Les clichés de la transformation 

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Les clichés de la transformation 

 

 Certes, vu le temps réduit pour exploiter tous ces programmes apparus au dernier moment, il peut être difficile d’achever des analyses approfondies sur les visions, leurs  corrélations avec des résultats et des impacts transformationnels escomptés, au demeurant pas toujours définis. Pourtant, au regard de l’orthodoxie managériale, de la nouvelle gouvernance et des théories du changement, la vraie transformation suppose un certain processus que la quasi-totalité des programmes n’explicite pas. En effet, beaucoup d’entre eux, procèdent à des diagnostics, proposent des objectifs qui sont pour la plupart des intentions qu’on hésiterait à qualifier  d’intentions stratégiques au sens du management moderne. A la limite, s’agit-il d’objectifs stratégiques, pas tous d’ailleurs, lesquels vont directement à la destination finale sans nous préciser comment y arriver. En réalité, si la finalité, c’est la prospérité, voire le bonheur ou un qualificatif de ce genre que toute vision doit expliciter, là où une telle transformation a bien réussi, on comprend très vite qu’il y a eu derrière tout un système et tout un ensemble holistique de processus et de valeurs. Un tel système et ses processus ont alors permis de formaliser une vison, d’éclaircir les objectifs stratégiques et opérationnels, de décliner les impacts qui conduiront à un Sénégal transformé et à des vies transformées. La vision, les objectifs stratégiques ou opérationnels reposent ainsi sur « des drivers », « des catalyseurs », mais aussi sur des processus, des équipes (talents), la culture d’entreprise et organisationnelle, etc. La transformation n’est pas automatique. Elle est même menacée au cours de sa courbe de vie. Il est le résultat d’un travail lourd, d’une résilience, d’une passion de l’excellence. Elle ne résultera pas de programmes ad hoc en fin de parcours, au dernier moment. Manifestement, les programmes soumis, pour la plupart, ne comportent pas une stratégie de transformation publique explicite. Or, comme le dit

Wilson, « L’administration publique, c’est le gouvernement en action. »

Par ailleurs, ce qui prévaut, c’est parfois la redondance d’intentions réitérées par  la doctrine et les politiciens, depuis des décennies. Cela est perceptible au vu de la similarité de la quasi-totalité des programmes. A plusieurs égards, à part quelques-uns que nous analysons présentement, beaucoup constituent un catalogue d’intentions sans modèles de changement généralement reconnu. Le risque est grand alors d’un pilotage à vue post-élection au vu de l’incapacité d’expliciter les objectifs, les risques, les contrôles internes, les performances attendues, les relations avec des résultats et des impacts, les talents requis que d’ailleurs la politique préfère aux militants.

Face à ces lacunes, on peut relever que beaucoup de programmes proposés sont laconiques sur la nature des processus, de « business model », de paris qui feront la différence,  sur les drivers de la transformation, sur les impératifs de création de valeurs  par les sénégalais, qu’ils soient entrepreneurs,  artistes, penseurs, créateurs d’idées, etc. Devrait-on croire  à des intentions ainsi formulées  au regard des principes, des normes et des bonnes pratiques du management public et de la nouvelle gouvernance publique?   

 

