La saison des populistes ou le coma d’un modèle démocratique chancelant !

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La saison des populistes ou le coma d’un modèle démocratique chancelant !

 

De la pérennité ou des illusions d’un modèle démocratique chancelant

 

La fin du modèle démocratique sénégalais serait-elle imminente sous la poussée de leaders toxiques et populistes peu soucieux d’une renommée acquise au fil d’une longue histoire politique ? De nombreuses publications et recherches académiques attirent l’attention sur ce réveil du populisme et sur cette trajectoire qui mènerait à la déchéance, à la médiocrité politique, économique et sociale. C’est qu’on est vraiment entré dans l’ère de la « démagoguerie », cet anglicisme qui décrit « une activité et des pratiques politiques fébriles, débordantes, qui font appel aux sentiments, aux émotions et aux désirs des humbles et ordinaires gens par la manipulation plutôt qu’aux arguments rationnels ». Aujourd’hui, dans beaucoup de pays, et le Sénégal n’y échappe pas, de telles pratiques existent aussi tant au niveau des partis de l’opposition que de ceux au pouvoir, de droite comme de gauche (encore que cette dernière classification serait dépassée). Le populisme, la démagogie et le leadership toxiques conduisent à la floraison de mouvements et de coalitions hétérogènes sans plateformes idéologiques justifiées par un passé  historique et intellectuel commun. Alibis ou ruses pour se maintenir et accéder au pouvoir, tuer le débat démocratique, participer au partage du gâteau ?

 

En fait, la démagogie politique et populiste n’est pas récente ; elle daterait au moins de 25 siècles. Aristote décrivait ce personnage, au-devant de la scène, mobilisant la parole, abusant des mots, vitupérant, etc. En outre, entre les années 1920 et 1931, le populisme a poussé certains états vers de nouvelles trajectoires et dérives. La tendance se poursuit : de nombreuses recherches et l’actualité politique confirment l’existence de dirigeants populistes élus, aux portes du pouvoir ou candidats aux élections, en Amérique Latine, en Europe de l’Est et en Europe centrale, récemment aux Etats Unis, maintenant en France, en Asie, en Afrique, etc.

Leurs versions de la lutte s’appuient sur d’intenses efforts de contrôle des nouveaux médias, notamment des réseaux sociaux, lesquels d’ailleurs ont fini par tuer le monopole de la communication des « vieilles radios » gouvernementales et empêché le contrôle intégral de l’information par les élites classiques au pouvoir. Parallèlement, Internet vient au secours d’une nouvelle génération de populistes pétrie de certitudes souvent non argumentées. Leur logique est fallacieuse arguant que le danger est aux aguets, que des crises et déroutes bientôt visibles sonneront le tocsin...  Ils sont toujours là, aujourd’hui plus qu’avant, sur les plateformes de télévision, de vidéos, sur YouTube, Facebook, etc. Les élites politiques et économiques au pouvoir, les leaders toxiques et leurs « suiveurs » y ont leur part de responsabilités incapables de concrétiser les changements promis ou de mieux répartir les impacts des politiques publiques, de façon équitable, voire de proposer des alternatives de croissance et de développement inclusif, éthique, transparent et intègre.  Même lorsque des alternances politiques ont eu lieu, il n’est pas certain qu’elles aient réussies à atténuer ou supprimer les échecs des modèles économiques et sociaux antérieurs. Souvent la potion s’est avérée amère, douloureuse, coûteuse, sous le joug du patrimonialisme, de patronages au profit de militants, du refus de nouvelles formes de gouvernance transparentes, éthiques, intègres, de la méritocratie, de l’indépendance de la magistrature, des corps et organes de contrôle... En réalité, la marge entre populisme et démagogie est parfois ténue tant les tenants de ce déclin s’arrogent la légitimité de parler au nom de l’ensemble du peuple. Leur langage est souvent si redondant : « Le peuple pense que… le peuple a décidé, le peuple est avec, etc. » Pas de raisonnement statistique basé sur les principes du sondage et d’échantillonnage représentatif. Ils se sont arrogé le droit d’extrapoler. Les populistes ont besoin de cibles et, parmi elles, les élites dominantes du moment et l’establishment politique, économique, religieux, etc. Ils sont forts en critiques, en verves et en slogans que n’importe qui pourrait décliner et sont très peu orientés vers des visions et des projets transformationnels. On peut noter que jusqu’ici les populistes étaient peu, sinon rarement, issus de la « nomenclatura », des élites dominantes sélectionnées dans le moule des concours, des grandes écoles, des multinationales, adeptes de logiques entrepreneuriales fondées sur le culte de la performance, des résultats, etc. La nouvelle réalité est surprenante lorsqu’émergent du néant des gens « ordinaires », illustres inconnus, qui tirent à boulet rouge sur l’élite aux commandes, sur les gouvernements qui selon eux ne travaillent pas efficacement pour les citoyens, sont corrompus, ne représentent pas les intérêts des peuples, mais leurs seuls propres intérêts, ceux de leurs membres et adhérents. Leurs messages invitent à de nouveaux pouvoirs, à l’alternance au nom d’un nouvel ordre caractérisé le nationalisme et le patriotisme, etc. En fait, ils exploitent les échecs que les élites aux commandes refusent de rénover, véhiculent un message qui leur confère une certaine légitimité aux yeux des laissés-pour-compte, des gens marginalisés, des sans-emplois, des retraités aux maigres pensions, des perdants du système politico-économique à réformer. Très souvent, ils sont forts lorsqu’il s’agit de promouvoir une stratégie de déconstruction et s’appuient sur une argumentation tendant à dévaloriser les institutions et les élites du moment accrochées à positions clés de sorte à les décrédibiliser et à élargir leur base future.  Les paradigmes des populistes peuvent être attrayants aux yeux de gens victimes de disparités économiques, de démocraties inachevées ou manipulées, d’un environnement corruptogène, de patronages subies, d’inégalités et d’une mauvaise inclusivité, de dictature, tout court, etc. Le populisme ne naît pas ex-nihilo : il tente de profiter d’un terreau riche en opportunités. Mais leur stratégie est-elle facilement opérationnalisable et durable?

