Touba réhabilite l’Ecole nationale du Sénégal

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Touba réhabilite l’Ecole nationale du Sénégal

Le 124ème  anniversaire de l’exil de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké au Gabon restera sans doute gravé dans les mémoires. En effet, la décision du VIIIème Serigne Touba, Mountagha Bassirou Mbacké, de construire une université internationale dans la ville sainte afin de vulgariser les enseignements du fondateur de la confrérie mouride, de revivifier l’héritage islamique du pays tout en pourvoyant à sa jeunesse des compétences nécessaires pour l’épanouissement socioculturel et le développement économique, constitue un tournant dans l’histoire du Sénégal.

N’est-ce pas là une volonté de redonner son sens  au combat de Cheikh Ahmadou Bamba ? De redresser l’histoire du Sénégal en réhabilitant son système éducatif ? De fermer la parenthèse coloniale en reconquérant l’indépendance intellectuelle qui manque tant à l’élite gouvernante ?

 Aux origines de l’École nationale du   Sénégal[1] La proximité géographique de l’Afrique de l’est et le sud de l’Arabie a favorisé le brassage de leurs populations. La circulation des biens et des personnes y est une réalité depuis plus de trois millénaires. Cette relation s’est étendue à l’ouest du continent au début de notre ère via les routes   transsahariennes. « Les commerçants, quittaient l'Irak jusqu'à Awdaghust dans le Soudan Occidental et traversaient les routes avec leurs enfants en faisant du commerce. Ils venaient d'Al-Basra et d'Al-Küfa » nous dit  Ibn Hawqal. Il est sûr qu’avec ces échanges économiques, les populations des deux régions se sont aussi influencées sur le plan culturel. Ce terreau fertile a permis le développement rapide de l’Islam et de la langue du Coran. Il est à parier que les foyers d’enseignement de la religion et des sciences connexes ont commencé à voir le jour dans les pays du Sud, voisins du Sahara occidental, dès le premier siècle de l’Hégire. Il faut savoir que l’Almoravide en chef, Abdoulaye ben Yacine, n’était envoyé par son maître Wajjaaj du Maroc que pour une mission de raffermissement de la foi et de renforcement du rite malékite chez la tribu sahraoui des Gdallah. Cela n’empêche qu’on doit au mouvement almoravide la systématisation de l’enseignement et de la formation dans la région considérée. En effet, c’est Aboubackry ben Oumar -l’époux de Fatimata Sall, mère de Ndiadiane Ndiaye- qui a ouvert les medersas de l’Imam Hadramiy et Ibrahim El Omawiy à Waddan. Ces deux écoles ont joué un rôle très important dans la formation des populations au sud du Sahara. C’est en ce moment que le titre scientifique « Cissé » commença à être attribué aux érudits africains. Il faut noter d’ailleurs que la décadence de l’empire du Ghana coïncide avec la montée en puissance de ces docteurs ; il a chuté sous le règne de Tounkamanine Cissé. Avec l’annexion du Ghana dans le giron des Almoravides et la croissance du nombre de lettrés, les foyers d’enseignement se sont multipliés. On peut en citer les plus anciennes dans la vallée du        Sénégal : Tulde Raashid (Dimat), fondée par Ayel Kane, un des généraux de l’Armée                  almoravide, au XIème             siècle. École de Shinguid fondée au 8ème siècle, mais n’a atteint son apogée qu’au XIIIème sous l’égide d’Idew           Ali. L’École de Wallaata, fondée au XIVème siècle par Yahya Kaamil, fut l’une des plus importantes de la région. Elle était devenue l’attraction des étudiants après le déclin de Tumbuctu.

L’École de Suyumma avec Cheikh Shams El Dine ben Yahya (Jam Sy) : Venu du Nord, d’Adrar précisément pour s’installer à Souyoumma, il s’est marié avec une femme de la localité. Les enfants nés de ce mariage étaient tous des maîtres es sciences islamiques. Bocar jam Sy, Baran Jam Sy, Tigide Jam Sy et Diko Jam Sy ont érigé des foyers d’enseignement dans différentes localités du Fuuta. Notons que Malick Sy, le fondateur de l’Émirat islamique de Bundu ainsi qu’El Hadji Malick Sy de Tivaouane descendent de Jam Sy.

Ainsi, la dépendance culturelle du pays des Maures était-elle restée forte jusqu’au XVIème siècle. Celle-ci s’est par la suite affaiblie du fait des bandes de pirates et esclavagistes qui régnaient dans la région. Mais aussi parce qu’on pouvait trouver sur place un nombre important d’enseignants de haut niveau.  Seulement, l’insécurité qui régnait dans la vallée a engendré la délocalisation des foyers d’enseignement vers le Sud : Njaambur, Jolof et Kayor.

