Quand l’œil du lynx fouille l’économie du Sénégal

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Quand l’œil du lynx fouille l’économie du Sénégal

 

Deuxième économie de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et quatrième de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le gouvernement du Sénégal s’enorgueillit de cette performance économique .Or, à y regarder de prés, elle n’a augmenté ni l’intensité de la croissance, ni amélioré son efficience. Ainsi, il faut vraiment être allergique à l’évidence pour ne pas reconnaitre que cette croissance économique ne profite pas à la population. Cependant, même si des efforts considérables ont été fournis par le gouvernement durant ce quinquennat pour remettre le pays sur les rampes de l’émergence, force est de souligner aussi que la croissance reste molle. Dés l’entame de son mandat, le président a mis sur pied un vaste programme de relance économique dénommé Plan Sénégal Emergent (PSE ) qui se fixe comme objectif principal d’atteindre l’émergence en 2035.Ce programme économique, au delà de son ambition salutaire n’a pas encore répondu aux nombreuses attentes des populations ,car il s’inscrit dans un avenir lointain et les urgences économiques et sociales plombent considérablement le quotidien des sénégalais .Le chômage de masse est galopant, la croissance économique est volatile , le développement humain est entravé à un accès limité aux droits à la santé et à l’éducation.  

Une croissance économique atone qui ne reflète pas le quotidien des sénégalais

Les taux de croissance du Sénégal sont de 6,5 % en 2015 et 6,6% en 2016 selon la Division de la Prévention des Etudes Economiques du Sénégal (DPEE). Pour booster cette performance économique, le gouvernement table sur une croissance de 6,8 % en 2017 d’après toujours les prévisions de  la (DPEE).Cette hausse du taux de croissance s’explique largement par la dynamique du secteur agricole qui représente environ 14 % du PIB et emploie à peu prés 50% de la population selon les enquêtes menées par l’ANSD (Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie). En effet , rappelons aussi que ces acquis ont été renforcés par la relance du secteur industriel qui demeure malgré tout peu reluisant ,car composé majoritairement par des PME (1200 environs), mais aussi des services financiers et des télécommunications véritables catalyseurs  de l’économie sénégalaise. Le secteur tertiaire contribue à 60% du PIB et emploie 22,4% de la population. Ce regain de croissance s’explique essentiellement par la bonne tenue des services financiers, des services d’hébergement, mais aussi de l’essor des activités immobilières. Cependant, en examinant l’impact de ces  performances économiques, on s’aperçoit qu’elles restent toujours sibyllines. Vues sous cet angle, quelques interrogations accrochent l’attention et méritent d’être posées : ce taux de croissance reflète- t-il le vécu quotidien des sénégalais ? Autrement dit, a- t-il vraiment diminué le taux de chômage ?

 A-t-il participé réellement à la réduction de la pauvreté ?  

A- t-il contribué efficacement à assurer un système de santé et éducatif répondant aux normes internationales ? Très difficile de répondre par l’affirmative à partir du moment où :

-Le taux de pauvreté est galopant et atteint 46,7 % selon la DPEE.

-Le chômage de masse est persistant et avoisine les 15 % (Chiffre à vérifier)

-Le coût social en termes de bien-être social est croissant.

-La croissance est molle et le nombre d’emploi généré est en deçà de leurs attentes.

-Le développement humain est entravé par un faible accès au droit à l’éducation et à la santé.

