Le commissaire Boubacar Sadio écrit au ministre de l'intérieur

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Le commissaire Boubacar Sadio écrit au ministre de l'intérieur

 A MONSIEUR LE MINISTRE DE L’INTERIEUR

« La Police a été instituée pour garantir la sûreté individuelle, l’ordre public, la protection des personnes et des biens ; la vigilance est sa qualité et la société considérée en masse est l’objet de sa sollicitude » (Code du 8 Brumaire)

Monsieur le ministre, permettez-moi d’abord d’évoquer les récents incidents survenus à Dieuppeul avec une altercation entre la Police et le maire Barthélémy DIAS. Ce dernier, dans le cadre normal de ses activités et en sa qualité de candidat investi de la coalition « Yewwi askan wi » à la mairie de la ville de Dakar, avait initié une visité de proximité auprès de ses concitoyens. Il a été stoppé net par le commissaire de Dieuppeul sous le fallacieux et ridicule prétexte qu’il était en cortège et qu’il troublait l’ordre public. Il faut préciser que pendant ce temps, le candidat de la coalition au pouvoir s’est vu accorder toute la latitude de se balader et sillonner les rues de la capitale, à la tête d’un interminable cortège qui s’est même offert le luxe d’une très forte sonorisation, occasionnant une insupportable pollution sonore. Indépendamment des raisons de politique politicienne qui sous-tendent l’intervention brutale de la police, on peut se demander comment et sur quelles bases juridiques et au nom de quelles prérogatives légales, sauf à agir en situation de flagrant délit ou dépositaire d’un mandat de justice, un commissaire de police peut-il s’arroger le droit d’empêcher un maire de circuler librement dans le périmètre communal dont il est le premier magistrat ?

Monsieur le Ministre, ce qui s’est passé ce jour-là à Dieuppeul et qui relève du burlesque, n’est rien de moins qu’un abus d’autorité de la part de la police censée incarner la justice, le droit et les principes élémentaires qui régissent la marche d’un Etat sérieux. L’image offerte est dégradante voire salissante pour la réputation de ce grand corps qu’est la police nationale composée, dans sa grande majorité, d’hommes et de femmes valables et valeureux, conscients et consciencieux, compétents et responsables ayant une très forte et grande estime de leur métier et de leur engagement sacerdotal. Malheureusement, comme dans toute entité, il y a des agents qui ignorent les limites de leurs prérogatives et qui, à travers leurs comportements et attitudes font montre d’un zèle qui démontrent leurs limites et insuffisances professionnelles. Ce jour, le commissaire de Dieuppeul, exécutant à n’en point douter, des ordres de sa hiérarchie, a fait montre d’une légèreté et d’un manque total de sérénité, de calme et de maitrise de soi.

Monsieur le ministre, permettez-moi de saisir la présente opportunité pour m’adresser à  mes jeunes et braves collègues commissaires de police pour leur dire qu’ils constituent le corps de conception de la police et qu’à ce titre, ils assument des fonctions éminemment stratégiques. Et, au-delà de leurs responsabilités professionnelles, ils ont des fonctions de représentation d’une corporation qu’ils ne doivent jamais perdre de vue et qui les obligent à adopter des comportements et avoir des attitudes  de dignité, de grandeur et respectabilité. Le ministre de l’intérieur ne saurait avoir plus de dignité qu’eux. Pour dire, tout simplement qu’ils ne doivent point obéir aveuglement à un ordre illégal. Par le passé des cadres supérieurs de la police, en l’occurrence des commissaires de police et des colonels ont eu à refuser d’exécuter des ordres de la hiérarchie en évoquant leur illégalité, en faisant prévaloir leurs responsabilités personnelles, techniques, juridiques, professionnelles et morales.

Monsieur le ministre, je vous félicite pour l’implantation de nouveaux commissariats de police. Il faut réellement s’en féliciter d’autant que cala répond à des besoins exprimés par les populations et semble s’inscrire dans le cadre de la sécurité de proximité qui, malheureusement, n’est pas conduite de manière efficace par la Police nationale. La proximité géographique est certes souhaitable mais elle n’est pas suffisante ; il faudrait, concomitamment à la création de nouveaux commissariats, mettre en œuvre une véritable stratégie de proximité institutionnelle pour un rapprochement entre la police et les populations, pour renouer les liens sociaux de plus en plus  distendus entre les policiers et les citoyens.