Cette stratégie attire lorsque les laissés-pour-compte adhèrent espérant la rédemption future. Par ailleurs, certains les regardent avec bienveillance et arguent que ce sont là de nouveaux « influenceurs » moteurs des nécessaires changements et disruptions de notre temps face aux illégitimes dominations d’experts, d’organisations et d’élites qui auraient imposé leurs pensées et leurs paradigmes philosophiques, économiques, budgétaires, juridiques, diplomatiques, etc. Cette version de la lutte prônée par les populistes est « super-activiste » dans un univers politique où l’alternance électorale est intrinsèque à la démocratie contemporaine. En pratique, en dépit de leurs critiques et dénonciations acerbes des échecs des politiques publiques, ils chantent la venue d’un grand leader salvateur, fort, tant attendue.

 

Les profils des populistes démagogues

 

Les leaders populistes possèdent au moins certaines habiletés notamment diviser les gens en deux camps, par les crédos « C’est eux contre nous », « les bons au service de la majorité du peuple contre les mauvais contre ce peuple. » Ils ont souvent un charisme élevé auprès de leurs fans, ont réussi à les mobiliser autour d’une stratégie efficace et d’une image selon laquelle ils incarneraient leurs intérêts. En pratique, leurs visions ne sont pas toujours claires lorsque par réalisme politique, leurs stratégies les amènent à penser que « l’essentiel est de gagner », les poussent à s’allier avec des mouvements et coalitions qui ne sont pas leurs camps ou qui pensent autrement ou à la recherche du pouvoir. Et c’est peut-être là aussi un danger  lorsque ces coalitions sont sous le joug de « leaders » populistes qui n’ont jamais géré, même pas une petite boutique, a fortiori de grandes organisations, jamais exploré les arcanes de l’Etat et des bureaucraties, jamais lu les normes et les bonnes pratiques, etc.

Leurs promesses augureraient-elles  de futurs risques de déception ?

 

 

Un horizon risqué, incertain ou les semences de la médiocrité politique et économique

L’histoire politique des nations regorgent de populistes qui ont accédé au pouvoir sous les bannières et les crédos du patriotisme et du nationalisme et qui par la suite ont confirmé leurs échecs par des dérives coûteuses. Certains d’entre eux ont par exemple cherché à intensifier les investissements et autres charges pour augmenter la force de frappe militaire contre les agressions extérieures sans pour autant que de tels choix ne soient forcément à la hauteur des moyens du pays. D’autres, fidèles à leur logique du nationalisme et du patriotisme, ont voulu renforcer le protectionnisme économique par des mesures insuffisamment pensées ou conceptualisées de contrôle du capital économique. Certains ont entendu systématiser des contrôles et des harcèlements sur /contre les étrangers et les immigrés, boucs émissaires de leur idéologie dite nationaliste et patriotique, alors que l’ouverture, bien gérée, peut être des sources incroyables de richesses, comme ont su le faire des pays comme Dubaï et Singapour, le Cap Vert, etc.

