PENNDA SÀR de NGAWLE : La princesse du monde des eaux

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PENNDA SÀR de NGAWLE : La princesse du monde des eaux

Pennda Sàr est une femme Fùtankke du 19ème siècle. Un milieu et une époque avares en figures féminines marquantes, surtout dans le domaine maraboutique réservé plutôt aux hommes. Comment se fait-il que Pennda Sàr soit sortie de l’ensemble des anonymes en cette période et du milieu des pécheurs assez phallocrates ? Quels sont les déterminants de sa célébrité, sa réputation ou sa renommée ? 

Comme réalité extraordinaire, elle peut être étudiée à partir d’une grille religieuse. Alors, on pourrait dire que le cas Pennda Sàr est du domaine divin, son pouvoir est un don de Dieu. Mais cela n’éteint pas la curiosité d’un scientifique pour qui il faut, coûte que coûte, trouver les causes matérielles de cette notoriété. Dans ce but, il serait intéressant de mettre en perspective l’héritage paternel de Pennda Sàr.

Mùsà Bukari

Mùsà Bukari fut à la fois dépositaire du savoir traditionnel ancestral et du savoir islamique. Autrement dit, il était détenteur des sciences qualifiées de noires (Gannde Bhaleeje), occultes (Lasraari) et religieuses (Gannde daneeje) qu’il savait bien utiliser. Né d’une famille de pêcheurs, Mùsà Bukari était plutôt chasseur (Baaño) avant de devenir Marabout-Enseignant des sciences islamiques. Il a fréquenté l’université du Kayor, Pir Sañoxor, et faisait partie des acteurs de la Révolution du Fùta dirigée par Ceerno Sileymàni Bàl[3]. Le premier Almàmi du Fùta, Abdul Qàdir Kan, sollicitait toujours le service de Mùsà Bukari pour sécuriser la traversée de ses troupes d’une rive du fleuve à l’autre. D’ailleurs, une partie du village de Ngawle, qui faisait partie des leydi bayti[4] (domaine de l’Etat), est une gratification de l’Almàmi, après sa victoire sur l’émir du Trarza, à ce serviteur dévoué.

L’enseignant Mùsà Bukari tenait à partager son savoir. En plus du Coran qu’il a recopié de mémoire comme tout bon almùdu  (Elève), il a transcrit ses connaissances traditionnelles dans un registre appelé « Kumbà Sàr ». Il y consignait des formules magiques contre les animaux maléfiques et les esprits             malveillants.
Il va sans dire que sa famille a tiré profit de son savoir. Gellày Àli Fàl, qui  puisait dans son registre pour magnifier le Cubalàgu, illustre bien la puissance de ses connaissances. C’est ce savoir riche et complexe de Mùsà Bukari qui lui conférerait le respect des animaux aquatiques et des hommes. Partant de là, on pourrait affirmer que Pennda Sàr n’est qu’une héritière de son père qui lui a légué sa filiation avec le monde des eaux. Ce qui fait qu’elle est considérée dans cet univers comme une princesse.

Les divinités côtières et    aquatiques
Par ailleurs, il est vrai qu’on a connu dans le Fùta des Deeniyankkoobe et des Almàmis ainsi que dans les royaumes du Waalo, du Kayor ou Jolof, des femmes d’Etat, influentes avec des statuts reconnus comme Jeewo Fùta[5] (première épouse) ou lingeer. Njambeut Mbooj et Ndate Yalla du royaume de Waalo, Debbo Suka du Kayoor sont restées dans la mémoire collective. Mais ces femmes célèbres pour leur statut politique ne sont pas comparables à Pennda Sàr. Cette dernière est à aligner, en termes de considération, aux Marabouts ou Saints. Comme eux, sa baraka est invoquée dans la vie quotidienne des gens de l’eau : Lebous, Sublabes, etc. Dire « Barke Pennda Sàr », un nombre impair de fois, correspond à une formule de prière pour enlever une arête de poissons dans la gorge, traverser un cours d’eau en toute sécurité, faire face à des dangers maritimes, etc.

C’est pour cela d’ailleurs qu’on s’interroge sur l’humanité de Pennda Sàr comme on le ferait en ce qui concerne les divinités marines ou génie de l’eau vénérés par les Lebous ou Les insulaires du Saloum. Màm Kumba bang de Ndar, Màm Njare de Yoff, Màm Mboose de Kaolack, Màm Gesu de Mbul ou Leuk Dàwur Mbay, le génie de la presqu'île du Cap Vert, le seul de sexe masculin.

Dans les îles du Saloum, les Sérères[6] ont les mêmes croyances. Selon eux, cette zone constitue le milieu naturel de certaines divinités marines comme Màm Ndéw (Jiloor), Mama Nguedj (Joal-Fadiouth), Màm Mindis (Fatick), Màm Ngesu  (Mboul).
Ces génies ou divinités, on les retrouve tout au long du littoral, de la Guinée jusqu'au Nigeria avec May (Mamie) Wataa.

Ajoutons à cela, que le pacte scellé entre Mùsà Bukari et les génies du fleuve qui avaient retenu Pennda Sàr plusieurs jours dans l’eau avant qu’elle ne s’échappe, ressemble bien au contrat qui liait les habitants de Ouagadou (Ghana) à leur Dieu Bidaa. Ce dernier exigeait qu’on lui sacrifie chaque année la plus belle des jeunes filles de l’empire pour parer aux malheurs. La chute de celui-ci serait, dit-on, liée au non-respect de ce pacte qui a eu comme conséquence plusieurs années de sécheresse.

En résumé, Pennda Sàr nous a fait valser entre plusieurs mondes. Nous avons navigué à la fois dans des univers réels et imaginaires, ceux des djinns, des diables, des sorciers, des marabouts, etc.

A l’arrivée, nous avons découvert que Pennda Sàr, malgré ses exploits et ses faits extraordinaires,  est bien du monde des humains. Elle y a vécu à sa manière, joué un rôle et laissé des traces indélébiles. Sa place est d’une importance capitale dans la mémoire ou l’imaginaire collectifs.


[1] Oumar Djiby Ndiaye, 2016, Le Pékâne Poésie épique des pêcheurs peuls ; L’Harmattant, Sénégal, Pp.18-19.

[2] Comme tant d’autres mémoires, il est introuvable à la FASTEF de l’UCAD. Seul l’auteur en garde un exemplaire.

[3] Mamadou Youry Sall, 2014 ; Ceerno Sileymaani Baal, fondateur de l’Almàmiya (1776-1890), PUD, Dakar

[4] Leydi beyti viendrait de Baytul màl, le grenier de Medine Al munawwara fondé par le Prophète Mouhammad (PSSL)..

*Dès après son installation, Almàmi Abdul Qàdir Kan procéda à la redistribution des terres fertiles du Fuuta (Feccere fuuta) au profit des démunis, de certains notables et en réservait pour constituer une des sources de revenu de l’Almàmiya.

[5] Johnson James Philip, 1974, The Almamate of Futa Toro, 1770-1836 : Apolitical history, unpublished Ph.D. dissertation, University of Wisconsin; pp.37-38.

*Ce statut conférait à la femme du Satigi et de l’Almàmi par la suite, une voix consultative, une garde rapprochée, une part des ressources de l’Etat : Droits payés par les européens, tributs versés, domaine agricole et butins de guerre.

[6] Groupe sociolinguistique du Sénégal


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