PROPOSITIONS POUR UN PROGRAMME ALTERNATIF

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  • Article ajouté le : 28 Jeudi, 2019 à 21h02
  • Author: Nioxor TINE

PROPOSITIONS POUR UN PROGRAMME ALTERNATIF



POUR UN SYSTÈME SANITAIRE ADAPTÉ À NOS RÉALITÉS ET EFFICIENT

Pour améliorer la prise en charge sanitaire de nos populations, le premier défi à relever sera assurément celui d’ancrer notre système sanitaire dans nos réalités nationales, par la rupture d’avec le modèle colonial français et les influences négatives Partenaires Techniques et Financiers (PTF). Nous illustrerons cette exigence par l’exemple de la médecine traditionnelle, traitée en parent pauvre, et dont le processus de réglementation enclenché depuis plus de deux décennies, n’est toujours pas achevé, se heurtant aux réserves expresses de certains professionnels de la santé, qui vont jusqu’à exiger le retrait pur et simple, du circuit administratif, du projet de loi déjà adopté en conseil des ministres.

Par ailleurs, une prise en compte des déterminants sociaux  pourra contribuer à la résorption graduelle des inégalités en santé liées à la condition sociale des individus. C’est dire, qu’il faut donner à notre système sanitaire une orientation plus axée sur les stratégies de prévention et de promotion, qui sont d’un meilleur rapport coût-efficacité. 

Il faudrait, enfin, investiguer, au moyen de l’évaluation d’impact,  les relations de causalité entre les différentes interventions sanitaires et les résultats observés dans l’amélioration du bien-être de nos populations.

RENFORCEMENT DU LEADERSHIP ET DE LA GOUVERNANCE

Sur le plan organisationnel, il s’agira de simplifier le cadre institutionnel dans une optique de meilleure gestion des politiques publiques de santé et d’action sociale. On pourrait ainsirevoir et alléger l’organigramme du niveau central du ministère en vue de minorer les lourdeurs bureaucratiques et améliorer, à tous les niveaux, la qualité organisationnelle des structures de coordination, de mise en œuvre, de suivi-évaluation et d’audit. 

Une meilleure incorporation des professionnels de l’action sociale au niveau du ministèreaidera à accélérer l’intégration du secteur social aux activités sanitaires. Toujours, concernant ce volet social, nos décideurs devront se résoudre à transcender les préoccupations clientélistes voire politicienneset tenter d’obtenir une meilleure synergie des différentes politiques dispersées entre la Présidence  (Délégation générale à la Protection sociale et à la Solidarité nationale), le ministère de la femme, de la famille et du genre, celui en charge de la microfinance...

L’abandon progressif de l’approche verticale ou approche-programme ainsi que l’harmonisation les interventions des PTF contribueront à renforcer le leadership des autorités sanitaires. Ces dernières devront aussifaire preuve de plus de fermeté dans la réglementation de la médecine privée, de la médecine traditionnelle et dans le contrôle plus strict de l’importation de produits nocifs utilisés dans la dépigmentation artificielle... 

S’agissant du respect des normes de bonne gouvernance sanitaire, il faudra élaborer un code des marchés mieux adapté à la santé et systématiser la formation des autorités contractantes.Il serait également judicieux d’instaurer des sanctions plus sévères contre les conflits d’intérêts et les fautes de gestion. Pour cela, il faudra miser sur la collaboration étroite avec les travailleurs et les usagers dans la gestion des structures sanitaires.

Seule la coexistence d’un secteur public prédominant et d’un secteur privé complémentaire, sera à même de garantir une offre de service continue et de qualité, afin de rendre sauf un accès équitable aux soins, surtout d’urgence. 

AMÉLIORATION QUANTITATIVE ET QUALITATIVE DE L’OFFRE DE SOINS

La mise à jour périodique de la carte sanitaire pour une mise aux normes des structures socio-sanitaires (infrastructures, équipements, ressources humaines…), est nécessaire pour parvenir à la rationalisation et à la complémentarité de l’offre de soins. Cela permettra d’améliorer l’accessibilité physique aux services de santé, en prenant comme repères les normes de l’OMS et d’assurer l’opportunité et la continuité des services à tous les échelons de la pyramide sanitaire, en veillant à la pertinence du système d’orientation-recours.

