Le Commissaire Boubacar Sadio décortique les résultats des élections et l'avenir politique du Sénégal

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Le Commissaire Boubacar Sadio décortique les résultats des élections et l'avenir politique du Sénégal

                  LETTRE A MON FRÈRE D’ARME.

« Les vainqueurs se gênent pour fêter leur victoire sans gloire ; l’opposition paie la rançon de sa passivité affligeante ; le peuple reste fataliste et résigné »

Mon frère d’arme, comme tu le sais, l’élection présidentielle s’est terminée par l’annonce sans surprise de la victoire du Président sortant qui a tout mis en œuvre pour s’assurer un deuxième mandat. Un deuxième mandat qui a été sa préoccupation principale alors qu’il n’avait même pas encore fait six mois dans son premier magistère. Ainsi tous les actes posés allaient-ils dans le sens de lui accorder ce deuxième mandat devenu une fixation pathologique et morbide. J’utilise à dessein le vocable deuxième au lieu de second pour clairement indiquer que rien n’exclut qu’il envisage de solliciter un troisième mandat. L’histoire présente et récente foisonne d’exemples ou des promesses et des engagements n’ont pas été respectés, ou des abjurations ont été constatées et où des contrevérités ont été enregistrées.

Mon frère d’arme, c’est dans cette perspective de vouloir obtenir, nolens volens, un deuxième mandat, disais-je, que beaucoup d’actes ont été posés. A commencer par la remise en cause unilatérale du code consensuel de 1992 qui a été adopté grâce à la grandeur, la noblesse et l’attitude chevaleresque du Président Abdou DIOUF ; un code qui a permis à notre pays de connaitre deux alternances, faisant apparaître le Sénégal comme un parangon de la démocratie en Afrique et dans le monde. Malheureusement, il faut le constater pour le déplorer et s’en émouvoir, cette vitrine démocratique est totalement craquelée par des hommes, des arrivistes et des parvenus revanchards à souhait qui n’en ont pas la culture ; des gens qui font semblant et qui s’efforcent de paraître comme des démocrates.

Mon frère d’arme, c’est toujours dans cette perspective et cette volonté de s’assurer un deuxième mandat que la Cour de répression de l’enrichissement illicite a été ressuscitée pour, disait-on hypocritement, répondre à une forte demande sociale. Et sur vingt-cinq accusés cités par le Procureur spécial, seuls Karim WADE et deux lampistes ont été condamnés dont l’un jouit d’une totale liberté qui s’explique par le fait qu’il détiendrait des dossiers très compromettants pour le palais. Tous les autres ont échappé aux rigueurs de la loi en voyant leurs dossiers être mis sous le coude. Cette partialité flagrante et ce déni de justice manifeste, révoltant et répugnant ne font que conforter la thèse selon laquelle l’objectif n’était rien d’autre que d’écarter un potentiel candidat considéré comme dangereux. Et le plus cocasse dans cette comédie judiciaire, c’est le limogeage du procureur spécial par Sms en pleine audience, précédée par la démission d’un des assesseurs. Ce sont les mêmes logiques et sordides calculs qui ont valu à mon ami Khalifa SALL ses déboires actuels. A l’instar de Karim, il fallait obligatoirement l’écarter de la course présidentielle ; l’opération a été menée avec la complicité  des responsables de son propre parti dont certains ont vraiment et largement bénéficié de sa générosité.

Mon frère d’arme, c’est ainsi qu’intervint le parrainage qui recala plus d’une vingtaine de postulants à la course présidentielle. La méthodologie de sélection du conseil constitutionnel  en charge de cette opération a été fort décriée pour son absence de transparence et de rigueur mais aussi et surtout pour le manque de maîtrise de l’outil de travail par les magistrats préposés à la tâche. En réalité le conseil n’a fait qu’entériner la décision, préalablement annoncée, du gouvernement d’avoir cinq candidats. A cela il faut ajouter l’absence d’un sérieux audit contradictoire du fichier électoral par toutes les parties prenantes, le refus obstiné de remettre à temps le fichier aux partis politiques légalement constitués comme prévu par la loi, la perturbation résultant de la distribution des cartes et les déplacements de bureaux de vote sciemment organisés ; toutes choses qui, à l’évidence, ont fortement contribué à renforcer la suspicion quant à la volonté de l’Etat d’organiser un scrutin transparent, libre et démocratique. Le jour du scrutin des transferts massifs et transfrontaliers d’électeurs ont été constatés, notamment dans le nord du pays considéré comme le bassin électoral naturel du candidat sortant.