Par ailleurs, ces programmes sacralisent le mythe du sauveur auprès des générations actuelles et futures, du leader deus ex-machina. A part quelques rares programmes analysés, les documents soumis aux sénégalais ne semblent pas assez transformationnels au sens d’un leadership qui inspire, motive, impulse, aiguillonne, etc. Plusieurs d’entre eux, pas tous,  sont centrés sur le MOI du candidat, sur le message « ce que je ferai.» Très peu d’entre eux disent  aux sénégalais, « ENSEMBLE, nous changerons les choses, ensemble, nous allons transformer ceci ou cela. » « Je ne suis que l’aiguillon du changement, un catalyseur, un inspirateur ; les transformateurs, c’est VOUS, NOUS, tous ensemble, etc. » En outre, la quasi-totalité ne décline pas l’URGENCE comme un leader transformationnel sait et doit le faire dans des situations complexes de crise: l’urgence de la discipline, d’être des « change-makers », des catalyseurs du changement, de la performance éthique, des gens convaincus de l’importance de la redevabilité, de la résilience, de l’éthique, etc. ». En définitive, ces programmes adhèrent à une culture du passé, de la politique politicienne ; leurs auteurs ne sont guère différents de la vieille classe politique qui existe ici depuis très longtemps. A bien y réfléchir, ce n’est pas la faute des candidats et de leurs équipes. C’est aussi le fruit d’un héritage qui conditionne les sénégalais à vivre dans les anciens paradigmes, à être des « followers », à reconduire dans leur imaginaire les vieux paradigmes de la politique, de ce qu’est un Président, un ministre et de cet armada juridico-constitutionnel « triché » du droit colonial. La vraie transformation supposerait une stratégie qui explique clairement aux citoyens leurs rôles, ce qu’est le changement, qui leur dit « vous êtes les transformateurs. »

 

Sur un autre plan, les objectifs de gouvernance affichés, généralement sous forme de slogans, sont timides et enfermés dans les concepts usés de la  gouvernance antérieure aux années 90, avant l’ère de la gouvernance entrepreneuriale, partenariale, de proximité[1]. Le caractère holistique des enjeux invite à montrer comme les enjeux de la performance éthique, de la transparence, de l’éthique, de l’intégrité, de la gouvernance d’entreprise sont-ils intégrés. Mais, pour l’instant, ces programmes disent sommairement  « Je vais lutter contre la corruption et les fraudes ! » Mais alors par quels modèles, processus, visions, par quelles stratégies citoyennes, voire par quelles stratégies de management de la fraude au sein des organisations publiques ou privées concernées? Or,  une approche holistique de la transparence, de l’éthique, de l’intégrité est pourtant nécessaire. D’une manière générale, la quasi-totalité des programmes parcourus néglige cette nécessité, il est vrai complexe, laquelle, pour réussir, doit combiner les mentalités, les contributions citoyennes, les infrastructures, les technologies et les institutions de lutte contre la corruption et la fraude, tout le dispositif de « prise de conscience-communication-information-sensibilisation », d’incitations, de certification, etc. Ces choses-là ne peuvent être construites sans expertise, sans l’homme ou la femme qu’il faut à la place qu’il faut. En sus, cette approche holistique, au-delà le management interne de la fraude, des abus, des gaspillages et de la corruption invite à refonder tout l’environnement de surveillance et de contrôle (audits, investigations et évaluations). En fait, même si les menaces, les investigations et les dissuasions sont nécessaires, elles ne sauraient suffire pour lutter contre la fraude, la corruption des fonctionnaires et de leurs complices tant il s’agit d’un  phénomène social, sociétal, à intégrer dans la stratégie.

 

Un autre grand défi est aussi l’innovation, car souvent les programmes sont « pseudo-juridiques » ; mais, le droit, bien que vital, ne suffit pas. Il est même parfois, un facteur bloquant et dans ce cas, il faut le réviser. C’est sûr l’Etat du Sénégal a besoin de réengineering, d’audit de ses duplications, redondances, chevauchements, fragmentations[2]. Et ce ne sera pas facile ! Dès lors, il existe de sérieux défis de leadership, d’implémentation de la nouvelle gouvernance, de la transformation, le courage de disruptions, etc. L’innovation managériale et de la gouvernance devrait être au cœur de la transformation.