L’ensemble de ces écarts jettent le doute sur la qualité de la croissance et des politiques économiques mises en place par le gouvernement. Durant ce quinquennat, le président Macky SALL a beaucoup misé sur l’investissement public notamment dans le domaine infrastructurel (l’autoroute Ila Touba 416 milliards de FCFA soit 634 millions d’euros, le TER (Train Express Régional),148 milliards de FCFA environ 225 millions d’euros, le pont de l’émergence et les nombreuses pistes rurales réalisées grâce au PUDC (Programme d’Urgence et de Développement Communautaire).Ces grands projets ont fait l’objet de grosses dépenses publiques dont la conséquence se traduit manifestement sur notre taux d’endettement qui est de 57% même si la fourchette autorisée par le FMI est de 70 %.Ainsi, la question de la soutenabilité de la dette publique sénégalaise pose problème car les dépenses n’ont pas été rationnelles . L’économie sénégalaise connait une croissance conjoncturelle c'est-à-dire une croissance qui dépend de l’investissement public, du coût du baril de pétrole et de la pluviométrie. Le prix du baril a chuté considérablement (50 dollar) et  les précipitations ont été abondantes. A cet effet, pour des investissements publics rentables, le gouvernement devrait plutôt s’appuyer sur les 3 politiques conjoncturelles de relance à savoir des dépenses publiques rationnelles, une fiscalité maitrisée et une politique monétaire efficace. Cependant la hausse des dépenses publiques, combinée à une politique fiscale inefficace montrent que la croissance est déséquilibrée et atone Cette atonie de la croissance est totalement  reconnue par le professeur Meissa Babou,  enseignant à UCAD (Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il souligne l’idée selon laquelle au Sénégal la croissance n’est pas porteuse de progrès économique et sociale. Selon lui : « Quand la croissance vient de grandes entreprises qui ont atteint leurs limites de développement, c’est-à-dire qui font des profits sans réinvestir, cette croissance ne sert à personne. Si la croissance était le fait de Pme ou de petites entreprises de Baol-baol qu’on encadre et finance, ces entreprises pourraient se développer et recruter des personnes. C’est ce qui devait être à la base du développement du Sénégal  ». Ces propos du professeur Babou ne sont pas dénués de pertinence et encouragent l’Etat à financer les PME, véritable moteur de développement économique. En plus, pour une croissance économique inclusive, beaucoup d’efforts doivent être consentis notamment sur l’industrialisation de l’agriculture, la réduction du train de vie de l’Etat, la relance du secteur tertiaire notamment le tourisme et harmoniser aussi le secteur des affaires afin de redynamiser les investissements privés.

La problématique du secteur informel dans l’économie sénégalaise mérite aussi d’être posée. En effet, lors de sa dernière visite au Sénégal, la directrice du Fonds Monétaire International (FMI), Mme Christine Lagarde a soutenu l’idée selon laquelle les ¾ de l’économie sénégalaise sont gérés par les marchands ambulants, autrement dit, l’économie informelle. Appelé aussi « l’économie populaire africaine », le secteur informel est le poumon de l’économie sénégalaise. Malgré tout, elle est souvent dépeinte en négatif. Au contraire, elle devrait être l’objet d’une grande réflexion, pour voir les modalités et les structures à mettre en place pour encadrer ,harmoniser et rationaliser ce secteur porteur d’emplois en vue d’y chercher même un bénéfice fiscal.

En évaluant la politique économique du Sénégal, le (FMI) a salué les efforts du gouvernement dans sa volonté  de remettre le pays sur une dynamique d’émergence. Toutefois, l’institution financière souligne : « Pour que le Sénégal parvienne à des taux de croissance de 7% à 8%, il sera nécessaire de maintenir un cadre macroéconomique sain et d’accélérer les réformes, afin de promouvoir les investissements privés » .Dans ces propos, nous retenons que le FMI encourage le Sénégal à hisser son taux de croissance à des niveaux supérieurs que ceux des années précédentes en vue d’une stabilité macroéconomique. A l’institution financière, nous lui dirons que taux de croissance élevé ne rime pas forcement avec une économie dynamique et inclusive car : « L’économie réelle, c’est le ventre et la poche. Tout le reste n’est que littérature économique » disait l’ex-ministre de l’Economie et des Finances du Sénégal Mamoudou Touré et ancien chef du département Afrique du FMI. A y regarder de prés, cette sentence de Mr Touré s’inscrit tout simplement aux antipodes de la réalité que vivent les sénégalais parce que, la croissance économique du Sénégal manifeste de visibles signes d’essoufflement. Les taux de croissance que le gouvernement annonce avec fierté n’ont pas manifestement contribué au recul de la pauvreté, à la diminution du chômage de masse et la garantie aux populations à l’accès des premiers soins de base. Sous cet angle de vue, la recherche effrénée de taux de croissance élevé ne va pas de paire avec l’émergence. Dans ce sillon, l’exemple de notre voisin, la Cote d’Ivoire est à convoquer ici .Depuis plusieurs années, elle a toujours eu des taux de croissance de l’ordre de 7 et 8 % voir plus mais les autorités de ce pays ont compris que cette croissance était extractive, exclusive donc ne bénéficiait pas à la population. Conscient de cette contre performance, le gouvernement Ivoirien décide de changer la donne en lançant un vaste Programme National de Développement pour la Cote d’Ivoire(PNDI) allant de 2016 à 2020.Avec le PNDI, le gouvernement espère une émergence avec des taux de  croissance relativement plus bas que ceux des années précédentes en vue d’enregistrer une croissance plus équilibrée et plus robuste. Certes, le taux de croissance du PIB est un indicateur économique important mais n’explique pas tout, de la même manière aussi que les chiffres prévisionnels ou officiels ne disent pas tout. Dans ce même ordre d’idées, Winston Churchill a soutenu  avec humour : « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées ».

