L’invention de la médiocrité et l’impasse d’une démocratie du Mensonge

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L’invention de la médiocrité et l’impasse d’une démocratie du Mensonge

 

Il fut un temps où l’homme n’existait et n’avait de valeur que par le don de soi à la communauté. Cette attitude noble et chevaleresque ne subsiste plus que dans les communautés religieuses. Les fidèles conservent jalousement ce mode de vie éthique qui fait leur essence de tàalibe, leur sécurité psychologique et leur identité de croyant. Malgré les critiques des intellectuels, l’anarchie mentale semée dans les âmes par les politiciens et l’agression culture venue de l’étranger, nos communautés gardent encore leur force à la fois idéologique, économique et spirituelle. Malheureusement nous n’avons pas encore réussi à fédérer l’énergie religieuse et la dynamique citoyenne -chose qui ferait du Sénégal une plus grande nation. Une lecture plus fine et plus pragmatique des dynamiques religieuses aurait pourtant permis d’en faire une exploitation économique très féconde, mais avons-nous une vision aussi éclairée et courageuse ?

 

Le ndùt sérère qui semble condenser la paideai et l’ethos des Grecs était aussi un bel exemple d’émulation à la citoyenneté, à l’aptitude à être BON pour la communauté. Dans ce système où la vie en communauté est avant tout éthique, la médiocrité, (l’être-profane) est une infraction contre les mœurs ; c’est pourquoi les hommes cultivaient l’excellence et rivalisaient dans la culture du talent pratique et de l’exercice de la pensée. Mais les temps ont changé, l’homme n’a plus de « ceinture de sécurité » l’empêchant de tomber dans l’abime du déshonneur : on ment, on bricole, on diffame autrui, pour tirer son épingle du jeu ; et tout cela, sans remords. Nous sommes dans l’ère de la médiocrité : ceux qui ne sont pas capables de se sacrifier pour la communauté sont devenus des icônes. Ils ont décidé que c’est plutôt la communauté qui devrait se sacrifier pour leur salut ! « Doorkat kesse ».

 

La politique est un ascenseur social, ça tout le monde le savait ; mais ce qu’on n’a pas vu, c’est qu’aujourd’hui elle tend à devenir un ascenseur intellectuel, voire académique. Ce ne sont pas les échelons, les grades et les productions scientifiques qui font de quelqu’un un brillant intellectuel ou universitaire, c’est l’accointance suspecte que ses « analyses » ont avec des chapelles politiques. Nous sommes à l’ère de la médiocrité : nous ne sommes plus capables de discuter, nous nous insultons ; l’incohérence ne nous gêne plus ; la célébrité nous semble préférable à la vérité. La médiocrité n’est pas à entendre ici comme un jugement de valeur, c’est plutôt une incohérence qui réside dans l’incapacité rationnelle de reconnaître l’autre comme ayant les mêmes droits, les mêmes prétentions et, peut-être, les mêmes aptitudes à la vérité que soi ! Aujourd’hui la dissonance est criminalisée : de curieux intellectuels te traitent de haineux et d’aigri dès que tu n’es pas d’accord avec leur façon de choisir, de voir, de se comporter. On a réussi d’ailleurs à travestir la politique en une arène de haine : la seule raison pour laquelle autrui critique ton leader est la haine. Quelle étroitesse d’esprit ! De grands intellectuels ont abdiqué au point de renoncer à leur devoir de critique et d’objectivité : ils ont dépravé la notion d’objectivité en neutralité et ont décidé que la neutralité est un crime !

 

Nous sommes dans l'invention de la médiocrité, c'est-à-dire sa déculpabilisation, sa manifestation ostentatoire et son ennoblissement. Jadis, c'est le savoir qui était l'institution et la mère de toutes les autres institutions ; aujourd'hui c'est l'ignorance arrogante qui s'arroge le droit de tout réguler sous le prétexte fallacieux d'une idéologie prétendument woke. Comment comprendre ce paradoxe : des jeunes et leurs précepteurs ont abandonné tout désir d’excellence, toute culture de la délibération saine pour prendre comme modèles des insulteurs établis à l’étranger ?

 

Adeptes du sensationnel, les intellectuels pseudos révolutionnaires s’accrochent à des slogans et à des mots d’ordre. Deux symptômes illustrent cette tendance : l’intérêt soudain pour les langues locales comme medium pédagogique et la « folklorisation » de la pensée décoloniale. Pour expliquer la faillite du système éducatif et la faiblesse généralisée de niveau on accuse le français (langue étrangère) comme source principale des problèmes. Or un tel argument ne résiste pas à l’analyse historique des faits : tous nos grands savants ont été instruits en français et en arabe. Il faut chercher ailleurs les raisons de cette décadence du système éducatif.

 

Je ne suis pas un défenseur de la langue française, je suis un fervent partisan de l’enseignement en wolof, mais la langue wolof ne peut pas être une béquille pour des gens médiocres. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs : c’est à nos enseignants, chercheurs, etc. de produire abondamment dans nos langues nationales, de faire pour le wolof ce que Joachim du Bellay et Descartes ont fait pour la langue française. Il faut éviter le populisme intellectuel. C’est d’ailleurs étonnant de constater que les mêmes qui théorisent le recours aux langues locales sont presque tous dans le patriotisme ou plutôt chauvinisme linguistique. Ils sont incapables d’aborder le débat sur le choix réaliste d’une langue fédératrice à la place d’une anarchie qui voudrait que chacun étudie dans sa langue maternelle malgré le nombre infinitésimal de langues locales. Quel système éducatif aurions-nous dans une telle anarchie ?

 

Quant à la frénésie décoloniale, ceux qui s’y agrippent comme des naufragés oublient deux choses : la première est qu’on ne peut pas promouvoir la pensée décoloniale et se donner à la Russie ; la seconde est que la pensée décoloniale est, dans une certaine mesure, importée comme tout ce qu’elle prétend combattre. Ça n’entame nullement sa pertinence et sa légitimité, car l’hégémonie culturelle de l’occident et son omniprésence géopolitique ne sont nullement naturelles : ce sont des faits de conscience et de culture, et il faut les détruire.

 

Ce pays est sous une chape de plomb de l’impéritie érigée en modèle. Les affinités, même familiales, se font et se défont aujourd’hui sur des bases politiques. La science est pervertie par des postures politiques : il suffit simplement de voir comment des professeurs d’université se renient sur le droit pour comprendre l’ampleur du désastre. Et pour couronner la mascarade, des individus auteurs ou complices des pires crimes politiques dans ce pays se croient investis de la mission de mettre en demeure les citoyens libres de se déterminer par rapport à Macky et à Sonko. Quelle cécité, quel manque de grandeur, quelle médiocrité ! Où étaient ces deux personnes quand, dans les années 80, bien avant leurs manœuvres, les gens se battaient dans les rues pour instaurer la démocratie dans ce pays ? Quand des intellectuels dénonçaient l’instrumentalisation outrancière de la justice depuis 2013 par Macky Sall, beaucoup de néo-opposants du régime actuels étaient dans les lambris dorés du pouvoir ! Où était Ousmane Sonko quand, en juin 2011, les Sénégalais risquaient leur vie et écrivaient des pamphlets pour dénoncer le troisième mandat de Wade ?

 

Alassane K. KITANE

 


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