Serigne Mor Mbaye, le pamphlet est un art avant d’être une arme

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Serigne Mor Mbaye, le pamphlet est un art avant d’être une arme

 

La communication non violente est d’abord un exercice psychologique, et ce n’est certainement pas à Serigne Mor Mbaye qu’on va l’apprendre. Nous sommes, il est vrai, dans une société ouverte, mais également dans une société de tolérance, de convivialité. C’est heureux qu’on puisse discuter de tout, mais c’est également bon de le faire dans le respect. Il faut discuter les tares des laïcs et des religieux, car ils sont des humains. Mais n’est-il pas possible de critiquer un avis sans stigmatiser la personne porteuse de cet avis ?

 

On peut parfaitement reprocher à Serigne Basse d’avoir la position qu’il a, mais je ne sais pas ce que la question de son oisiveté vient faire dans ce débat. Avoir des mains ou des doigts qui ne travaillent pas, être milliardaire sur le dos du contribuable ou des fidèles ce n’est pas un argument, c’est un procès d’intention. Que veut dire travailler ? Les jeunes qui donnent leur argent à leur marabout le font selon un code et une relation auxquels ils ont souscrit. Mais au cas même où le principe du Hadiya serait discutable, je pense sincèrement que ce n’est pas un argument pour déconstruire celui de Serigne Basse Abdou Khadre (qui, je le répète, peut se tromper comme tout le monde). Un discours part de prémisses, de postulats, de présupposés, bref d’un contexte à la fois psychologique et sociologique à partir duquel il tire son sens.

 

Le problème pour nous intellectuels, c’est que nous avons la prétention et l’intolérance de vouloir tout expliquer sans faire l’effort de comprendre. Or ce n’est pas à un psychologue comme vous qu’on va apprendre que la compréhension est, en ce qui concerne les affaires humaines, très féconde. Il en est ainsi parce qu’elle est participative. Serigne Basse est certes citoyen, mais aussi un religieux. Au nom de quoi (à moins de promouvoir un athéisme intolérant) devrait-on exiger de lui qu’il ait les mêmes postulats que le laïc ? Vous imaginez ce marabout parler comme n’importe quel citoyen : il ne peut pas prendre pour son propre compte le discours des hommes politiques. Reprocher aux hommes politiques leurs tares peut être un doit du spirituel, mais ce n’est pas sa vocation. Imaginons ce marabout se complaindre du sort réservé aux jeunes et expliquer le phénomène de l’émigration clandestine par l’absence de travail : ce serait implicitement leur donner carte blanche, bénir implicitement l’émigration clandestine.

 

Le spirituel n’obéit pas aux mêmes principes que le temporel, ils ont des paradigmes différents. Il y a vingt ans la communauté scientifique et des organisations des droits de l’homme voulaient faire la pression sur un grand guide religieux pour qu’il demande aux jeunes de porter des préservatifs. Vous vous imaginez un pape parler comme ça ? Son rôle, qu’il a bien assumé du reste, a été de dire aux jeunes abstenez-vous ! Le temporel peut avoir son discours et ses destinataires sans demander au spirituel d’avoir le même discours : les scientifiques et les politiques peuvent dire aux jeunes de porter des préservatifs, mais pas un religieux. Ce n’est pas une comparaison, mais juste une illustration. Encore une fois, on peut parfaitement discuter les propos de Serigne Basse sans offenser son statut et ses disciples. Guy Marius Sagna l’a fait sans blesser.

 

On sent dès le début de votre texte une volonté de faire mal, d’atteindre l’honorabilité d’un homme qui, quoi qu’on dise reste une référence pour des millions de personnes. Est-ce qu’ils sont tous fous au point d’avoir un guide pareil ? Vous êtes libre de le croire, mais ayez l’humilité et la tolérance de respecter leur spiritualité. On ne peut pas exiger d’un religieux qu’il endosse le combat politique et, encore une fois, il y a différentes entrées pour appréhender les affaires humaines. L’État et la politique ont leur approche, le spirituel a la sienne. Il arrive que leur discours soit dissonant, mais dans les limites de la convivialité.

 

Parler des mains oisives et des milliards de Serigne Basse n’apporte absolument rien à ce débat : c’est une forme de carricature offensante. Stigmatiser les mosquées construites à coup de milliards et reprocher à une communauté de faire dans le tape-à-l’œil, ce n’est pas un argument. Car, monsieur Mbaye, le monde ne se réduit pas au profane qui, a d’ailleurs son coût ! Allez-y à Las Vegas vous y rencontrerez des pauvres. Alors, acceptez donc que le spirituel aussi ait son coût. Les gens ne se nourrissent pas que de pain. Dans toutes les parties du monde il y a des églises, des temples des pagodes et des mosquées, qui comme le dit Schopenhauer, expriment, dans leur magnificence, le besoin métaphysique de l’homme. Besoin à la fois irrépressible et indélébile qui se manifeste aussitôt le besoin physique satisfait.

 

La métamorphose des dieux dont parle Malraux et qui consiste à voir des œuvres destinées à la divinité servir d’œuvres d’art (et de passer dans les musées) à nous modernes, montre que ces temples et pagodes, ces mosquées et églises sont un patrimoine qui a sa place dans le décor de nos villes. Notre Dame de Paris, la place Saint Pierre, les deux mosquées saintes, etc., ne se jugent pas en fonction de leur coût pour la société, mais en fonction du symbole qu’elles représentent. L’homme est chair et âme.

 

Le problème dans le débat public, ce n’est pas qu’il y ait des choses taboues. Le problème, c’est que soit nous partons d’une pétition de principe pour l’imposer comme une norme du débat, soit nous formulons nos arguments à partir d’un univers intellectuel ou spirituel qui n’est pas lui-même neutre. Tout peut être débattu, mais il ne faut tomber ni dans le nihilisme ni dans le fanatisme rationnel. La raison ne saurait être un dogme sans se détruire.

 

Alassane K. KITANE

 

 

 

 


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