De la démocratie hibernée à l’entropie au sein de la République

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De la démocratie hibernée à l’entropie au sein de la République

     Personne n’a besoin de détenir une potion magique pour savoir que l’arbre penche toujours du côté où il va tomber. C’est en quelque sorte un truisme ou une lapalissade. De la même manière notre société déjà penchée vers le mauvais côté de la vie finira très bientôt par terre ou scléroser dans la désolante manière de fonctionnement des sociétés tyranniques ou anarchiques. Il faut que votre vue soit diantrement interceptée par une véritable œillère pour que vous ne voyiez pas ce qui se passe actuellement dans ce pays. C’était une impression, mais qui a très vite fini par être une conviction que la société sénégalaise est maintenant, pour autant qu’on puisse dire, à l’image d’un Etat antisocial, hostile à l’épanouissement de l’homme dans la paix, la sécurité et la justice : des droits bafoués et foulés aux pieds, des libertés fondamentales restreintes.

     De cette situation devenue insupportable pour ceux qui subissent violemment les coups, nous assistons partout dans ce pays à des baroufles incessants, des mouvements de protestation à la base desquels se trouve une réclamation de la justice qui, aux yeux de plus d’un, est devenue partielle, politiquement clanique et plus que sélective.

A travers nos chaînes de télévision, nous voyons des traquenards à l’œuvre, des troubadours, des ventriloques bien trempés dans l’habileté de jonglerie intellectuelle. Des hommes politiques champions de l’insulte qui montrent leurs talents d’insulteur par l’insulte et qui semblent ne souhaiter sans doute se faire une place dans le monde que dans celui des insulteurs publics. Et que dire de ceux qui, ayant soif de célébrité plus que de reconnaissance par le peuple, cherchent à être connus pour des fictions fades et insanes ou des actions purement verbales et tournée vers l’inconsistance, la niaiserie au lieu d’être reconnus par des actions politiques efficaces qui inscrivent le pays sur la bonne marche de l’émergence. La société sénégalaise est aujourd’hui mal barrée, elle est, nolens volens, au fonds de l’abîme car minée en profondeur par une tendance diffuse de déchéance politique d’une façon telle qu’elle tombe dans l’immense n’importe quoi, ce n’importe quoi du et dans  TOUT qui harcèle la conscience collective.

 Est-ce le chant du cygne pour cette société sénégalaise connue autrefois pour son élite intellectuelle, sa forte démocratie et ses institutions et par monts et par vaux enviée pour ses prodiges d’hommes politiques rompus à la tâche ? Il y a vraiment de quoi s’inquiéter pour l’avenir sérieusement menacé de ce pays dont le niveau actuel de bassesse laisse libre cours aux opprobres et aux insanités les plus dénués de tout fondement moral. Mais à qui faut-il imputer la responsabilité de ces dérapages constatés depuis quelque temps ?