S’agissant plus spécifiquement des ressources humaines, il sera difficile d’atteindre les objectifs du PNDSS et ceux dédiés au développement durable, sans un recrutement conséquent de personnels socio-sanitaires, non seulement par le biais de la Fonction Publique, mais aussi en profitant des opportunités offertes par la réforme hospitalière et les lois de décentralisation, qui consacrent le transfert de la compétence santé aux collectivités territoriales. C’est le lieu de se féliciter des récents développements, ayant trait à la Fonction Publique territoriale, qui faciliteront la mobilité des agents municipaux sur tout le territoire national et au statut du personnel hospitalier, qui tarde, cependant, à entrer en vigueur. Pour ce qui est de la gestion démocratique du personnel, avec mise en compétition des postes, le Ministère en charge de la Santé devrait enfin corriger le grand retard qu’il accuse par rapport au Secteur de l’Éducation.

Il faudra également enrôler davantage d’étudiants dans les écoles publiques de formation en santé mais également dans celles privées.  À cet égard, il faudrainstaurer une réglementation rigoureuse dans la délivrance d’autorisation d’ouverture de ces écoles et facultés et y procéder à des inspections régulières.

Il faudra, dans le même temps, veiller à la fidélisation, à la motivation et à une répartition du personnel couvrant l’ensemble du territoire national, par la mise en œuvre de mesures incitatives adéquates et des dispositions réglementaires pertinentes.

Enfin, l’idée d’une régionalisation des postes budgétaires pour remédier à l’exode des agents de santé vers Dakar et les grandes agglomérations urbaines, agitée depuis longtemps, tarde à être matérialisée.

C’est dans ce même ordre d’idées que l’octroi de bourses de formation à des médecins désireux de se spécialiser et prêts à servir au moins pendant cinq ans dans des collectivités locales ciblées permettra de diversifier et de parfaire l’offre de services sur toute l’étendue du territoire national et d’améliorer l’équité dans l’accès aux soins de tous les citoyens sénégalais.

POUR UN FINANCEMENT ADÉQUAT ET ÉQUITABLE

Sur le plan du financement de la Santé, il s’agira, en premier lieu, d’évaluer et de réactualiser les conclusions du Forum national du 17 décembre 2017 sur la mobilisation des ressources pour le financement de la santé en vue de la couverture sanitaire universelle.

En effet, la couverture sanitaire universelle occupe une place primordiale dans le cadre de l’agenda de l’Organisation Mondiale de la Santé et constitue un facteur reconnu de croissance économique. Cet état de fait a permis un engagement accru des Chefs d’État africains, dont le nôtre, en sa faveur et facilité le plaidoyer en faveur d’un financement adéquat de la Santé. Néanmoins, le culte du résultat immédiat et l’empressement à engranger des gains politiques ont eu des effets pervers sur l’implémentation et la mise en œuvre de la couverture sanitaire universelle. C’est ainsi que les acteurs sont unanimes à plaider pour un ancrage institutionnel de la couverture sanitaire universelle, qui aide à promouvoir la multi-sectorialité, en agissant sur les déterminants sociaux, tout en séparant les fonctions d’achat et d’offre de services, toutes deux actuellement dévolues au Secteur de la santé. Il s’agira, par ailleurs, d’améliorer la gestion des Instituts de Prévoyance-Maladie (IPM) pour les travailleurs du secteur privé, résidant le plus souvent en milieu urbain et d’assurer la promotion des mutuelles de santé pour les citoyens du monde rural, du secteur informel et des banlieues des grandes agglomérations.

Mais avant cela, des mesures très urgentes s’imposent telles que la résorption des dettes dues aux structures sanitaires et aux mutuelles, ainsi qu’un meilleur ciblage des bénéficiaires des politiques de gratuité.

Par ailleurs et de manière plus générale, il faudra définir des critères pertinents d’allocation des budgets de fonctionnement des structures socio-sanitaires et user des contrats de performance et d’autres modalités de transfert de ressources (financement basé sur les résultats,contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, mécanismes d’achats de la performance),  pour améliorer la qualité des soins.

