SENEGAL : UNE HISTOIRE POLITIQUE DÉCADENTE

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SENEGAL : UNE HISTOIRE POLITIQUE DÉCADENTE

 

S’il m’était donné de conter très brièvement l’histoire politique de notre pays, je le ferais par une petite allégorie : un homme qui croît vers le bas. La raison, le cœur, le ventre et le bas-ventre. On n’en fait pas souvent mention, mais une analyse non exclusivement factuelle de notre histoire politique récente pourrait faire apparaître une involution dans la nature et l’étendue des crises qui la rythment.  C’est vrai, une démocratie (Rousseau et avant lui Platon et Aristote, l’ont clairement expliqué) est sujette à de crises qui frisent parfois l’anarchie et la guerre civile, mais nos crises politiques sont un peu atypiques. L’on remarquera que les colons nous ont gouvernés dans la terreur et l’humiliation, mais leur levier principal était d’ordre idéologique (la raison, la religion, la civilisation). Senghor a lâchement emprisonné Mamadou Dia ; cette crise avait l’avantage elle aussi d’être ou de paraître idéologique (la tête est la partie supérieure du corps). Abdou Diouf a emprisonné plusieurs fois Wade pour des raisons purement politiques, mais entre-temps il avait créé et instrumentalisé la CREI (il était à cheval entre la tête, le cœur et le ventre). Le régime de Wade a emprisonné Idrissa Seck pour des problèmes d’argent enrobés sous le prétexte d’atteinte à la sûreté de l’État (le ventre, le gain). Le régime de Macky accuse ses adversaires de crimes encore plus avilissants (hier c’était le gain, aujourd’hui le sexe). Voilà où nous en sommes : nous ne parlons plus de grands destins, de rêves ; nous n’avons plus d’idéal ; nous sommes décadents.

 

De sa conception tripartite de l’âme, Platon déduit les trois classes de la cité et expliqua sa conception de la façon dont celle-ci devrait être gouvernée : le Logos (raison), le Thumos (Volonté, colère) et les Epithumia (appétits ou désirs). De toute évidence, une âme normale, saine, juste ou droite est celle dans laquelle chacune des parties s’acquitte convenablement de sa vocation sans excès. Mais puisqu’il faut de l’ordre pour y arriver, il est aisé de comprendre pourquoi la partie rationnelle devrait finalement trôner sur les deux autres comme un cocher sur un attelage tiré par deux chevaux (de couleur, d’humeur et de catégorie différentes, cf. Phèdre). La meilleure société serait par conséquent celle où règne l’ordre, mais il ne peut y avoir d’ordre sans mesure, c’est-à-dire sans la raison ; ce qui revient à dire que la raison devrait être la boussole de l’homme normal. Comparons la nôtre avec cette conception de l’âme et nous comprendrons l’insondable profondeur de l’abîme politique dans lequel nous sommes aujourd’hui.

 

 « L’homme juste ne permet pas que les trois principes de son âme empiètent sur leurs fonctions respectives ; il établit au contraire un ordre véritable dans son intérieur, il se commande lui-même… » disait Platon. Voilà pourquoi les philosophes devraient gouverner : le désir de la vérité serait chez eux le gage de la justice, de l’harmonie ; là où le règne du cœur courrait derrière les honneurs, et celui des appétits derrière le gain (kawteef). Si notre société était un homme, les parties de son âme qui prévaudraient aujourd’hui seraient les plus basses. Quels sont les leaders politiques capables de théoriser une idée cohérente de l’éducation de nos enfants en ce XXIe siècle ? Qui parmi les gens qui nous gouvernent sait arrimer les besoins de la société sénégalaise sur l’organisation et les contenus pédagogiques de l’école pour faire face aux exigences de la mondialisation ?

 

Napoléon Bonaparte a dit : « on gouverne mieux les hommes par leurs vices que par leurs vertus ». En toute humilité j’aurais infléchi sa formule pour faire comprendre la posture des hommes politiques de notre pays : ils nous gouvernent davantage par leurs vices et faiblesses que par les nôtres. Chacun gouverne tel qu’il est. D’où la nécessité de savoir choisir ses dirigeants. Mais comment bien choisir si, pour utiliser une allégorie de la République, les hommes politiques dans la cité sont comparables à des matelots qui se disputent dans un navire, en pleine tempête, le gouvernail ? Criant, festoyant, ivres de pouvoir, ils sont prêts à jeter par-dessus bord les hommes sages et vont jusqu’à droguer le patron (peuple) en l’endormant (démagogues et imposteurs) et « en outre, ils louent et appellent bon marin 488d, excellent pilote, maître en l'art nautique, celui qui sait les aider à prendre le commandement - en usant de persuasion ou de violence à l'égard du patron – [les chiens de garde et les mercenaires politiques] et blâment comme inutile quiconque ne les aide point [les intellectuels libres par exemple]». Que faire pour éviter que le vrai pilote ne soit « traité par les matelots de bayeur aux étoiles, de vain discoureur et de propre à rien » ?

 

La seule réponse qui vaille est à notre humble avis : tirer le peuple vers la sagesse. Si nous ne voulons pas échouer comme nos braves résistants, il faut arriver à pénétrer les masses de suffisamment d’informations et de vertus. L’homme politique révolutionnaire d’aujourd’hui doit imiter l’enseignant, l’éducateur, en faisant de l’ignorance son ennemie irréductible. Puisque « de lui-même, le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même, il ne le voit pas toujours » (Rousseau, C. S, L.II, Ch.6) il faut qu’on réussisse le pari de l’information, du savoir et de l’éveil des consciences.

 

Alassane K. KITANE


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