La philosophie : une discipline aux problèmes insolubles ?

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La philosophie : une discipline aux problèmes insolubles ?

 

 

La philosophie, bien que faisant partie des matières scolaires qu’on enseigne dans nos lycées, a souvent une « mauvaise » réputation.  Ce n’est pas une pétition de principe mais un constat que beaucoup partagent. Pourquoi la philosophie est-elle autant indexée ? C’est la question principale qu’on se doit de poser.  En tant que doctorante au département de philosophie et enseignant également la philosophie au lycée, réfléchir sur cette problématique est plus que nécessaire. En effet, notre courte expérience nous a montré que la philosophie constitue la « bête noire » des lycéens. Et ceci n’est pas sans raison valable.  Beaucoup de motifs le justifient. Les apprenants aussi bien que les enseignants sont quotidiennement confrontés à un ensemble de difficultés.

S’il existe une discipline spécifique dont l’enseignement n’est pas aussi facile qu’on peut le concevoir, c’est bien la philosophie. Et ce n’est pas par hasard qu’on initie les élèves à cette matière en classe de Terminale. En effet, à ce niveau, on suppose qu’ils sont plus ou moins matures et doivent pouvoir affirmer leur autonomie à tous points de vue. Ceci dans l’espoir de les préparer à affronter la vie, à être plus responsables, à mettre en avant leur esprit critique et surtout à discerner le vrai du faux. Il peut y avoir d’autres raisons telles que le manque de professeur de philosophie au Sénégal, mais force est de reconnaître que la philosophie est une matière particulière que les élèves ne découvrent qu’en Terminale pour l’instant. Ce qui fait qu’ils ont tendance à la diaboliser et à se dire dès l’entame que c’est une matière difficile. Et le professeur de philosophie est perçu comme un être extraordinaire, en tout cas qui « n’est pas comme les autres » pour pouvoir enseigner une matière qui, de son côté n’est pas comme les autres.

Fort de ce constat, il apparaît à première vue, la complexité de cette situation. Mais n’est-ce pas là une motivation pour traiter la question sous tous ses angles ?

Tout ceci, dans l’espoir de trouver des perspectives pour contrecarrer tout ce qui inhiberait le bon déroulement des enseignements au Sénégal d’une manière générale et de la philosophie plus particulièrement. Ceci dans la mesure où « c’est proprement avoir les yeux fermés, sans jamais tâcher de les ouvrir que de vivre sans philosopher »[1] pour reprendre René Descartes.

Étant dans un pays où le fait religieux est bien ancré dans les mœurs, la philosophie est souvent mal vue par les apprenants qui la considèrent comme synonyme d’athéisme. C’est pourquoi avant même de commencer le cours de philosophie, l’apprenant prend ses devants en se disant que le professeur de philosophie ne va pas me pervertir. Ils développent ainsi un « esprit de critique ». Aussi, les apprenants considèrent-ils la philosophie comme étant une matière difficile. S’agissant des matières littéraires, ils sont plus habitués à mémoriser qu’à réfléchir par soi. Durant leur cursus scolaire ils ont eu à entrer en contact avec un certain nombre de disciplines qu’ils n’avaient pas trop de difficultés à assimiler. Ce qui n’est pas le cas de la philosophie.  Le simple fait de commencer cette matière en Terminale constitue selon nous un obstacle. Cela veut dire que ces apprenants, pendant des années, appréhendent cette matière rebelle qu’ils conçoivent comme ne leur étant pas destinée tant qu’ils ne seront pas en classe de terminale. Ce qui fait que la philosophie constitue pour eux un mythe. Puisque le baccalauréat a une grande valeur (sur les plans pédagogiques et sociétales), une matière qu’on ne débute qu’à ce stade, revêt forcément les mêmes impressions d’autant que dans les séries littéraires, cette matière a un coefficient très élevé (6 en L2 et 4 en L’). Le plus souvent, c’est là le souci des élèves. A maintes reprises, ils n’hésitent pas à nous poser la question suivante : pourquoi le coefficient est si élevé alors que nous sommes en année d’initiation ? Ou encore : « comment justifier un tel coefficient pour des gens qui, peut-être, ne font la philosophie qu’en une année ? »