Pir Sañoxor : Son fondateur Hammaat Paate Koli Mandesit Faal, est né à Guédé, un village du Fuuta, dans la deuxième moitié du XVIème siècle. Son arrière-grand-père, Mandesit, est de la famille royale du Kayoor. Des difficultés successorales l’auraient amené à migrer vers le Fuuta qui était sous le règne des Deeniya?koo?e. Il s’y est marié et eut des enfants. Le premier d’entre eux portait le nom de Koli Te?ella, le fondateur de la dynastie deeniya?ke. La mère de Hammaat Faal ou Ammar Faal pour les ressortissants de Kayoor, Jeegi Ba ou Barry, est une princesse deeniya?ke. Elle serait la grand-mère du célèbre guerrier Samba Gelaajo           Jeegi. Ammar Fall a effectué son apprentissage du Coran au sein de sa famille. Puis il a intégré le foyer de Ceerno Mustafaa Ba du village de Teekaan qui dépendait de l’école de Tulde Raashid. Il a fréquenté ensuite les écoles du Nord : Wallaata et Shingui?. De retour au Fuuta, il fonda son école à Gaani Hammee Juul?o. Mais, du fait de l’insécurité qui gagnait la vallée après la défaite de Naasiru al Diin, il migra vers Dimat d’où il partit pour rejoindre sa famille royale dans le             Kayoor.           Le Damel, fier d’avoir en lui un cousin auréolé de sciences, l’a bien accueilli.  Il le nomma Qaadi du Kayoor et lui octroya un vaste domaine pour y ouvrir un foyer d’enseignement. Ainsi naquit l’école de Pir Saniokor dans le premier quart du 17ème siècle.  Seulement, Qaadi Amar Fall n’est pas resté longtemps au Kayor. Ce sont ses enfants, Demba Faal, plus connu sous le nom de Demba Kudi    Loomel, ses frères et leur sœur Faamaa Aysttu Kan, qui ont donné au foyer d’enseignement de Pir une excellente réputation. Plus tard, son arrière-petit-fils ; Malamin Buubu Faal fit venir du           Fuuta beaucoup de théologiens spécialistes, pour renforcer le corps enseignant. Tafsiir Hammadi Ibra Ba de Mbantu, qui fut l’Imaam de la mosquée de Pir était de ceux-là. C’est le regroupement de ces professeurs en un lieu, permettant d’apprendre les différentes disciplines de sciences islamiques, en plus de celles de la langue arabe, qui attirait les étudiants de différentes régions. En effet, il fallait auparavant parcourir un nombre important de villages pour acquérir cette somme de connaissances. Ainsi, Pir était-il devenu la destination idéale pour tous ceux qui étaient à la recherche du savoir approfondi et exhaustif. La plupart des révolution­naires, Almaamis et notables du Fuuta sont passés par cette École. On peut en citer Maalik Sy de Bun?u, Souleymaan Racin Baal, Abdul Qaadir Kan ainsi que le père de Seexu Umar Al fuutiyyu : Saydu Atumaan Taal, Maxtaar Ndoumbe Joob, le fondateur du foyer de Kokki.

Foyer de Mame Massaba Thiam : Né vers 1670, il est le fondateur de l’un des foyers les plus réputés du fuuta au XVIIIème siècle. Sa descendance a poursuivi l’œuvre dans le Walo, le Jolof et le Kayor. De ces foyers des Thiamènes sont sortis Mame Mahram Mbacké, Mame Malamine Saar, Mokhtar Ndoumbé Diop le fondateur de Kokki, Demba Fall,  Cheikh Léye Kane, Makoumba Kane et tant d’autres érudits. Il faut noter qu’à partir de l’arbre généalogique de Mame Massamba Thiam, on retrouve les liens familiaux entre Cheikhou Oumar Tall, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké,  El Hadj Malick Sy et Cheikh Ablaye Niasse.