Voilà une question sans la réponse de laquelle tout ce propos à valeur satirique ne serait qu’une simple enfilade ou un radotage inopportun parce que le mal ne serait pas bien diagnostiqué pour que la pilule de la solution soit prescrite et avalée par le peuple. D’ailleurs, le mal qui est là au vu et au su de tous et il a dépassé la limite du tolérable, il est déjà trop profond pour qu’on puisse exonérer quel que acteur qu’il soit de cette responsabilité. Celle-ci serait alors à chercher plutôt dans l’implication non négligeable de TOUS, mais en particulier de nos hommes politiques, décideurs et gouvernants. En disant « TOUS », je convertis surtout mon regard vers tous ces échos sonores, porteurs de voix de ce pays qui reposent dans le malheureux demi-sommeil du silence au moment où le pays traverse une mauvaise passe et détournent leurs regards d’immaculés sous peine de se salir les mains dans cette foultitude d’affaires de crimes financiers, de scandales économique et politique, de mœurs qui touchent ce pays depuis longtemps et au premier plan desquelles l’affaire Ousmane Sonko qui défraie la chronique actuellement. Pour ladite affaire,  la jurisprudence voudrait qu’on soit prudent le temps d’y voir de façon beaucoup plus claire car l’homme politique qu’il se nomme Sonko, Idrissa ou Macky…, du fait qu’il est « homme politique », au sens de celui qui est censé gérer les affaires de la cité est indigne de certaines choses d’une véritable bassesse. Mais si tant est qu’il soit un complot politique pour noyer un futur candidat aux prochaines élections présidentielles comme le prétendent beaucoup de sénégalais, nos dirigeants sont alors vraiment méconnaissables sur ce coup et s’exposent au risque tout en exposant le pays à toute sorte de violence. Pourtant, le bénéfice du doute est accordé dès le début par plus d’un à l’opposant de taille Ousmane Sonko à telle enseigne que certains sénégalais se disent prêts à en découdre. Et c’est justement ce fait là qui est remarquable dans cette affaire et qui mériterait qu’on s’y attarde un peu parce qu’il est significatif et sa valeur est signalétique : le fait que pratiquement tous les sénégalais, sans attendre le verdict de la justice, pensent automatiquement à une cabale montée de toutes pièces pour disqualifier un adversaire politique. De façon explicite, c’est parce que d’abord on ne fait plus confiance à notre justice et ensuite c’est parce qu’on est tellement habitué à assister à de tels faits au Sénégal et partout en Afrique d’ailleurs que finalement tout procès intenté contre un opposant est rangé très rapidement sous le compte de complot politique dans le but de ne plus rencontrer sur le chemin des prochaines élections d’obstacles autant dire d’adversaires de taille et cela à cause d’une simple boulimie du pouvoir. A ce propos, je ne peux pas résister à l’envie de vous citer ces quelques lignes du professeur Alassane Kitane tirées dans sa publication du 8 février sur sa page Facebook et qui sont d’une parfaite illustration. Ainsi écrit-il : « à force de fomenter des complots contre ses adversaires, on finit par ne plus être crédible. La voix accusatrice du démon est disqualifiée pour juger de la probité de ses victimes. » L’histoire politique du Sénégal est truffée de pareils exemples : Léopold Sédar Senghor a ouvert le bal en emprisonnant Mamadou Dia de 1962 à 1974 qui, refusant de se plier aux intérêts de la France au détriment de ceux sénégalais est accusé de tentative de coup d’Etat ; Abdoulaye Wade n’a pas échappé à la prison en 1988 pour troubles à l’ordre public, appel à l’insurrection et à la révolte sous le régime d’Abdou Diouf. Pour beaucoup, nous sommes sur le point d’assister au même scénario politique si la situation ne s’est pas empirée d’ailleurs. Et sur ce, pour la énième égratignure, on ose le dire à haute voix sans brocher aux conséquences que sur le plan politique, le Sénégal avance et retire pour chaque pas une pièce importante sur l’échiquier des valeurs cardinales politiques. Mais faut-il vraiment rappeler à nos hommes politiques qui seraient quelques fois tentés de l’oublier que l’opposition est consubstantielle à toute démocratie ? En d’autres termes, il n’y a pas de démocratie sans opposition et cela d’une façon telle que Pierre Bourdieu fait remarquer avec raison à ce propos dans un entretien accordé au journal Le Monde publié le 14 janvier 1992 qu’ « il n’y a pas de démocratie effective sans vrai contre-pouvoir critique. » Dès lors, l’uniformisation politique est impossible dans une démocratie. Conscients de cela, évitons les rapports de force et préconisons la politique du dialogue, du respect du choix des autres pour combattre l’ennemi commun de la société qui est la mal-gouvernance, l’injustice, la pauvreté, le manque d’emploi entre autres au lieu d’installer le pays dans un climat de tiraillement pour des questions de politiques politiciennes. L’urgence est donc ailleurs.

Rien ne vaut vraiment dans cette vie éphémère ce pacte d’alléchante que nous voulons faire au démon qui guette ce pays depuis quelque temps et qui voudrait qu’il soit à feu et à sang. Quand la gloutonnerie du pouvoir épouse l’injustice, les faits perdent leurs valeurs, la logique s’estompe, les discours se contredisent, le peuple est en colère et plus tard ce couple gloutonnerie-injustice enfantera des séditions. Le mot ne semble guère être de trop car l’alerte a sonné mais nous faisons la sourde oreille. Et c’est ici qu’il faut rappeler à juste titre ces propos de Paul Nizan qui écrit : « quel fragile pouvoir que celui-là qui n’est fondé que sur la force : une autre force peut l’abattre »[1]. Remettons les pendules à l’heure avant qu’il ne soit trop tard pour éviter le retour de manivelle. Au président de la République : la personnalité d’un homme d’Etat se mesure surtout dans sa capacité à bien décider au moment où tout semble être dans le désordre, au moment où tout semble être perdu.

Baye Modou Sall

Professeur de philosophie au lycée de Bambey Sérère


[1] Paul Nizan, Les chiens de gardes, Paris, Editions François Maspero, 1965, p. 65.


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