Ne serait-ce que du point de vue psychologique, cela pourrait leur imposer des limites. A cela s’ajoute le niveau de langue qui est un peu faible. La philosophie est d’abord et avant tout une forme d’expression. En fait, nous devons traduire en mots nos pensées. Si les élèves ont des problèmes avec la langue de Molière, ils ne pourront inévitablement pas s’en sortir en philosophie. Mais précisons que les élèves ne sont pas responsables à part entière. On fait de la philosophie à travers les textes or beaucoup de nos établissements n’ont que des « pseudos » bibliothèques. Si nous faisons un tour dans les profondeurs du pays, nous trouverons des lycées qui n’ont pratiquement pas de supports didactiques. Ce qui fait que le cours de philosophie devient abstrait or nous ne sommes plus à l’époque où le cours de philosophie était un discours aérien qui n’a aucun lien avec le vécu des élèves. Et pour appuyer cela, il faut que les élèves puissent se documenter, visualiser des vidéos etc. Malheureusement, les moyens font défaut dans bon nombre d’établissements. Et les enseignants ont ainsi du mal à animer les cours et à réussir à intéresser les élèves. Pourtant, depuis quelques années, des collègues produisent des manuels de méthodologie qui sont en rapport avec le programme sénégalais. Entre autres, nous avons ceux du Pr.Ramatoulaye Diagne, du doyen Alpha Sy, du Dr.Salif Coly, de l’ancien inspecteur Masseck N. Seck, du Pr. Jean Pierre Faye et M. Alassane Khodia Kitane. Ces ouvrages participent pleinement à améliorer la qualité de l’enseignement de la philosophie et M. Kitane, pour ne citer que lui, a même regroupé dans son œuvre des sujets de dissertations et de commentaires corrigés avec une méthodologie clairement expliquée.

Nos autorités pourraient tout de même faire bénéficier de ces ouvrages aux élèves pour au moins, les accompagner dans l’acquisition du savoir. Ils doivent équiper nos lycées de matériels pédagogiques et didactiques afin que nos élèves s’intéressent à la lecture et à la recherche personnelle. Si le problème de langue est résolu, le reste suivra progressivement. En réalité, avant d’expliquer à un élève un concept philosophique, les enseignants vérifient d’abord si les élèves ont compris la notion. Ce qui fait de nous des professeurs de français et de philosophie. Il nous semble aussi que le programme est trop vaste pour être enseigné en une année. Ce serait bien de mettre en œuvre l’enseignement de la philosophie dès la classe de Seconde ou Première. Du coup, les professeurs auront largement le temps de revenir sur la méthodologie et surtout faire beaucoup d’exercices en classe. Le devoir de philosophie n’est pas l’occasion de réciter tout un cours. Le correcteur évalue la capacité de l’élève à identifier un ou les problème(s) que soulève un sujet donné.

Comment s'en sortir en philosophe sans avoir l'habitude de s'exercer en dissertation ou commentaire de texte ? Il nous serait très difficile de soutenir une telle possibilité. Et l'avis est partagé du moment où la plupart de nos élèves se plaignent en disant qu'ils apprennent bien leurs leçons de philosophie mais ne parviennent pas à avoir de bonnes notes lors des évaluations. C'est, en effet, parce qu'ils ignorent que la philosophie n'est pas une discipline qui encourage la mémorisation stérile. Philosopher, c'est avoir la capacité de réflexion critique et individuelle pour percevoir par soi le problème que pose un sujet quelconque. C'est bien d'avoir les connaissances mais ces dernières sont insuffisantes pour traiter les exercices de philosophie qui sont plutôt des sujets de réflexion et non de récitation. Quelles sont les exigences méthodologiques ? Quels procédés nous permettent d'identifier les problèmes posés par les sujets ? A quoi peut bien ressembler un exercice de dissertation ou de commentaire ? Pouvons-nous "réussir" ces exercices au baccalauréat ? Telles sont les questions qui taraudent l’esprit des candidats et les amènent à se décourager dès les premiers devoirs.

Un autre aspect n’est pas à négliger : le programme est vaste. Généralement, lors des premières semaines de cours, les élèves suivent attentivement et parviennent à percevoir les objectifs dégagés. Mais au fur et à mesure qu’ils progressent, tout comme le professeur, ils sont tous préoccupés par le projet de terminer le programme. Et dans quelques rares cas, ils se retrouvent vers la fin de l’année avec des polycopiés qu’ils ne liront probablement jamais. Ce fait n’est pas du tout favorable pour la réussite de nos élèves car le cours de philosophie cherche beaucoup plus à installer des compétences qu’à vouloir coûte que coûte terminer un programme notionnel restitué de bout en bout sans permettre aux élèves de faire un travail d’analyse critique.

N’oublions pas un aspect fondamental : le fait qu’en Français les élèves disposent déjà d’une proposition de plan ne leur facilite pas la tâche car ils auront la paresse d’élaborer une problématique en philosophie.  Ce qui ne fait que renforcer leurs « mauvaises » appréhensions sur la philosophie. L’absence d’homogénéité dans les évaluations d’une matière à une autre aussi est source de problème. Rapprocher les méthodologies par des séminaires interdisciplinaires serait avantageux.

 

                                                     Fatoumata Tacko Soumaré Sylla

                                                      Doctorante au département de philosophie

                                                       Professeur de philosophie à LPA 14

 

 


[1] Descartes, Lettre Préface aux principes de la philosophie, Vrin, 2006, p.5.


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