Monsieur le ministre, vous concernant personnellement, excusez-moi mon impertinence ou plutôt ma franchise, pour vous dire, tout de go, que votre magistère est l’un des plus décrié jamais connu dans l’histoire du ministère de l’Intérieur. A plusieurs reprises et en diverses circonstances, vous avez montré que vous n’êtes pas à la hauteur des responsabilités qui vous ont été confiées et que vous n’êtes pas en capacité de gérer comme il se doit le stratégique ministère de l’Intérieur. Je m’autorise à énumérer, entre autres, certaines de vos bourdes, bévues et bêtises.

-         Au tout début de votre nomination, vous vous êtes rendu dans la ville sainte de Touba pour exprimer votre solidarité à des commerçants victimes d’un incident et apporter votre soutien financier. L’intention était louable en soi, encore que bien avant ceux-ci, d’autres Sénégalais victimes de tragédies similaires n’ont jamais eu à bénéficier d’une telle sollicitude de l’Etat ; allez savoir pourquoi une telle discrimination. Toujours est-il que vous avez remis l’assistance financière de manière inélégante, cavalière en foulant les règles élémentaires de discrétion que dictent les principes de la république. On vous a vu remettre un sac à dos noir contenant cinquante millions et qui passait de mains en mains bafouant toutes les règles de bienséance républicaines et étatiques. C’était vraiment de l’enfantillage et du tape à l’œil.

 

-         En plein milieu des drames et tragédies provoquées par  le départ massif de nos jeunes compatriotes vers l’Europe pour échapper à la galère et à la misère, résultats de la mauvaise gouvernance de votre régime, vous avez osé dire que le nombre de morts importe peu et que votre préoccupation était de voir comment arrêter le phénomène. Les parents des victimes restées dans les profondeurs abyssales de l’océan ainsi que l’ensemble des populations ont perçu, à travers vos propos, un manque notoire de respect et surtout une absence manifeste de compassion, de sympathie et d’empathie de votre part, c’est comme si vous vous complaisiez à les tuer une nouvelle fois.

 

-         Dans votre hargne contre le PASTEF et aveuglé par l’animosité que vous ressentez contre son leader, vous avez posé un acte inédit dans les annales des mesures gouvernementales, en sortant un communiqué à trois heures du matin pour rappeler des dispositions légales que vous ne sembliez pas maitriser en tant que haut magistrat. Dans votre mauvaise interprétation ou par simple ignorance, ce qui d’ailleurs revient au même, avez considéré que n’est pas Sénégalais un compatriote qui vit à l’étranger. La peur vous avait fait perdre toute lucidité. Vous vous êtes certainement ravisé quand les VARS vous ont fait revivre les déclarations de votre mentor qui a reconnu avoir reçu des subsides de l’étranger.

 

-         Dans une politique de communication très mal conçue, inopérante et contre-productive on vous a vu, en costume, portant des bottes, patauger dans les eaux  glauques et stagnantes de Keur Massar. L’année d’avant c’était votre mentor qui, lui, était en tenue de gala évitant même que ses pompes soient salies par la poussière ; aussi, s’était-il fait installer une bâche sur laquelle il se tenait débout, lui qui est né et a grandi à Fatick. Votre visite et votre attitude n’ont pas été bien appréciés par les populations qui ont considéré que le show était inutile.

 

-         Lors des récents événements du mois de mars passé, certainement submergé par un vent de panique, vous déclaré que des forces occultes étaient à l’origine des violences, un discours repris par notre incompétente ministre des affaires étrangères qui rendu notre diplomatie atone et aphone. Votre déclaration est d’autant plus grave qu’elle émanait de la personne censée être la mieux et la plus informée du pays. Vous saviez que vos propos ne reflétaient guère la réalité ; le cas échéant, cela voudrait dire que nos forces de défense et de sécurité sont d’une incompétence notoire au point de n’avoir pas pu identifier ces forces occultes et procéder à leur arrestation. Et vous êtes le mieux placé pour savoir que nos forces de défense et de sécurité, notamment la communauté du renseignement font un excellent travail de contrôle, de surveillance, d’anticipation et d’actions proactives pour parer à toute éventualité.

