COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE: MYTHE OU RÉALITÉ ?

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  • Article ajouté le : 27 Dimanche, 2016 à 00h11
  • Author: Nioxor TINE

COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE: MYTHE OU RÉALITÉ ?

La couverture universelle pour un meilleur accès de tous les Sénégalais aux services de santé est mise en oeuvre depuis un peu plus de trois ans dans notre pays. En attendant les résultats de l’évaluation promise par le Président de la République - comme il l’avait également demandée pour l’Acte 3 - il faut reconnaître, que l’immense espoir placé par toute la Nation sur la réussite des nobles ambitions présidentielles pour un Sénégal solidaire pourrait être plombé par de basses préoccupations politiciennes et électoralistes.

L’idée de couverture maladie universelle est une vieille idée, qui date de la création de l’OMS (1948), qui l’a d’ailleurs inscrite en bonne place dans sa Constitution. Elle a été renforcée, en 1978, lors de la fameuse conférence d’Alma Ata, qui a jeté les bases de la politique de soins de santé primaires. Plus de trente ans plus tard, devant les difficultés croissantes rencontrées par tous les pays du globe à prendre en charge la santé de leurs populations, l’OMS en appela à améliorer l’équité en santé, en procédant à des réformes de la couverture universelle. D’ailleurs, en 2010, le rapport de l’OMS sur la santé dans le monde était intitulé « Le financement des systèmes de santé : le chemin vers une couverture universelle ». 

C’est donc tout naturellement qu’en 2012, Mr Macky SALL, tout nouveau Président de la République, devant un niveau de protection sociale de moins de 20% au Sénégal, inscrit, parmi ses priorités, le programme de la couverture maladie universelle, qui sera officiellement lancé en septembre 2013.

La couverture médicale universelle (ou mieux la couverture sanitaire universelle peut être  définie comme un dispositif devant permettre à tous les citoyens d’avoir accès à des services de santé nécessaires, efficaces et de qualité, sans pour autant subir des conséquences fâcheuses sur le plan financier dues aux paiements pour les soins.

Les leviers financiers qui rendent possible la couverture sanitaire universelle touchent à trois domaines étroitement liés les uns aux autres : la collecte de fonds pour la santé, la mise en commun des fonds et l’allocation ou l’utilisation des fonds d’une manière qui favorise l’efficacité et l’équité.

LES TROIS RÉGIMES DE LA CMU

La couverture du risque maladie comporte trois régimes au Sénégal : les régimes obligatoires, les politiques dites de gratuité ou d’assistance médicale et les mutuelles.

Dans notre pays, on peut dire que parmi les travailleurs, ceux du secteur moderne dit formel sont les mieux protégés contre le risque maladie. Ils bénéficient, en effet de régimes obligatoires : imputations budgétaires pour les fonctionnaires et lettres de garantie pour les salariés du secteur privé. 

La manière cavalière souvent utilisée par les pouvoirs publics pour mettre en place ces politiques de gratuité, peut faire penser qu’elles ne visent pas seulement à faciliter l’accès des couches vulnérables aux soins mais qu’elles  semblent avoir des soubassements populistes voire politiciens.  

On peut citer comme exemple l’annonce de la gratuité des soins pour les personnes âgées de plus de 60 ans lors du discours présidentiel à la Nation du 03 avril 2006, à la veille des élections présidentielles de 2007.

Le fameux plan Sésame accueilli avec enthousiasme, par les personnes du troisième âge, ne fut néanmoins doté que d’une enveloppe financière insignifiante de moins d’un milliard (700.000F) qui aurait été doublée par l’actuel gouvernement, mais reste toujours largement insuffisante. Il a marqué une nouvelle étape dans la précarisation du financement du système sanitaire déjà soumis à rude épreuve par les difficultés liées au transfert des fonds de dotation aux collectivités locales, depuis 1996. Il est à l’origine de la faramineuse dette hospitalière, que le gouvernement sénégalais n’a pas encore fini de payer. En effet, en 2012, l’Etat devait 4 milliards de francs aux hôpitaux dont 3 à l’Hôpital Principal.

