Heureusement qu’il y a des syndicats dans ce pays, Monsieur le Président !

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Heureusement qu’il y a des syndicats dans ce pays, Monsieur le Président !

 

Les déclarations du Président de la République, son excellentissime Macky SALL, en ce qui concerne les syndicats du secteur éducatif, se multiplient, se suivent et se ressemblent. Le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne sont pas clémentes. Il qualifie ces syndicats, tour à tour, de criminels, d’égoïstes qui veulent s’accaparer de toutes les ressources du pays, d’irresponsables qui sacrifient la jeunesse du pays, de vandales qui détruisent les bases de l’Université et leur attribue toute qualité non recommandable pour un enseignant. Le Président ne reconnait aucun intérêt à ces  organisations professionnelles, il semble ignorer tous les services rendus par les syndicalistes à ce pays ! On se demande comment un chef d’Etat, pur produit de l’École sénégalaise, peut-il à ce point méconnaître le rôle joué par les syndicats ? Comment peut-il ne pas être au courant des contributions majeures de ces organisations professionnelles à l’attractivité de l’institution scolaire et universitaire sénégalaise ?

L’analyse du rapport du Président avec les syndicalistes et son appréciation du syndicalisme est hors de notre propos, cela relèverait du domaine de la psychanalyse qui nous dépasse. Mais, il nous paraît important de revenir sur la valeur socio-économique ajoutée par les syndicats aux ressources de ce pays. 

Les syndicats sentinelles d’une éducation effective        .
L’analyse des plateformes revendicatives des syndicats du secteur éducatif permet de voir la prise en charge des questions qui sortent du cadre corporatiste de « défense des intérêts matériels et moraux des enseignants ». En effet, les syndicats se sont toujours insurgés contre la primauté de la gestion comptable de l’École sur celle pédagogique. Ils étaient montés au créneau pour s’opposer avec force au système de double flux, au volontariat et vacatariat , aux quotas sécuritaires et à toutes les  décisions politiques qui ont relégué au second plan la qualité de l’École sénégalaise. Aujourd’hui, ce sont les syndicats, à la place des parents et autres sociétés civiles, qui  dénoncent sans cesse les classes pléthoriques, les abris provisoires, la formation bâclée des enseignants, les amphithéâtres bondés, l’aliénation du patrimoine foncier des universités,  le sacrifice de bacheliers,  la virtualisation et la privatisation de la formation, etc. Ajoutons à cela, que les syndicats du Sénégal ont toujours veillé sur la bonne tenue des classes    d’examen.
Au niveau supérieur, le Syndicat Autonome de l’Enseignement Supérieur (SAES), premier syndicat d’ordre sous-sectoriel, a réussi à sauver l’espace du supérieur de l’émiettement syndicale et a y évité, autant que faire se peut,  des conflits aux conséquences irréparables. Il ne compte pas plus de huit préavis de grèves en 32 ans, soit en moyenne un préavis tous les quatre ans. Il est resté de 2005 à 2011 sans mouvement au niveau national. Il est  arrivé que sa grève dure plus que d’habitude, mais cela est souvent dû au fait que le prince ou son représentant n’a pas daigné respecter sa signature ainsi que le sceau de la République. On peut inscrire à l’actif de ce syndicat : la démocratisation de la gouvernance universitaire avec l’élection des doyens de faculté et directeur d’école supérieures ; l’élargissement de la carte universitaire avec l’ouverture de l’université Gaston Berger de Saint-Louis et les autres qui ont suivi ; l’attractivité des fonctions scientifiques avec l’amélioration réelle, quoique encore insuffisante, des conditions de vie des chercheur et enseignants du supérieur. Le premier directeur général de l’enseignement supérieur appréciait une plateforme revendicative du SAES en ces termes : « Le respect des accords signés avec le SAES réglera tous les problèmes de l’enseignement supérieur et la recherche du          Sénégal ». 

Les syndicats forces de         propositions
Il est de tradition au Sénégal que les syndicats  organisent des sessions de réflexion autour des questions qui agitent l’École en y invitant tous les acteurs de la cité y compris les décideurs politiques.          Ils ont ainsi traité en ateliers des questions relatives au management des universités,  au financement de l’École sénégalaise, au baccalauréat et le système de certification, à la réforme LMD, à          la normalisation             du fonctionnement     de        l’enseignement          supérieur, etc. Tout cela pour bien mettre le secteur sur les            rails quel que soit       le conducteur du        train.

