe ne peut pas l’être non plus.

La troisième conséquence est que le Président de la République perdrait son pouvoir de dissolution de l’Assemblée Nationale. En effet, l’Assemblée Nationale ne pouvant plus voter la confiance au Gouvernement, ni le censurer, celui-ci n’étant pas responsable devant elle, la théorie et la pratique constitutionnelles veulent, en contrepartie, que le pouvoir exécutif, donc le Président de la République, perde son pouvoir de dissolution de l’Assemblée Nationale prévu à l’article 87 de la Constitution. En démocratie, la contrepartie du pouvoir de l’Exécutif de dissoudre le parlement, est la capacité du parlement de censurer le pouvoir exécutif. Point de pouvoir de dissolution de l’un, sans pouvoir de censure de l’autre.

En réalité, avec cette réforme, le Sénégal quitte un régime semi-présidentiel (ou semi-parlementaire) caractérisé par la responsabilité du gouvernement devant le parlement en contrepartie du pouvoir du gouvernement de dissoudre le parlement, pour entrer dans un régime présidentiel caractérisé par l’irresponsabilité du gouvernement devant le parlement et l’absence du droit de dissolution.

Le régime présidentiel est caractérisé par une séparation stricte des pouvoirs entre le l’Exécutif et le Législatif, aucun des deux ne pouvant soumettre l’autre. Il est pratiqué aux Etats-Unis d’Amérique, dans tous les pays d’Amérique du Sud et dans quelques pays africains dont le Bénin. Ses avantages sont la clarté et la rapidité de traitement des dossiers. L’inconvénient majeur de ce type de régime est qu’il porte les germes de la paralysie institutionnelle ; l’Exécutif ne pouvant dissoudre le Législatif et le Législatif ne pouvant censurer l’Exécutif, alors s’installent la paralysie et le blocage des institutions, lorsque les deux pouvoirs ne sont ni d’accord, ni capables de trouver un compromis. C’est ce qui arrive par moments aux Etats-Unis, lorsque le pays se retrouve sans budget et sans administration, parce que le Congrès refuse de voter le budget présenté par l’Exécutif. Mais, en Afrique, un conflit ouvert, sans porte de sortie constitutionnelle, entre deux institutions fortes de leur légitimité populaire, peut avoir des conséquences beaucoup plus graves qu’une paralysie de l’administration de quelques jours ou semaines.

Le régime semi-présidentiel est caractérisé par une séparation moins strict des pouvoirs ente l’Exécutif et le Législatif et par le droit de vie ou de mort que chacun des deux pouvoirs a sur l’autre : la dissolution d’une part, et la censure de l’autre. Des trois types de régime, le présidentiel, le semi-présidentiel et le parlementaire, il est le moins courant dans le monde démocratique. Il est en vigueur dans beaucoup de pays d’Afrique francophone, en France, au Portugal et quelques pays de l’ex-bloc soviétique. En revanche le régime semi-présidentiel est inconnu totalement en Amérique Latine et quasiment en Asie. Son principal avantage est d’éviter la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne, quelle que soit la légitimité de sa désignation. Le second avantage est qu’il contient en lui-même un mécanisme de résolution des conflits politiques par la possibilité de retourner, grâce à la possibilité de dissolution, devant les électeurs qui tranchent en dernier ressort les conflits. Son inconvénient majeur est la dyarchie au niveau de l’Exécutif, ce qui peut être source de lenteur et d’inefficacité, voir de paralysie et de conflits ouverts.

Le régime parlementaire, presque inconnu en Afrique, sauf en Ethiopie, est caractérisé par la détention de l’intégralité du pouvoir exécutif par le Premier Ministre, appelé aussi Président du Conseil ou Chancelier, élu par le Parlement ; le Chef de l’Etat, Monarque constitutionnel ou Président de la République, est le symbole de l’unité nationale et il détient un pouvoir essentiellement de représentation.  Le principal avantage du régime parlementaire est la quasi-impossibilité de conflits longs entre l’Exécutif et le Législatif, du fait que le Chef de l’Exécutif est désigné par la majorité parlementaire. Son principal inconvénient est le poids prépondérant que peuvent prendre les accords, arrangements et combines entre les partis politiques pour la constitution de majorités de gouvernement. Ces accords, arrangements et combines peuvent parfois se faire aux dépends de l’intérêt général qu’incarnerait mieux une personnalité élue. D’ailleurs, c’est pour lutter contre cette dérive qu’il a appelée dès 1946 « le régime des partis », que le Général de Gaulle a mis en place dès son retour au pouvoir en 1958 la Constitution de la 5ème République française, dont la caractéristique principale est le régime semi-présidentiel. Ce régime semi-présidentiel est également en vigueur au Sénégal.

Tout compte fait, quel que soit le régime adopté, il importe que le Sénégal s’installe durablement dans le cadre d’une démocratie participative, dans laquelle les décisions engageant la nation fassent l’objet de larges concertations et explications. Il importe aussi que notre pays entre définitivement, comme toutes les démocraties majeures, dans une ère de stabilité constitutionnelle.

 

Mamadou SENE

www.mamadousene.net

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