Par la suite, les foyers du Fouta, de Pir et des Thiamènes Walo, Diolof et Kayor, ont eu de nombreuses ramifications dans toutes les régions, formant ainsi un réseau scolaire couvrant le Sénégal et au-delà. Ainsi naquit l’Ecole nationale du pays par décret divin uniquement. Les figures de référence religieuse et scientifique les plus vénérés du pays sont sortis de cette institution. La lumière de leur érudition a rayonné dans le continent et ailleurs. Salih El Oumary (1753 - 1803), plus connu sous le nom de Al Foullaany Al Maliky, le savant de Dar el Hadith de Médine en Arabie Saoudite, qualifié de Rénovateur de l’Islam en Inde, Qaadi Amar Fall, le fondateur de l’Université de Pir, Ousmane Danfodio le Toorodo de Sokoto, Thierno Souleymane Baal, le fondateur de l’Almaamiya, Almaamy Abdul Qaadir Kane le premier souverain élu en Afrique, Cheik Oumar el Foutiyyou le Soufi conquérant, Dial Diop, le libérateur du Cap-Vert, son premier Almamy et Serigne, Cheikh Moussa Camara, le sage de Ganngel, ont rendu célèbre la science de la vallée du fleuve Sénégal. Après ces précurseurs, la source n’a pas tari. Les socio-réformateurs, fondateurs et promo­teurs de confrérie ont repris le flambeau pour perpétuer cet héritage. Cheikh Ahmadou Bamba, El hadj Malick Sy, Ibrahima Niasse, etc., ont bien approfondi la mission des premiers. A ce jour, les foyers d’enseignement du Sénégal attirent des    étudiants ressortissants des pays environnants et échangent leur produit avec les plus grandes universités du monde arabo-musulman.

Dans leur programme d’enseignement, ces foyers reprenaient ce qui se faisait dans le monde musulman. Mais ils étaient caractérisés par la contextualisation de leur pédagogie, notamment leur langue d’enseignement qui restait celle de la localité.

Emancipation des langues   nationales Les Africains se sont très tôt servi de l’alphabet arabe pour écrire leurs langues, alors que les Européens, Français notamment, n’avaient, jusqu’au XVIème siècle, que le latin comme langue savante. Ce qui a surpris les premiers explorateurs qui ont trouvé que les sénégambiens étaient de loin plus instruits que les européens : « Dans chaque royaume ou territoire riverain du fleuve Gambie, les communautés peulh maîtrisent la langue arabe et sont généralement mieux formées en cette langue que ne l’est le peuple européen en Latin », écrit Francis Moore en 1738. Aujourd’hui, plus de 80 langues sont transcrites en caractères arabes, dont 30 africaines. Ces langues sont qualifiées d’Ajami. Au Sénégal, l’alphabet arabe est très tôt adopté et adapté pour l’écriture des langues locales. Les lettres y sont requalifiées pour leur donner une valeur symbolique locale et partant un potentiel pédagogique. De médium     de conservation de sagesses et de transmission réservé à l’élite savante, l’ajami sénégalais est devenu un moyen de communication courante. Le colonisateur l’avait bien compris ainsi et avait décidé d’utiliser cette transcription             pour échanger avec les autorités autochtones. Il avait même frappé la monnaie en langue wolof avec cette             graphie.  

Portée de la décision de     Touba Il va sans dire que l’Institution académique de Touba n’aura pas la même orientation que L’Université officielle. Elle ne pourra être ni laïque ni exclusivement francophone ou francophoniste. Ses initiateurs auront certainement à cœur de poursuivre l’œuvre du fondateur de la confrérie mouride qui a défendu corps et âme l’identité culturelle de sa communauté par la science et une conscience religieuse forte. Et, le moins qu’on puisse dire, est qu’il s’en est bien sorti ! Pour bien confirmer sa victoire contre l’oppresseur, les petits-fils décident d’exprimer leur volonté de fermer la parenthèse coloniale et néocoloniale en réhabilitant l’Ecole nationale. Ainsi, le continuum scientifique du pays sera remis à jour. En effet, l’Ecole officielle, héritée du colonisateur, a brisé les liens du Sénégal avec son passé et a rendu la population en majorité analphabète par le fait du Prince. Elle a formé une élite socio-handicapée, qui a du mal à communiquer avec sa base et à exploiter les écrits de ses ancêtres. Elle enfante des autorités politiques qui ne peuvent dire aucun vers de l’immense œuvre des érudits du pays ni lire une ligne de ce que ces derniers ont écrit. En somme c’est une Ecole pourvoyeuses de honteuses incapacités !

Enfin, il est à espérer qu’en menant ce projet à terme, les héritiers de Khadim Al Rassoul vont mieux préparer les Sénégalais, bien réduire la fracture culturelle existant entre eux et l’élite politique et renforcer la cohésion sociale. Vivement qu’ils poussent les dirigeant du pays à oser redéfinir l’Ecole officielle !

 

[1] Extrait du livre de l’auteur : Mesure de l’arabophonie du Sénégal, PUD, Dakar, 2017


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