Il a été reproché à ce plan un défaut de ciblage, même si au départ, il n’était censé concerner que les personnes âgées ne bénéficiant d’aucune couverture risque maladie. Les services chargés du plan Sésame très peu utilisés par nos les populations rurales (de l’avis même du Directeur Général de l’Agence de la CMU) sont actuellement pris d’assaut par d’anciens fonctionnaires et salariés du secteur privé, à tel point que l’Agence de la CMU est en train de travailler sur la mise en place d’un système d’identification biométrique

Il y a d’autres initiatives de gratuités mises en œuvre par le ministère de la santé et de l’action sociale, notamment celles portant sur les enfants de moins de cinq ans, sur les accouchements et césariennes ainsi que l’accès gratuit aux antirétroviraux (ARV) et aux médicaments antituberculeux. En plus, certaines maladies font l’objet de subventions pour abaisser leurs coûts de traitement (diabétiques, médicaments génériques pour les cancers, dialyses pour insuffisances rénales, etc.). 

En résumé, ces initiatives de gratuités, même si elles peuvent quelque peu contribuer à l’augmentation de la consommation des soins, de la qualité des soins, de l’équité, elles n’ont encore que peu d’impact sur l’amélioration des indicateurs de santé (surtout pour la santé reproductive). Par contre, elles rencontrent beaucoup de difficultés liées principalement à l’insuffisance des ressources allouées, au mauvais ciblage et aux processus de gestion (lourdeurs administratives, retards dans les remboursements), mais aussi à l’insuffisance de la communication en direction des bénéficiaires. 

S’agissant des mutuelles de santé, nous parlons de celles communautaires dites communautaires (acteurs du secteur informel et du secteur rural non éligibles aux régimes obligatoires d’assurance maladie). Les reproches, qui leur sont faits le plus souvent, sont les suivants :

Faible taux de pénétration dû à la faible attractivité des paquets de prestations offerts, (faiblesse des montants de cotisations),

Faible implication de l’Etat, des collectivités locales et du personnel de santé, 

- Faiblesse dans la coordination des interventions d’appui aux mutuelles,

- Approche « top/down » alors que la mise sur pied d’une mutuelle doit correspondre à une aspiration profonde des communautés concernées,

- Sous-estimation de l’importance de certains préalables (besoin réel en matière de financement des soins de santé, services de santé de qualité, dynamique de développement économique au niveau local, liens de solidarité entre les futurs membres et confiance envers les initiateurs du projet…)

- Non-respect d’un certain nombre d’étapes, (information, sensibilisation et diagnostic communautaire, comité d’initiative, étude de faisabilité, collaboration avec les structures de soins, assemblée générale constitutive…)

- Non appropriation des principes de base du mouvement mutualiste (solidarité, participation démocratique, autonomie et liberté…)

BILAN D’ETAPE DE LA COUVERTURE DU RISQUE MALADIE

Sur le plan de l’accès aux soins, entre 2012 et 2015, le taux de couverture du risque maladie est passé de 21% à 47%, à cause de deux nouvelles initiatives que sont :

- la gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans (13%)

- la subvention totale des cotisations pour les bénéficiaires des bourses de solidarité familiale (15%)

Quant aux mutuelles, dont le développement et la promotion sont censés constituer l’axe prioritaires de la CMU, elles ne contribuent encore que pour 2% à l’effort de couverture au plan national.

