LE CONTRE-POUVOIR : ILLUSION OU RÉALITÉ ?

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LE CONTRE-POUVOIR : ILLUSION OU RÉALITÉ ?

« Democracy is an illusion ! ». Ce cri du cœur d’une citoyenne britannique sous le régime de Tony Blair, exprime la profondeur de la déception constamment vécue par les citoyens face à la trahison des élites politiques. Partout, les peuples sont censés être souverains, mais les astuces des politiques, des groupes de pression économiques et des médias contournent cette prétendue souveraineté populaire. La séparation des pouvoirs n’a jamais suffi pour prémunir la démocratie des prédateurs de la liberté. Arguant du péril d’abus de la liberté qui pourrait mener à l’anarchie, les pouvoirs politiques ont tout le temps trouvé des acrobaties juridiques pour freiner le désir de liberté des citoyens. Interdiction de manifester, encadrement et enrégimentement de la liberté d’expression, infiltration des contre-pouvoirs, achat de consciences, etc. sont, entre autres, les procédés astucieux qui amenuisent sournoisement la liberté des citoyens. Face à ces périls, la société civile, et la presse constituent les ultimes remparts contre l’abus de pouvoir : on appelle de façon générique « contre-pouvoirs » ces boucliers fragiles contre l’abus de pourvoir. Mais ce contre-pouvoir est-il digne de confiance ? A-t-il encore les moyens et le courage de contrer le pouvoir ?

Le contre-pouvoir : une notion ambiguë et des pratiques douteuses

Le contre-pouvoir[1], c’est toute forme de résistance contre un pouvoir donné ; étant entendu que tout pouvoir, par son essence de pouvoir, tend inexorablement à l’abus comme l’avait si bien dit Montesquieu. La presse représente à la fois le contre-pouvoir par excellence et le levier principal de tout autre contre-pouvoir. Aucune forme de résistance contre le pouvoir n’est envisageable sans l’apport de la presse qui est à la fois source d’information et un moyen de communication. C’est exactement ce que les tenants du pouvoir politique ont compris, d’où leur course effrénée vers le contrôle du pluralisme médiatique. On ne peut pas limiter le nombre de médias ni la liberté d’expression : on peut en revanche polluer la presse et les médias. Cette pollution prend plusieurs formes : le contrôle par la corruption, la création de médias prétendument libres (mais en réalité au service du pouvoir) les pressions fiscales, etc. Dans un pays où le législatif et le judiciaire se sont inféodés à l’exécutif, seule la presse devrait garantir le contre-pouvoir. Or cette presse est aujourd’hui investie et manipulée par les trois pouvoirs.

 Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si des juges se sont offusqués de la tentation de certains avocats à plaider davantage dans la presse qu’au tribunal : ils sont sans doute vu comment la presse est devenue un élément de la Justice. Le contrôle de l’opinion a pour vocation de faire passer les sentences les plus injustes par une préparation a priori de l’opinion. Toutes les fois que le régime actuel a voulu faire condamner quelqu’un, il est passé par ses canaux préférés : audiovisuel et presse écrite pour inonder les consciences d’aprioris négatifs sur le concerné.

L’on se rappelle la façon scandaleuse dont l’affaire de la mule de Karim Wade a été traitée par la presse proche du régime. « Mule de Karim Wade : La Dic piste 300 milliards », « Une mule de Karim Wade tombe avec des sommes, des documents et titres bancaires » ; un journal a poussé le bouchon jusques dans les travers de la mythomanie convulsive en affirmant : « Rilke Ndongong, présenté comme une mule présumée de Karim Wade a été déféré depuis vendredi dernier, pour atteinte à la Sûreté de l’Etat et blanchiment de capitaux. Pour les enquêteurs de la DIC, cet ingénieur de la Qatar Investment Autority est au cœur d’une entreprise visant à déstabiliser le Sénégal. ». Plus grave encore : « « Rilke a cherché à joindre Karim Wade via Whatsapp sans y parvenir » alors que le mis en cause a affirmé dès le début ne pas connaître Karim Wade. Est-il encore possible de faire confiance à une presse qui, sans vérification aucune, se permet de véhiculer tous les ragots fomentés par le régime ? Comment, sans précaution scientifique, une presse présentée comme libre peut-elle se permettre d’être la voix du pouvoir aux dépens du peuple ?