 

 

En définitive, le vrai candidat transformateur est celui qui parlera aux sénégalais, pas de lui-même, mais qui leur dira « vous êtes les transformateurs, voilà vers où /où je veux aller avec vous, je ne suis qu’un catalyseur, je ne suis que celui qui cherchera tout le temps à vous inspirer, motiver, inciter ». Ce vrai transformateur à une certaine humilité et une certaine générosité car sa vision et ses priorités seront de mettre à disposition les ressources pour le plein potentiel. C’est celui-là  capable récompenser les victoires à court terme par les incitations appropriées, d’encourager  l’auto-responsabilité et le mérite, celui capable de proximité, d’interactions, de proactivité, celui qui veillera aux résultats, mieux aux impacts.  Ce refus d’un leadership transformationnel qui mobilise par la valorisation des intangibles a coûté au Président Macky Sall le prix des avatars actuels de son destin politique. Le  leader n’existe pas seul. Quelque part, il maîtrise l’art des conversations fructueuses, voire positives et mobilisatrices et ne doit pas consacrer toute son énergie aux conversations toxiques. Les leaders qui ne pensent ainsi et dont les programmes et les comportement n’éclaircissent pas cela courent le risque de devenir arrogants,  d’avancer lentement au détriment de l’accélération stratégique et de finir par échouer, tristement. Ils risquent le risque de ne guère être différents des modèles de politiciens que nous avons connus jusqu’ici, légués par l’héritage doctrinal colonial de ce qu’est la politique. Manifestement, beaucoup de gens et de followers n’ont pas été préparés à penser ainsi et croient à la contemplation béate de leaders qui les diminuent (diminishers pour parler comme Liz Wiseman)

 

En définitive, le bon candidat n’est pas celui  qui dit aux sénégalais que nous allons éradiquer la pauvreté par le sommet (ce que nous disent les bailleurs depuis plusieurs décennies). Il a une bonne théorie  qui est le fruit d’un parcours, d’une expertise, d'une expérience, d’une équipe, etc.  Humble, il sait démultiplier les leaders, créer un leadership dilué, délocaliser les initiatives de transformation au niveau des gens, des entités ; il sait faire faire, construire un Etat catalyseur et stratège qui libère les gens. Une de ses forces, c’est aussi la résilience, car il peut être illusoire de vouloir transformer sans innover, sans oser des disruptions, sans proposer de nouvelles thèses économiques et industrielles audacieuses, sans refontes organisationnelles. Si c’était cela Dubaï, Singapour , la Malaisie, Taiwan, la Corée du Sud qui ont majestueusement incarné ce qui précède ne se seraient pas développés, en quelques décennies seulement. Enfin, il sait mettre éviter les erreurs destructrices du voyage de la transformation et en sécuriser le déploiement[3].

 

Si j’avais des conseils personnels à donner, au-delà des promesses, je dirais aux gens de chercher à identifier dans les discours, les documents, les prêches, les parcours, les équipes, des candidats qui ont ces caractéristiques. « Talk is cheap », rappelle-ton parfois.

C’est vrai que tout ceci n’est pas facile, car pour plusieurs candidats, c’est chercher ce qui n’est pas visible, prouvé, ce qui est latent, ce qui reste à prouver !

 

Dr Abdou Karim GUEYE – DBA/MBA/ENA – Faculté de droit. Ancien Inspecteur général d’Etat. Ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal.


[1] Voir la génération des idées dans la lancée des publications de David Osborne, Ted Gaebler. Au besoin approfondir avec «  Introducing Public Administration. » Russel, Sharif , Borick , Albert Hyde – Voir aussi John Kotter sur  les erreurs que le leaders doivent évier pour empêcher l’échec de la transformation, etc.

[2] Voir les méthodes d’audit des fragmentations, redondances, des duplications, chevauchements. CF. Fragmentation, Overlap, and Duplication. An evaluation and Management Guide, GAO – 15 -49 SP. CF. Business Process Reengineering Assessment Guide. GAO

[3] Voir ma conférence intitulé « Le management et la gouvernance publics aujourd’hui : l’impératif d’un leadership au cœur de la transformation. » Dr. Abdou Karim GUEYE DBA / MBA / ENA / DROIT

 


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