RENFORCEMENT DE LA DISPONIBILITE DES MEDICAMENTS ET PRODUITS ESSENTIELS

En matière de médicaments, produits et technologies médicaux essentiels, les mesures suivantes sont recommandées :

Réactualiser régulièrement les listes nationales de médicaments essentiels, des protocoles nationaux de diagnostic et de traitement et du matériel standardisé pour chaque niveau de soins, afin d’orienter les achats, les remboursements et la formation ;Revoir le système de réglementation des produits médicaux couvrant les autorisations de mise sur le marché et le contrôle d’innocuité ;Faire une évaluation nationale annuelle des besoins en médicaments ;Optimiser le circuit de distribution des médicaments, y compris les médicaments traditionnels améliorés (MTA) Renforcer la complémentarité public/privé dans l’approvisionnement en médicaments essentiels ;Tarir les sources d’approvisionnement illicite en médicaments ;Développer l’Information Éducation et Communication (IEC) en vue de la promotion des médicaments génériques ;Renforcer des activités de laboratoires en vue de mettre en place un système d’assurance-qualité reposant sur l’homologation, le contrôle qualité et la pharmacovigilance...DES MESURES HARDIES POUR LA TERRITORIALISATION DES POLITIQUES DE SANTÉ

La garantie de l’implication des communautés dans la prise en charge de leur santé est un préalable à la consolidation du processus de décentralisation en santé. il importe, également, de renforcer les capacités techniques et administratives, ainsi que les ressources humaines, matérielles et financières des collectivités locales pour leur permettre de prendre correctement en charge la compétence santé et action sociale. Enfin, il faudra définir clairement, au niveau des comités de développement sanitaire (CDS), les prérogatives des différents acteurs des systèmes locaux de santé, en rapport avec la décentralisation et la participation communautaire;

POUR UNE MEILLEURE REGULATION DE LA POLITIQUE HOSPITALIERE

Il faut remédier à la situation de surendettement et/ou de quasi-faillite dans laquelle se trouvent la plupart des hôpitaux. Cela est dû au fait que l’autonomie de gestion aux hôpitaux conférée par la Réforme a conduit à des dérives, notamment, à des recrutements clientélistes et massifs de personnels non qualifiés, à une multiplicité de primes et gratifications, à l’inefficacité des procédures de contrôle, au non-respect du code des marchés publics conduisant à des surfacturations... 

Il est donc de temps de restaurer un contrôle plus strict sur la gestion des structures hospitalières, afin de progresser sur le chemin de l’équité et rendre les soins hospitaliers plus accessibles pour la majorité de la population.

En conclusion, nous retiendrons que le secteur de la santé et de l’action sociale souffre d’un déficit global de financement, qui rend les soins et services difficilement accessibles à la grande majorité de nos concitoyens. Pour y remédier, les pouvoirs publics ont le devoir, d’aller au-delà de la simple volonté politique proclamée, à un financement adéquat et équitable de la santé vers la couverture sanitaire universelle.

BIBLIOGRAPHIE

COSAS ; Atelier de consensus pour la mise sur pied d'une coalition pour la santé ; Août 2016
Inke Mathauer, MSc., PhD ; Département des Systèmes de Financement de Santé ; OMS ;  Le financement des systèmes de santé : Le chemin vers la couverture universelle
Lemière Christophe; Turbat Vincent; Puret Juliette: A Tale of Excessive Hospital Autonomy? An Evaluation of the Hospital Reform in Senegal
MSAS ; Stratégie nationale de financement de la sante pour tendre vers la couverture sanitaire universelle, 2017
OMS ; Éléments essentiels au bon fonctionnement d’un système de santé
OMS ; Rapport final de la Commission des déterminants sociaux de la santé
Sénégal ; Rapport de synthèse ; Enquête Continue Cinquième Phase 2017 

Dr Mohamed Lamine Ly est Spécialiste en santé publique, Ancien secrétaire chargé de la politique de santé du SUTSAS (1998 à 2007) et actuel secrétaire général de la Coalition pour la Santé et l’Action sociale (COSAS).


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