Chaque fois d’ailleurs que le régime est en difficulté, les mêmes quotidiens et sites d’informations générales avec les mêmes traitements de l’information (on dirait même des communiqués gouvernementaux) exhument des affaires Karim Wade. Ce qui est paradoxal, c’est que ce Monsieur dont on dit qu’il n’a jamais remporté un bureau de vote hante le sommeil du régime au point d’en faire une priorité dans le lynchage médiatique qu’il a conçu comme moyen politique par excellence. Le dernier épisode de ce feuilleton politico-médiatico-judiciaire est encore le dossier Karim Wade. « Après avoir fixé la contrainte par corps au maximum, ce qui appelle un risque d’emprisonnement des tiers ciblés, le parquet a commis un huissier. Si toutefois ils ne peuvent pas payer les amendes qui s’élèvent à plus de 1000 milliards de francs Cfa, ils seront emprisonnés » s’extasie la même presse. Après de multiples revers sur tous les jugements rendus par des juridictions étrangères, le gouvernement était dans une mauvaise posture : il avait donc besoin d’un nouveau souffle de légitimité dans son entreprise de liquidation d’adversaires politiques. Et comme d’habitude, il a actionné sa presse pour faire le boulot. Bassement alliée du pouvoir, cette presse n’a aucune gêne à véhiculer un communiqué comme une information, un parti-pris politique comme une information respectueuse des exigences déontologiques. Si, après avoir gracié les mis en cause dans des conditions plus que ténébreuses, le gouvernement s’apprête à les remettre en prison pour non payement d’une amende, c’est à lui de trouver des arguments pour justifier la cohérence de son action. Aucune publicité médiatique ne pourra le sauver.

De la nécessité de protéger la presse de la tentation de la corruption.

Le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif sont aujourd’hui directement en connivence avec certains médias. L’actualité en témoigne de façon patente : le traitement de la question du parrainage, la couverture des mouvements de contestation la veille et le jour du vote de la loi à l’Assemblée nationale, ainsi que les commentaires qui ont suivi le vote, ont été soigneusement noyés dans un « agenda setting » (réglage de l’agenda de l’actualité). On voit donc qu’après avoir domestiqué les transhumants, le pouvoir actuel a fait main-basse sur la démocratie : la presse est infectée et la société civile est envahie par de nouvelles entités aux origines plus que douteuses.

 

De toutes ces considérations, il découle une urgence : protéger la presse pour sauver la démocratie. Comment faire pour que la presse soit affranchie du pourvoir qu’elle était censée contrer ? Seuls les citoyens ont la réponse à cette question : la démocratie a un coût ; et ne la mérite que celui qui est disposé à en supporter le coût. Le mécénat en démocratie doit poursuivre deux objectifs : financer l’éducation et protéger la liberté. Or la liberté en démocratie a pour levier la presse. C’est donc aux citoyens de financer certains organes de presse pour les prémunir contre les combines des différents pouvoirs. C’est aux citoyens et aux citoyens seuls de financer la liberté de la presse et ce, de façon désintéressée et anonyme.

 

La liberté est le plus précieux cadeau que Dieu a fait à l'homme. Seul un homme libre a accès à la vérité. Seul un homme libre a accès au beau (je ne suis pas pour autant parnassien !). Seul un homme libre peut marcher allègrement sur le sol de la justice et sur les sentiers sinueux de la vérité. Le journalisme est libre ou n'est pas ! Le journalisme, c'est comme la science : dès qu'il est mis au service d'une autre fin, il se pervertit et devient un poison, et pour la connaissance, et pour la démocratie. Mais heureusement qu’il y a encore dans ce pays des journalistes débout. Les graines destinées à nourrir les corps élus pour servir l’humanité ne pourrissent jamais et ce, quelles que soient la puanteur du climat et la corruption du milieu. Il faut que nous soutenions la presse désireuse de liberté en dehors de tout calcul politique.

 

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Président du Mouvement LABEL-Sénégal

 

 

[1] Alassane K. KITANE, L’Harmattan, 2010, p.46


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