Certains indicateurs peuvent renseigner sur la faible accessibilité des soins, à savoir :

- le faible niveau et la mauvaise qualité de la prise en charge des urgences,

- le pourcentage anormalement élevé d’accouchements à domicile,

- le faible niveau de couverture effective en consultations prénatales,

- le faible pourcentage d’enfants complètements vaccinés…

Sur le pan de la protection financière, il s’agit d’évaluer le coût des services de santé pouvant avoir un impact sur le niveau de vie du ménage, à savoir,  le plus souvent, des paiements directs tirés de la poche du patient (consultations, médicaments, public et privé) pouvant entrainer des coûts catastrophiques, plus de 40% du revenu du ménage, ou appauvrissants, poussant les ménages sous le seuil de pauvreté.

Les paiements directs sont liés à divers facteurs :

- On observe un déficit de systèmes de prépaiement ou de mise en commun des ressources (assurance –maladie nationale ou dépenses publiques directes pour la Santé), 

- Le budget du Ministère de la Santé et de l’Action sociale n’a pas encore atteint les 15% et a subi, ces dernières années, tout comme celui dévolu à l’Education Nationale, des coupes sombres.

La question se pose alors de savoir, dans quelle mesure, le système actuel protège vraiment contre le risque financier, si on prend en compte ses multiples dysfonctionnements contraignant le patient à solliciter les structures privées :

- insuffisance de l’offre par rapport à la demande, 

- rupture de stocks de médicaments même ceux d’urgence, consommables et réactifs,

- absence de maintenance des équipements qui finissent par tomber en panne

QUELS SONT LES OBSTACLES A LA REUSSITE DE LA CMU ?

Il y a d’abord ceux liés aux facteurs extérieurs au système de santé. Il s’agit de facteurs tels que le genre et le statut de migrant et les déterminants sociaux de la santé : stress, manque d’éducation, alimentation, habitat, emploi, exclusion sociale, transport…etc. qui, bien évidemment, ne pourront être résorbés que progressivement. 

Il y a ensuite la faiblesse du système de santé. Il faut se départir de la fausse idée, selon laquelle la couverture universelle n’intéresserait que le financement de la Santé. L’échec de la CMU peut également être en rapport avec les autres composantes du système de santé (souvent appelées les «buildings blocks")

- Pénurie en personnel de santé, 

- Ruptures fréquentes de stock en médicaments et en technologies médicales,

- Prestation de services inefficace,

- Systèmes d'information insuffisants, faibles et mal coordonnés, 

- Leadership déficient du gouvernement et/ou malgouvernance.

Il est clair, cependant, que les autres composantes du système de santé ne peuvent pas fonctionner correctement si les fonds sont insuffisants au départ, ce qui peut être dû à un faible taux de mise en commun des ressources (assurance maladie, dépenses publiques directes pour la santé). La situation de déficit peut être aggravée par la nécessité de ressources supplémentaires à cause des transitions épidémiologiques et démographiques dans nos pays.

Par ailleurs, le caractère embryonnaire de la collecte des données financières peut nuire aussi bien à l’établissement de de critères pertinents d’allocation des ressources qu’à l’analyse des obstacles financiers à l’accès aux services de santé.

Enfin, les ressources financières de notre système sanitaire, en plus d’être insuffisantes, font souvent l’objet d’une utilisation inefficiente par:

- le non-respect du code des marchés aboutissant parfois à des surfacturations préjudiciables aux structures sanitaires,

- l’absence de rationalisation des soins pouvant conduire à des protocoles thérapeutiques onéreux,

- les recrutements intempestifs et massifs de personnels non diplômés concomitants à une insuffisance des personnels qualifiés (manque de motivation des personnels, détérioration de la qualité des soins, équilibre financier des structures sanitaires compromis à cause de la lourdeur de la masse salariale et l’importance des primes et gratifications), 

- l’option du tout hospitalier avec prédominance des soins curatifs onéreux dessert les activités liées à la prévention et à la promotion, qui en plus de préserver les populations de maladies très graves et souvent mortelles, sont d’un meilleur rapport coût/efficacité

DONNER UN NOUVEL ELAN A LA CMU !

