De l’institutionnalisation à la société des confiscations

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  • Article ajouté le : 11 Dimanche, 2020 à 16h10
  • Author: Birame Ndiaye

De l’institutionnalisation à la société des confiscations

Conception d’une identité statique, égalitarisme féerique, africanité ou religiosité totalisatrice, voilà quelques illusions hypnotiques qui s’abattent sur le continent noir. Les tentatives de conservation, les réclames d’estime ainsi que les déceptions qui en découlent constituent des états d’immobilisme et d’improductivité. Elles fixent en continu les Africains dans un surplace bouillonnant de mythes et de mimiques. Les rôles des forces vives notamment du monde politique, de la société civile et des masses en sont tout inversés.

Les initiatives d’adaptation des institutions aux sensibilités nouvelles incombent aux pouvoirs publics. Surviennent des chocs et remous de société lorsque du bas, des groupements et dignitaires s’arrogent le pouvoir d’imprimer à la marche de l’État leur référentiel et leurs allégeances. Les médias et la société civile se substituent de plus en plus à l’État dans le contrôle du processus complexe de mise à jour des codes, des symboles et des ordres qui garantissent la cohésion nationale. Plus que du simple populisme, une frange de la classe politique s’ajuste au climat nationaliste alors que l’autre résiste à obtempérer aux ordres pressants de nivellement par le bas. Ce qui a particulièrement changé du jeu des systèmes démocratiques, c’est la direction du flux des commandements et des exigences de conformité.

Jusque dans les années quatre-vingt, l’élite politique africaine a eu la charge exclusive d’institutionnaliser des moyens de commande et d’organisation sociale. La masse, très respectueuse de l’autorité et subjuguée par la puissance publique, s’est gardée des remises en causes et des revendications identitaristes formelles. Dès lors, les gouvernants ont eu les coudées franches. Cependant, ils ont manqué à leurs devoirs d’évaluation et d’équilibration des techniques et des modalités d’administration. Leur propension à la reproduction systématique de mécanismes empreints d’évènements et d’intrigues exotiques s’est soldée par l’émergence de fronts d’activistes débonnaires et souvent décalés.

La mise en œuvre immodérée du pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple a entraîné la confiscation de la conduite des affaires publiques. Voulant sauver la face, l'apparatchik, technocrates et élus, a cédé à la simplification des enjeux de société. De cette manière l’opinion, dorénavant cliente, exigeante, mais prévisible, devient une reine sous tutelle. Est révolu le temps pour les partis politiques et les appareils d’État de former, de convaincre et de mobiliser les masses. Voici venu le temps de suivre la doxa, la grande vague d’idées reçues et sentimentalement convenables. C’est le prix à payer pour faire figure de leader patriotique et honorable.

Majorité tyrannique, rapports sociaux judiciarisés et populismes avenants, tous les voyageurs en partance pour le bien-être, citoyens de pays quelconque, se sont retrouvés dans la cabine de pilotage. Les nombreuses secousses et les turbulences ressenties sont le fait de quelques-uns passionnément prétentieux. Timorés, les pilotes professionnels se résignent à recourir au pilotage automatique dans le seul but de prévenir les tensions. L’objectif n’est plus de parvenir à une destination quelconque, c’est de divaguer sans trop de remous. À force de faire croire à la banalité de leur rôle, les élus ont fini par vider la solennité et le sérieux du management social et sa dimension sacerdotale.

Au nom de la démocratie, l’égalitarisme dicte une interchangeabilité universelle entre tous les citoyens. Le féminisme élitiste s’approprie la voix des femmes. Les médias prennent des allures de justiciers. Chaque groupuscule se fait passer pour le peuple. Il ne faut plus s’étonner que tout le monde tranche et que tout, jusqu’à l’intime satisfaction, se retrouve sur la place publique. À l’évidence, l’espace public, tout comme le marché, a subi une vaste déréglementation, entraînant, d’un côté, l'atomisation de l’interventionnisme étatique et, de l’autre, l’invasion du grand nombre.

Birame Waltako Ndiaye
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