Mon frère d’arme, il y a lieu de signaler, pour le déplorer et s’en indigner, l’usage et l’utilisation à outrance de l’argent public dans cette élection présidentielle. Jamais de mémoire de Sénégalais l’on a assisté à une telle débauche financière, d’une indécence outrageante et insultante pour la dignité de notre peuple ; et cela, sous la houlette du ministre chargé de l’économie et des finances. La pratique de l’achat de conscience a atteint des proportions abusives, scandaleuses et inimaginables qui conduisent à se poser des questions sur la nature de certains de nos compatriotes qui «  se laissent acheter comme des caprins ou des gallinacés de nos marchés » pour reprendre les termes du candidat Macky Sall en 2012. Nous devons nous regarder les yeux dans les yeux et nous dire la vérité. Si la corruption a pu prospérer aussi facilement et à plein régime, c’est qu’elle a trouvé un terreau favorable avec des compatriotes cupides, sans honneur, sans dignité et sa vergogne. Il y a aussi que l’extrême pauvreté et une impécuniosité aiguë ont enlevé chez certains toute fierté. Emile Zola ne disait-il pas que « La misère a raison en général de toutes les vertus humaines ». Et, c’est ce qu’ont compris nos différents gouvernants qui maintiennent volontairement les populations dans une précarité économique chronique aux fins de pérenniser leur dépendance. Les différents filets sociaux dont se targuent les autorités ne sont, à vrai dire, que des succédanés pour créer l’illusion d’un progrès social ; les tenants du pouvoir adoptent la même stratégie que les puissances occidentales vis-à-vis des pays du Tiers- monde dont ils n’ont jamais voulu ni souhaité qu’ils se développent.

Mon frère d’arme, le plus grave et le plus ahurissant dans la marche de notre pays, c’est la vénalité qui a réussi à corrompre la foi de certains de nos imams, chefs religieux et autres marabouts de tous acabits. Quelles images scandaleuses que de voir des imams brandir et brasser des millions à l’intérieur des mosquées ; des imams enivrés par la vue et l’odeur de l’argent qui versent dans la vulgarité langagière. Ils ont vite fait d’oublier que l’Islam est la religion de la droiture et de la rectitude et qu’ils auront à rendre compte de leurs actes. « …..Mais la plupart des hommes ne croient point qu’ils sont appelés à comparaître devant leur Seigneur. » (Sourate 30 Verset 7). IL y a aussi la complaisance, la complicité, la bienveillance, le laxisme et l’hypocrisie des fidèles qui acceptent d’hypothéquer la validité de leur prières en s’alignant derrière de tels tartufes corrompus jusqu’à la moelle épinière.

Mon frère d’arme, à la veille des élections, de nombreux politiciens, hommes et femmes, ont transhumé pour rejoindre le camp présidentiel, ravalant leurs vomissures et mettant à nue leur véritable nature de véritables hyènes affamées et mus par des besoins alimentaires primaires ; des cochons et des truies qui ne pensent qu’à se remplir la panse quelle que soit la qualité de la nourriture. D’autres, faisant montre d’une duplicité longtemps subodorée chez eux, ont maladroitement adopté une neutralité feinte qui, en réalité est un soutien déguisé au candidat sortant. Ils auront tous des comptes à rendre au peuple. Je te mets au fait que des maires ont reçu de très fortes sommes d’argent avec en prime la promesse de conserver leur strapontin municipal.

Mon frère d’arme, les opposants ne sont pas sans reproche. Ils ont fait preuve d’une très grande passivité pendant que tous les actes dirimants posés en amont se réalisaient sous leurs yeux. Nous avons assisté à quelques réactions sporadiques mais d’une mollesse qui ne pouvait ébranler le camp d’en face. Et comme je n’ai eu de cesse de dire, l’opposition manque de véritables stratèges, et à cela il faut ajouter des positionnements égoïstes mal dissimulés qui empêchaient la mise en place de structures collectives fortes et résolument engagées et déterminées à mener un combat frontal de longue haleine contre le régime. Il y avait des sacrifices personnels physiques, matériels et financiers à consentir et beaucoup s’en sont abstenus. On ne ruse pas avec le sacrifice, on le fait ou on le fuit. Certes les candidats recalés ont rejoint les divers pôles mais  à quelques exceptions près, aucun ne s’est investi comme il l’aurait fait s’il avait été retenu.

