Les réseaux sociaux un nouveau contre-pouvoir au service de la démocratie : l’exemple du vote rural.

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Les réseaux sociaux un nouveau contre-pouvoir au service de la démocratie : l’exemple du vote rural.

 

Le jour du vote, je discutais avec un ami sur l'évolution des résultats favorables à la coalition Diomaye 2024 . Il m'a dit qu'il faut pas crier gare car les résultats du monde rural ne sont pas encore  sortis. D’habitude   ceux du monde rural écrasent de tout son poids ceux des villes  , et sont favorables au parti au pouvoir. Je  lui ai dit que la distance entre le monde rural et la ville est aujourd'hui anéantie par les réseaux sociaux. WhatsApp, Facebook, Tik-tok et   YouTube ont permis de contourner les médias classiques qui pour la plupart  sont des caisses de résonnance de certaines lobbies politiques. Quelle lecture peut-on faire de cette situation ?

Autrefois, le monde rural était un désert de l’information, coupé du reste du pays au propre comme au figuré. Des routes sinueuses, chaotiques et sablonneuses les  éloignaient aux grandes villes. L’accès était difficile et les déplacements réduits à la seule nécessité. Seule la Radio Télévision Sénégalaise (RTS) pouvait émettre dans certaines zones. Ses Jungles du matin, de la mi-journée et du soir faisaient office d'horloge parlante qui sert de repère temporel. Certaines activités de la journée étaient arrimées à son programme.  Les informations distillées entre ces intervalles sont presque sacrées.

 Les marchés hebdomadaires apprivoisaient les marchandises et l’information ambulante outre que celle triée, traitée et destinée à la consommation. Les faits divers occupent les débats de la place publique, les sujets se renouvellent ou évoluent chaque semaine seulement quand les Bana-banas ou les Dioulas reviennent du marché hebdomadaire. Aucune information sur les idées ou les ajustements d’un opposant politique au régime n'avait droit au chapitre. Ils sont quasi inexistants dans la tête des campagnards. Pis, ces personnes qui convoitent le pouvoir sont diabolisées. Les chefs de village étaient un maillon important de la main mise du parti au pouvoir sur les ruraux. Comme des bergers á la tête du troupeau, il fallait le soudoyer ou l'apprivoiser pour avoir le troupeau électoral.

Auprès d’eux, les prétendants au pouvoir étaient diabolisés, voués aux gémonies. Ils étaient décrits comme des pauvres types,  des personnes violentes, promptes à basculer le pays dans une spirale de violence.  La manipulation ne date pas d’aujourd’hui c’est une pratique aussi vieille que la politique . L'achat des consciences et la manipulation sont rendus  possibles par une conception de la vie en communauté.

Les ruraux vivent en communauté, formant par là un groupe homogène dont les membres partagent et font tout ensemble. La communauté est marquée par la proximité, l’affectivité et la solidarité entre les membres. Ceci se justifie par le fait qu’ils partagent une histoire commune et un même patrimoine culturel. Ainsi crée-t-elle entre ses membres un sentiment naturel de solidarité. De ce fait, l’intérêt de chaque membre de la communauté se confond avec l’intérêt de tout le monde, et les liens se concrétisent de façon naturelle. Les relations au sein des communautés sont contraignantes, mais elles correspondent aussi à des liens sociaux intenses, à des formes diverses de solidarité: ils sont unis comme un seul homme.

Certaines individualités ou voix discordantes font les frais de leur déviance. Ils sont bannis de la communauté. Ce paradis du vivre ensemble devient un enfer pour eux.  L’objectif c’est de briser toute volonté manifestée ou non de saper l’entente communautaire. Au sommet de cette organisation il y’a une aristocratie qui se targue d’être le porte étendard  de l’État central . Seulement, ils ne font pas la différence entre l’institution étatique et le parti au pouvoir. Tantôt on confond le maire et le sous-préfet et l'homme politique affilié au pouvoir est le sauveur providentiel, le messie, celui avec qui il faut s'allier pour sa survie et celle du village.