 

Fondamentalement, le populisme peut conduire des dangers et à des désordres futurs lorsqu’un tel processus fait espérer la venue d’un « messie » sorti du néant, illustre inconnu, dont ni l’histoire personnelle, économique, familiale, humaine ou professionnelle ne justifie cet « honneur » d’être au service d’un pays et d’un peuple. Ce risque est possible lorsque par la suite, il se révèle être un partisan de la force brute contre des gens qualifiés d’élites du passé, de la classe dominante, lorsqu’il s’accroche au passé de révolutionnaire pour légitimer son présent. Ces dangers existent lorsque le leader populiste ou toxique est idolâtré et peu encadré par un cercle rapproché dont les connaissances, le vécu antérieur et professionnel sont « certifiées » par un héritage et des acquis concrets, probants. En effet, contrairement au jargon des leaders dictatoriaux, populistes et révolutionnaires, les expériences réussies de leadership démontrent que « c’est une équipe et les talents qui gagnent ». Enfin, ces risques sont patents lorsque ce genre de leader est obsédé par la volonté de crédibiliser que le gouvernement antérieur ne travaillait pas pour les gens, les citoyens, les démunis sans opposer des politiques, des programmes et des projets transformationnels et disruptifs susceptibles d’accélérer le développement inclusif et de vaincre la pauvreté...

 

Conduire le changement face aux populistes

 

L’arme des populistes est une propagande constante destinée à jeter le discrédit sur les institutions et ceux qui ne sont pas de leurs camps avec comme danger l’affaiblissement de la démocratie. La bonne contre-offensive inviterait à ne pas jouer leur jeu, à ne pas privilégier leurs démarches ou ne pas suivre leur rythme, par exemple, leurs insultes, leurs rhétoriques, les échanges virulents du tic au tac, etc. A ce jeu, ils sont plus forts et de telles attaques ne feraient que mobiliser davantage leurs électeurs et leur base de fans, de fanatiques. Cependant, ce serait facile de critiquer les seuls populistes, car ceux-ci exploitent les brèches d’un système mal en point, et de faire prendre conscience aux élites politiques, administratives, économiques et financières rudement critiquées par les populistes du besoin contemporain d’être moins technocratiques, d’introduire dans leurs pratiques et leurs savoirs une dimension citoyenne pour faire face au slogan des populistes « Eux contre Nous ».  A y regarder de près, des paradigmes et les règles démocratiques très simples ne sont pas connus ou acceptés par certains pressés alors de se faire justice eux-mêmes.

A total, l’avenir serait, par une communication pertinente, à une stratégie tendant à élargir l’éducation citoyenne de gens soucieux de se faire justice eux-mêmes, d’implémenter des réformes sur des enjeux aussi pertinents que le système électoral, son financement, l’indépendance de certaines agences de régulation et d’organisation, les contrôles et audits des partis politiques et de leurs comptes, etc. 

 

Mais, aujourd’hui, tout semble indiquer que la confrontation entre les populistes et divers autres gouvernements et élites s’intensifiera. La balle n’est pas dans le camp des seuls populistes dont le vacarme aura réussi à tuer le sens même de la politique, comme une confrontation d’idées, de débats, de visions, de modèles de leadership, de programmes, de projets, des politiques. Elle est aussi dans le camp des électeurs et citoyens qui devraient apprendre à voir la politique autrement. Ce vacarme grossier aura aussi empêché des débats pourtant fondamentaux sur les critères et les caractéristiques d’un « bon » leader porteur de visions pour l’action, de projets et de résultats inclusifs, de réorganisation d’un Etat couteux alors que la santé, l’éducation, la sécurité ont besoin de fonds prioritaires. Mais, en réalité, c’est facile d’accuser les populistes, car la balle est aussi dans le camp des élites dirigeantes, de tous ceux qui sont incapables d’être les acteurs d’une transformation inclusive et rapide, de privilégier l’intérêt commun et celle des « petites gens », de renforcer la citoyenneté et la confiance des citoyens en eux-mêmes.

C’est vrai, il reste à imaginer une stratégie pertinente pour faire face au vacarme des leaders populistes et toxiques qui tuent les grands et fructueux débats souhaitables en démocratie, en leadership transformationnel, qui paralysent la diffusion et le partage comparés de visons politiques, économiques, sociales lesquelles devraient être l’essence de la politique comme vocation, du processus électoral et de l’éducation citoyenne. C’est le contraire auquel nous assistons qui force les gens à croire des promesses de certains « politiciens » sans états d’âmes. Pendant qu’il est encore temps, il faut trouver une parade et répondre à leurs arguments par des réformes institutionnelles, politiques, économiques, par des résultats aux citoyens, crédibiliser les institutions, accepter la diversité des opinions et des débats, se convaincre que le monopole des convictions est un leurre. C’est là un projet, une vision, de la sincérité et des capacités d’action !  Et il faut trouver l’équipe de leaders capables de réaliser de telles mutations.

 

Abdou Karim GUEYE- Auteur - Expert-consultant en gouvernance, management public, surveillance, leadership et transformations. Ancien Inspecteur général d’Etat.  Ex-Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal.

 

 


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