Autrement dit, les syndicats n’ont jamais manqué d’assumer leur responsabilité. Seulement, leur effort reste sans effet quand l’ambition des dirigeants du pays n’est pas à la hauteur des défis à relever.

Défis scolaires et universitaires 

Au lieu de vouer aux gémonies les syndicats qui œuvrent sans arrêt pour la bonne marche du système éducatif, les décideurs politiques devraient s’attaquer aux défis qui plombent l’envol de l’École sénégalaise. Un pays dont 46.98% de la population est scolarisable (2-24ans), qui ne compte que 22.16% de scolarisé, 5% de bacheliers par classe d’âge, ne devrait pas lésiner sur les moyens pour réduire son déficit scolaire et scientifique. Il est évident que pour relever ce défi, il faut forcément dépasser le cadre budgétaire.  Autrement, on ne pourrait jamais équilibrer les comptes scolaires et universitaires et arriver à un service public d’éducation et de formation universel. Mais, force est de constater que les dirigeants de ce pays, qui estiment que la limite des moyens est atteint avec les 6.43% du PIB alloué au secteur éducatif en évoquant urbi et orbi les critères de convergence sous régionale, ne sont pas dans une disposition volontariste de répondre à la demande de plus en plus forte d’éducation et de formation. Dans ces conditions, il sera difficile de faire fonctionner le moteur de développement du pays et être dans la compétition économique mondiale en vigueur. Il faut savoir que dans ce domaine, des pays à faible population de jeunes dépensent plus pour la recherche et la formation supérieure que le Sénégal. Les vieux pays de l’OCDE, qui comptent 23% de population scolarisable, consacrent 5% de leur richesse (PIB) dans l’enseignement supérieur et la recherche, alors que le pays de Cheikh Anta Diop est à 1.47% de son PIB ! Il faut avouer que le Sénégal, depuis que ses dirigeants ont décidé de suivre aveuglements les recommandations de la banque mondiale fixant le plafond des dépenses à 7%, patauge dans des difficultés scolaire et universitaire. Les établissements de formation n’ont même plus le minimum pour fonctionner ; ils  peinent à payer les salaires et les fournisseurs. Ce qui les maintient dans l’océan de l’instabilité. Le SAES,  à l’issue des Concertations Nationales sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES), avait crié haut et fort que les ressources préconisées ne suffisent même pas pour assurer un service public minimal d’enseignement et de formation. Ce que 55 professeurs d’université avaient confirmé à travers une lettre ouverte au Président de la République en estimant qu’il faut au moins 10% du PIB pour répondre à la forte demande et résorber le gap scolaire et universitaire du Sénégal. Le ministre en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche a fini par reconnaître, à l’occasion du Next Einstein Forum, que les ressources allouées au sous-secteur doivent être revues à la hausse.

Il est évident qu’avec le niveau d’investissement actuel, le Sénégal ne sortira jamais de la récession scientifique et n’arrivera pas à soutenir la compétition avec les pays qui ont scolarisé tous leurs enfants et qui comptent au moins plus de 80% de bacheliers dans chaque classe d’âge.

Enfin, comme on le voit, il est difficile de trouver dans ce qui est dit supra, le portrait du « Syndicalisme destructeur », peint par le Président de la République. Au contraire, les organisations professionnelles du secteur éducatif restent les seuls acteurs qui veillent sur la bonne formation de la jeunesse, sur le respect des normes scolaires et universitaires ainsi que sur la compétitivité scientifique du Sénégal. Pour dire que l’urgence des dirigeants politiques devrait être ailleurs que dans le dénigrement et la diabolisation des syndicalistes. L’accueil des 50000 bacheliers qui vont frapper à la porte de l’enseignement supérieur, leur mise en conditions d’apprentissage réel (pas virtuel !) et la normalisation du fonctionnement des établissements scolaires et universitaires devraient leur suffire  comme peine.  Budul woon seendikaayi, caaf xëm, Senegal ñaaw !!

 

Mamadou Youry SALL

Chercheur-Enseignant à l’UGB


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