Il faut le dire les villageois gardent les stigmates du pouvoir colonial dont certains régimes ne sont que des versions tropicalisées. Ils sont très affaiblis, appauvris, exploités, traumatisés.  Une expression très populaire stipule que « bur ken du xex ak mom » comprenez personne ne doit s’opposer au pouvoir.  L’opposant devient de facto celui qu’il faut combattre. Il est porteur d’un projet funeste, l'ennemi même de la communauté. Le surnom de Ndiombor  que Senghor a donné à Ablaye Wade est loin d’être une simple plaisanterie. C’est une ironie pas du sort mais associé à un sort.  Dans les contes africains, cet animal est réputé pour sa malignité.  Un animal apparemment inoffensif mais égoïste qui cherche des subterfuges pour se tirer d’affaire au risque de troubler la quiétude du groupe.   C’est la bête à abattre sa peau porte bonheur, il n’est pas rare qu'un membre de son corps soit associé aux semences pour attirer la chance et la fertilité, cependant s’il réussit à s’enfuir lors d’une partie de chasse ça porte la poisse, les récoltes ne seront pas bonnes. Il faut l’abattre impérativement. Le message est, on ne peut plus clair : Un présidentiable qui porte un tel nom est une calamité pour sa société.

Les écoles publiques se comptaient du bout des doigts. Il faut marcher parfois dix kilomètres par jour, pendant neuf mois sur six ans pour espérer décrocher un certificat de fin d’études élémentaire ( CFEE).Le taux de déperdition scolaire était très élevé. La classe de Cm2 était un plafond de verre . Les collèges et lycée n’existaient que dans les grandes. Un élève qui réussit son « entrée en sixième » devait se séparer de sa famille pour trouver une famille d’accueil en villes. Ce qui n’était pas chose facile .Les daras et écoles coraniques implantés un peu partout formatent des “citoi-croyants”. Pour ces derniers, toute autorité émane de la divinité et celui qui s’oppose à l’autorité s’oppose à la volonté divine. Il faut obéir et respecter les décisions à la lettre quand bien mêmes elles sont illégales « waxi bur waw la sant ».

 Aujourd’hui, il y a un changement radical. Les mentalités ont évolué au grand dam des politiciens professionnels. Le fossé entre ville et village est réduit pour ne pas dire effacé. Si les politiques ont préféré des infrastructures de luxe qu’à des infrastructures de base comme des pistes rurales. L’internet a créé un pont virtuel qui met tout le monde au même niveau d’information. L’information est câblée jusqu’aux coins les plus reculés par les réseaux sociaux. Les plateformes virtuelles remplacent les médias classiques.  L’information n’est plus triée et préparée pour une consommation locale ou rurale comme je l’ai expliqué plus haut. C’est le citoyen qui choisit sa télé, sa radio de confiance. Cette coïncidence entre un nouvel auditeur et un nouveau discours est bouleversant. Elle crée un nouveau type d’électeur conscient des enjeux politiques.

 

Le discours du leader de PASTEF est bien accueilli et il vient à son heure. Au début, il était caricaturé par ses détracteurs d’être le candidat des réseaux sociaux. Cependant, c’était sans compter la force magique de cet outil qu’est le réseau social « xep nga xal mu lakk sa dàgga ». Il a rendu possible la démocratisation de l’information. Il cible principalement les jeunes qui se connectent en permanence, surtout quand ils n’ont pas d’occupation. Trente secondes par jour de leur temps, ne serait-ce que le temps que dure    un statut WhatsApp, n’est pas à négliger. Une jeunesse consciente, très informée des affaires publiques. L’ère des consignes de vote émanant d’une certaine autorité est révolue.

Désormais, le terrain politique qu’il soit rural ou urbain n’est plus favorable à personne. Il faut un discours convaincant. Il faut sortir du luxe de l’expérience politique basée sur des calculs rétroactifs. Les bastions, les fiefs et les titres fonciers politiques n’existent plus.  C’est un vent nouveau qui souffle.  Comme je l’ai rappelé dans un article précédent. « Nous voulons la politique autrement. Une politique qui repose sur des valeurs fondamentales de justice d’équité, de paix, de liberté, de respect de la parole donnée ainsi que toutes les valeurs qui forment le ciment de notre société. Nous voulons une gestion inclusive des ressources, basée sur la transparence et l’impartialité. Nous ne voulons plus être dirigés par une bande de copains dealers, un clan, des assoiffés de pouvoir allergiques au débat contradictoire, plus disposés à réprimer qu’à écouter. »

 

Ousmane Gadiaga, Lycée Ababacar Sy Tivaouane.


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