Pour passer de la noble ambition de la couverture universelle proclamée par les pouvoirs publics à la réalité d’un meilleur accès aux soins pour les larges masses populaires, qui devraient être épargnées de dépenses de santé onéreuses voire catastrophiques, il s’agira de prendre en compte les recommandations suivantes :

- Augmenter les ressources nationales pour la Santé en portant enfin la part du budget dévolu à la Santé à 15% (déclaration d'Abuja en 2001), 

- Collecter les ressources de manière plus efficiente en luttant contre la corruption aussi bien à l’échelle nationale qu’à celle des structures de soins,

- Trouver de nouvelles sources de revenu (taxes indirectes à travers la TVA ; taxes sur les produits nocifs ; taxe sur les opérations de change taxe sur les transactions financières internationales…etc.),

- Réduire l'impact des paiements directs pour la population générale et les couches vulnérables en renforçant et en pérennisant la couverture maladie universelle,

- Approfondir le processus de réforme des IPM,

- Etablir un plan pour fusionner progressivement les mutuelles communautaires en un système national d’assurance maladie,

- Evoluer vers des contributions obligatoires (taxes ou cotisations d'assurance), voie obligée vers la couverture universelle,

- Minorer les sources d’inefficience (respect du code des marchés, recrutement des ressources humaines en respectant le tableau des emplois,

- Privilégier les paiements à l’épisode par rapport au paiement à l’acte

- Affiner le dispositif de subvention des cotisations des pauvres et personnes vulnérables aux mutuelles, qui risque de sombrer avec les bourses de solidarité familiale,

- Respecter scrupuleusement les différentes étapes de mise en place d’une mutuelle pour éviter des risques majeurs que sont le risque de sélection adverse, le risque moral ou de consommation abusive de soins, le risque de surprescription, les fraudes et les abus, l’occurrence de cas «catastrophiques»…etc.

En conclusion, nous dirons que face à la politique communicationnelle offensive de l’Agence de couverture maladie universelle, il importe, en tout premier lieu, de s’assurer de la réalité de la protection contre le risque financier. C'est pourquoi, le suivi des performances de la CMU devrait plutôt être centré sur la couverture réelle de la population par des services de santé essentiels de qualité et sur la protection contre les dépenses de santé directes catastrophiques. 

A cet égard, il s’agira de prendre des mesures incitatives, de renforcer le personnel, les infrastructures et les équipements, bref de renforcer l’offre de santé, pour permettre aux groupes de population les plus vulnérables, comme les personnes pauvres ou celles qui vivent dans les zones rurales isolées, d’avoir accès à des soins de qualité.

C’est dire que le suivi des progrès vers la couverture sanitaire universelle ne devrait pas se limiter à un décompte administratif de pourcentages de couverture, mais s’inscrire dans le cadre plus général de la performance globale des du système sanitaire.

Dr Mohamed Lamine  LY

SDT / 3S

BIBLIOGRAPHIE

1- Bureau international du Travail(BIT) /STEP : Guide d’introduction aux mutuelles de santé en Afrique 

2- Dereje Mamo Tsegaye; Six building bocks of the health system: progress towards the integration in Ethiopia; Federal Ministry of Health

3- Inke Mathauer, MSc., PhD ; Département des Systèmes de Financement de Santé ; OMS ;  Le financement des systèmes de santé : Le chemin vers la couverture universelle

4- MSAS ; Plan stratégique de développement de la Couverture Maladie Universelle au Sénégal ; 2013-2017 

5- Ministère de la Fonction Publique ; du Travail, du Dialogue Social, et des Organisations Professionnelles ; Présentation des Institutions de Prévoyance Maladie

6- OMS ; Couverture sanitaire universelle ; Aide-mémoire N° 395 ; Décembre 2015

7- Premier Forum International sur les Innovations en Santé et Développement (FIISDDAK) : Couverture Maladie Universelle au Sénégal : Etat de mise en œuvre et perspectives

 

             

 

 


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