Une  politique monétaire plus ou moins efficace

Membre de l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), la politique monétaire du Sénégal est placée sous la tutelle de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). L’objectif premier de la dite institution est de maitriser l’inflation. Guidée par l’impératif de crédibilité, la politique monétaire conduite par la BCEAO a jusqu’ ici réussi à maitriser l’inflation soit 0,6% au mois d’Aout 2016  .Ce pourcentage relativement faible est du essentiellement à la chute vertigineuse du baril de pétrole. De plus, deux situations peuvent aussi apporter des éléments de réponses : d’une part l’économie mondiale est marquée par une diminution de la demande et la faiblesse des coûts mondiaux des matières premières, et d’autre part à la stagnation de l’économie chinoise.

En abordant la compétitivité – prix, durant les sept premiers mois de 2016, l’économie sénégalaise a enregistré, en moyenne des pertes évaluées à 0,5% par rapport à la même période en 2015, selon la DPEE. Cette situation traduit l’appréciation du FCFA (+3,3%) par rapport aux monnaies des principaux partenaires. En outre, avec la zone CFA, nos économies sont extraverties car l’essentiel des pays qui la composent sont des exportateurs de matières premières et des importateurs de produits manufacturiers très couteux. Avec cette monnaie, les économies de la zone ne peuvent pas être compétitives, elles n’arrivent pas à exporter leurs récoltes et leurs biens.

Un environnement macroéconomique déséquilibré

Selon la Banque Mondiale, l’économie du Sénégal est marquée par une série de déséquilibre macroéconomique. En analysant les performances macroéconomiques du pays : (déficit budgétaires, maitrise de l’inflation et stabilité macroéconomique), force est d’observer que le Sénégal ne bénéficie pas d’un environnement macroéconomique stable. Une idée largement partagée par le FMI qui reconnait toutefois les efforts du gouvernement, mais encourage aussi ce dernier à continuer dans sa politique d’assainissement de l’environnement des affaires. Le Sénégal souffre d’un climat des affaires parfois difficile. Il se place à la 153 e sur 189 pays au classement Doing Business 2016, alors que la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne s’établit au 142 e rang. Le récent classement de l’Indice de Développement Humain(IDH) du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement ) et qui prend en compte(l'éducation, l'espérance de vie, et le niveau de vie),  pointe le Sénégal à la 30e place en Afrique et 162 e au niveau mondial .Ainsi, il se situe dans la catégorie des pays ayant un faible niveau de développement humain au détriment des pays comme les Seychelles, l'Ile Maurice, l'Algérie, la Tunisie, et la Libye qui caracolent en tête avec un niveau de développement humain élevé.

 Les difficultés structurelles du secteur financier, la longueur des procédures administratives et la prévarication des ressources du pays nuisent à la croissance. Pourtant, la bonne gouvernance est devenue depuis les années 90 la principale clé de voute des institutions internationales (Banque Mondiale et FMI).Ces dernières la placent au cœur des politiques économiques recommandées aux pays en développement. Elle est synonyme d’une gestion, rigoureuse, vertueuse et sobre des ressources économiques et sociales du pays. C’est dans ce sillage que les politiques publiques de la BM et du FMI reposent désormais sur l’idée maitresse que le renforcement des marchés passe nécessairement par la mise en place d’institutions favorables à la croissance et à la lutte contre la pauvreté.

                                 Mandela Ndiaye TOURE

                              


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El Hadji Dieye - #1

C'est Une Analyse Pertinente Mon Frère. Vous Avez Touché Les Points Saillants De L'economie Sénégalaise.etant Juriste Je Confirme Votre Thèse En S'appuyant Sur Les Entreprises En Liquidation Et Le Faible Taux De Creation D'entreprises. Merci Et Bon Courage Pour Vos Analyses Et Vous Etes Une Fierte Du Djololf.

le Jeudi 20 Avril, 2017 à 19:49:52RépondreAlerter

Mandi - #2

Merci Grand Frére Pour Tes Encouragements, à Quelques Mois Des éléctions Législatives Il Est Necessaire De Poser Le Débat économique Pour Eclaircir La Lanterne Des Sénégalais .

le Jeudi 20 Avril, 2017 à 20:34:08RépondreAlerter

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