Activisme, vous avez dit activisme ? Nous rectifierons après, au besoin

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  • Article ajouté le : 30 Mercredi, 2017 à 00h08
  • Author: Birame Ndiaye

Activisme, vous avez dit activisme ? Nous rectifierons après, au besoin

Kémy Séba n’est pas poursuivi pour ses opinions. De toute façon, il ne peut pas être condamné pour son engagement. Il n’y a pas de place à l’amalgame ; les lois doivent toujours être les mêmes pour tous. Il ne peut y avoir deux poids deux mesures en fonction de l’opinion des uns et des autres. Ce qui n’est pas normal, c’est que des actes comparables dans le fond tels les détournements et autres malversations ne soient pas effectivement réprimés au même titre. Ce qui est normal, c’est que l’auteur d’un acte de vandalisme soit poursuivi et puni. « J’assume les risques que j’ai pris, au nom du combat critique que je mène », avait dit René Riesel en s’opposant à une demande de grâce. Ce militant radical français, engagé contre la société industrielle, avait participé au "démontage" d’un Mac Donald's.

« Je savais qu'en effectuant cet acte purement symbolique, la BCEAO, sans doute sur commande de la BANQUE DE FRANCE, engagerait une procédure visant à me mettre en prison. Je le savais, et je suis prêt à en payer le prix du PLUS PROFOND DE MON ÂME », avait écrit Kémy Séba sur sa page facebook. En privilégiant l’action intense et éclatante aux interventions fines et prévisibles de la politique "halal", M. Séba a clairement fait son choix : celui de marquer illégalement les esprits, d’un coup sec. Malheureusement, une telle initiative aurait produit un impact beaucoup plus grand si elle avait eu lieu dans un pays où le niveau de vie est tel que l’écrasante majorité des citoyens n’est pas oisive ou errante ou les deux à la fois. Ici, elle ne rejoint qu’une infime minorité, la classe semi-bourgeoise, la bourgeoisie braillarde et la bourgeoisie expatriée. On s’entend ! Être bourgeois africain doit signifier avoir du temps à consacrer à l’étude des hémoglobines.

Activiste, penseur, intellectuel, rien ni personne n’y fera. Si tant est qu’ils veulent du changement, il leur faudra s’investir concrètement dans la politique de terrain. Les actes, les discours et les gesticulations d’intello ont des portés très limitées. Ainsi, la séparation proclamée des pouvoirs de même que les leçons sur l’intérêt général ne suffiront pas à fouler les critères promus de solidarité partisane et d’intérêt particulier. Beaucoup d’entre eux l’ont finalement compris à leur corps défendant. C’est fort de ce constat amer que des intellectuels distingués, voulant éviter les attaques personnelles et les personnes attardées, préfèrent ne surfer que sur des affaires très sophistiquées qui n’interpellent pas la plèbe et ses plaies et ses plaintes. D’autres par contre, très éprouvés dans de vaines tentatives de secouer les conformismes, sans résultat ni reconnaissance, finissent par se recroqueviller, dégoutés des bêtises, des gribouilles et des insolences qui caractérisent le débat public sénégalais.

Qu’à cela ne tienne ! Prenons le cas de l’Assemblée Nationale et, parlons un peu du gap entre sa réalité persistante et les vœux pieux d’efficacité et d’intelligence que formule la bien-pensance. Les intellos et activistes et leurs preneurs crient au scandale au motif que l’hémicycle regorge de piètres représentants, incultes et non initiés aux choses de la république. Mais, ne doivent-t-ils pas d’abord s’en prendre à eux-mêmes, distants et débranchés de la réalité du pouvoir, s’inventant ainsi des centres d’intérêt lourds et lointains ? Ils préfèrent se débattre, engoncés et perdus dans des principes aléatoires et aériens du siècle des lumières sans l’effort nécessaire d’adaptation et d’humilité. L’institutionnalisation balbutiante fait que les mimodrames plaisants et trop piquants sont politiquement insignifiants et souvent puérils aux yeux des faiseurs de roi.

Elitisme versus égalitarisme pour une représentation à l’Assemblée Nationale, chambre de passe, de jouissance et d’agrément! Là encore, les adeptes du mérite (homme qu’il faut à la place qu’il faut) veulent que la charge de légiférer revienne aux hommes et aux femmes instruits. Ils prônent une Assemblée de rupture en faisant carrément fi des exigences de la démocratie libérale, des requêtes incompressibles d’accommodement et des rapports de force, moteurs et modalités du pluralisme politique. Pourtant, « toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d'abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l'intérêt général », a dit Karl Marx. Pour être utile et agréable, l’activiste révolutionnaire et presque anarchiste n’a pas le choix que de militer hors-champs, que d’aller puiser matière de lutte et d’engagement dans les épreuves et besoins immédiats des sans-voix pour en faire des combats et des causes communes. Au pire, il peut se donner comme mission de battre en brèche toutes leurs fixations, pourvu que ça s’opère sur le terrain, théâtre d’opération.

C'est à partir de l'état des lieux que le diagnostic, les remèdes et la rémission se révéleront probants et susciteront l’adhésion des masses. Il ne faut pas s’étonner que Kémi Séba soit voué aux gémonies après son acte incendiaire. La pertinence ou le caractère aliénant du franc CFA est une question qui n’intéresse que ceux qui en ont de quoi se payer le luxe des rhétoriques ravissantes et des prophéties scientifiques.  Pour intéresser les paysans et pêcheurs paumés, pour plaire au prolétariat de souche, il ne sert à rien d’épiloguer, depuis les hauteurs, sur des cas d’école. Il faut parler de logis, de graille, de job et d’intendance ; il faut impacter les aspirations populaires, celles des tâcherons, celles des dépouillés. C’est notre niveau actuel d’organisation et de développement qui le veut.

 

Birame Waltako Ndiaye

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