Mon frère d’arme, concernant les quatre candidats de l’opposition en lice, ils ne sont pas exempts de reproches. Leurs discours de campagne ont manqué de tonalité et de tonicité ; par endroits, ils étaient soporifiques. On avait l’impression que certains candidats se complaisaient dans le politiquement correct et le socialement acceptable. C’est une posture louable mais nous étions dans une compétition majeure ou se jouait le destin du pays. Seul le candidat Ousmane SONKO s’est sérieusement et résolument inscrit dans la voie d’une campagne gagnante et conquérante ne faisant aucun cadeau et n’accordant ni répit ni prime de majesté au Président sortant. Il a dénoncé avec vigueur les graves manquements dans la gestion plus que calamiteuse de l’actuel régime qui a réussi l’extraordinaire prouesse de promouvoir en références positives des anti-valeurs et des contre-valeurs. Il a courageusement dénoncé la brutalisation du discours politique, les dangers qui guettent l’unité et la cohésion nationales ; il a fustigé le clanisme et l’ethnicisme ainsi que les replis identitaires et communautaires qui ont été exacerbés par les tenants du pouvoir. Il s’est offusqué de l’impunité dont bénéficient les voleurs, les criminels économiques, les insulteurs, les faussaires et les délinquants de tous acabits dont certains ont leurs entrées au palais. Il a osé s’attaquer aux patrons de presse stipendiés à coup de centaines de millions. Il a mis à nu le bilan axiologique du Président sortant caractérisé par des revirements à trois cent soixante degrés, des volte faces inouïs et des rétropédalages acrobatiques.

Mon frère d’arme, les Sénégalais souffrent au quotidien de divers et terribles maux qu’il faut dénoncer à longueur de journée ; aussi n’est-il pas vraiment stratégique pour un leader politique d’observer de très longs moments de silence qui peuvent se révéler improductifs. La sympathie, l’empathie et la solidarité envers les populations doivent s’exprimer et se manifester à tout moment. C’est nécessaire et très important parce que permettant aux populations de s’identifier à celui qui se fait l’écho de leurs plaintes, complaintes et de leur mal vivre.

Mon frère d’arme, ce qui m’a le plus surpris c’est le silence au sujet des gros scandales survenus durant le magistère du candidat sortant ; un silence intrigant. J’avais l’impression que quelque part on s’efforçait de respecter un pacte de civilité, de bonnes manières. Dans une campagne électorale les dénonciations doivent être faites par les candidats eux-mêmes et non par les seconds couteaux encore moins à travers les réseaux sociaux. La campagne offrait une tribune opportune et idéale pour évoquer les propos gravissimes tenus par le guignol Moustapha Cissé LO, les cas de Cheikhou Oumar HANNE interdit d’exercer une quelconque responsabilité publique, de Ciré DIA pour sa gestion gabegique de la Poste, le scandale de la PRODAC, l’affaire Petro Tim avec le délit d’initié et les faux rapports de présentation, la nomination de Aliou SALL à la Caisse de dépôt et consignation, la corruption des élites religieuses et coutumières etc…

Mon frère d’arme, je ne saurais terminer sans parler de Karim Meissa WADE qui, à mon humble avis, s’est bien foutu de la gueule des Sénégalais qu’il semble considérer comme des béni oui oui à sa merci. Il a menti à ses compatriotes et plus particulièrement à ses partisans en annonçant à plusieurs reprises sa venue prochaine sachant parfaitement qu’il n’effectuera pas le voyage ; c’est malhonnête et lâche. Il ne mérite plus aucune considération ni égard de la part des Sénégalais ; il n’a plus d’avenir politique à moins que des écervelés et des envoûtes continuent à voir en lui le messie qui va sauver le pays.

Le salut de l’opposition se trouve dans la présentation d’une liste unique pour les législatives, toute autre voie est suicidaire, tout autre schéma sera inopérant et voué à l’échec. Il faut s’y mettre dès à présent.

J’ai appris l’interpellation du colonel Abdou Rahim KEBE, un officier supérieur émérite de notre vaillante armée nationale. Sans pouvoir livrer une quelconque appréciation sur cette affaire dont j’ignore totalement les tenants et aboutissants, je lui témoigne néanmoins mon soutien et ma solidarité en tant que porteur d’uniforme, en tant que militaire ayant rendu à son pays de très bons et loyaux services et surtout pour avoir eu dans un passé récent à honorer l’armée sénégalaise dont il a eu à porter la voix au-delà de nos frontières. Et pour la gouverne de tout un chacun, les officiers de notre armée nationale, en plus d’être bien formés et professionnellement compétents, ont un sens élevé à l’extrême de l’honneur, du devoir  et de la loyauté ainsi qu’une fierté trempée et une dignité incorruptible.

Mon frère d’arme, je te quitte en formulant le souhait qu’un jour viendra où, prenant conscience qu’il est l’unique détenteur du pouvoir, le peuple exigera fermement, avec détermination, et sans aucune concession qu’il soit respecté et ce, par toutes voies conformes aux lois et règlements de la République.

         LE POUVOIR AU PEUPLE, LES SERVITUDES AUX GOUVERNANTS.

Boubacar SADIO

                                                              

Commissaire divisionnaire de police

 de classe exceptionnelle à la retraite.

Keur Mbaye FALL - MBAO

 


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