 

-         Tout récemment, vous avez instruit les préfets et les sous-préfets d’introduire des recours au niveau de la cour suprême pour contester les décisions de rétablissements des listes invalidées par les autorités administratives. On ne saurait vous contester le droit d’un tel recours, mais une telle démarche manque d’élégance républicaine ; votre attitude manque de finesse et noblesse, traduisant la  petitesse d’un petit esprit ou d’un. esprit petit. Vous  avez donné la preuve manifeste du mépris que vous nourrissez à l’endroit de la justice de votre pays. Les Sénégalais ont compris que les Préfets et Sous-préfets sont mis à contribution pour des missions de filtrage comme l’aurait fait le système du parrainage. Aujourd’hui, votre régime à vassalisé l’administration territoriale qui, jadis, était un des solides piliers de la république. Compte très largement tenu des forfaitures commises par certaines autorités du commandement territorial, il est fort à craindre qu’elles soient toujours enclines à s’adonner à des pratiques dolosives pour favoriser les listes de la coalition au pouvoir.

Monsieur le ministre, quoi qu’on puisse vous dire, vous êtes en train de jouer à la perfection le rôle que le Président Macky Sall attend de vous. A l’annonce de votre nomination à la tête du ministère de l’Intérieur, tous ceux qui connaissaient l’importance stratégique de ce ministère s’étaient étonnés de ce choix ; vous n’aviez pas le profil d’un bon ministre de l’Intérieur, vous n’en aviez ni l’expérience politique, ni les compétences techniques encore moins la maturité psychologique. C’est après analyse, revenus de leurs surprise, que les uns et les autres ont compris les véritables motivations du Président Macky Sall qui voulait à la  tête du ministère qu’il connait bien pour l’avoir dirigé, un homme lige, docile, sans envergure mais surtout prêt à exécuter les ordres sans état d’âme. Je vous ai rappelé vos propos sur les morts de l’émigration clandestine. Qui plus est, vous avez donné des gages de soumission, de docilité, d’aucuns diraient de servilité, de loyauté et de fidélité au Président Macky Sall à l’occasion de deux affaires qui ont défrayé la chronique et retenu en haleine le pays pendant des mois ; il me plait d’évoquer les cas Karim Wade et Khalifa Sall. Pendant ces deux affaires, vous vous êtes montré impitoyable ; vous avez été non seulement, un très bon exécutant des ordres et des directives reçus mais aussi et surtout un excellent exécuteur en participant à la mise à mort politique de Karim Wade et à la tentative de mise à mort politique de Khalifa Sall. Pour ce dernier je parle de tentative parce qu’aujourd’hui il a retrouvé une nouvelle vitalité et un nouvel essor comme il en fait la démonstration aujourd’hui.  Pour dire que Seul Allah est le Maitre de nos fragiles destins d’êtres ignorants et insignifiants.

Monsieur le ministre, permettez-moi de m’adresser de nouveau à mes frères d’armes policiers pour leur dire que je sais parfaitement qu’ils sont dans un carcan statutaire  rigide qui les astreint à la disciplinée la plus rigoureuse, c’est-à-dire à l’obéissance hiérarchique  des ordres conformes aux lois et règlements de la république. Seulement en tant qu’agent pouvant engager leur responsabilité individuelle, ils doivent exécuter les ordres avec discernement sans faiblesse aucune mais aussi sans cruauté inutile et dans le respect strict de la dignité humaine. Après avoir arrêté un manifestant désarmé a-t-on besoin de l’injurier, lui donner des coups de crosse ou de le piétiner dans le véhicule de police ? Je vous demande  de bannir ce genre de pratiques, ces exactions et brutalités inutiles que vous infligez à vos propres pères, frères, mères et sœurs. On doit servir la république jusqu’au sacrifice suprême, être d’une loyauté d’airain vis-à-vis de l’Etat, mais un régime il faut toujours le servir avec discernement et lucidité. Il n’y a pas pire ingrat que le politicien,  demandez aux policiers radiés de 1987. Que n’avaient-ils pas fait pour le régime socialiste de l’époque ?  Vous devez savoir que vous n’avez pas prêté un serment d’allégeance au Président de la République Macky Sall , vous avez prêté un serment d’allégeance à la Constitution de la République du Sénégal. La Constitution est la voix du peuple souverain qui est au-dessus de toute autre voix, fut-elle celle du Président de la République.

Le pouvoir au peuple, les servitudes aux dirigeants.

Dakar le 22 Novembre 2021.                   Boubacar      SADIO

                                                     Commissaire divisionnaire de police de

                                                      Classe exceptionnelle à la retraite.


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