Émigrer pour recouvrer sa plénitude

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  • Article ajouté le : 12 Dimanche, 2021 à 03h09
  • Author: Birame Ndiaye

Émigrer pour recouvrer sa plénitude

Le souffle et les pluies d’automne, ébranlants parce qu’inédits pour un Sénégalais fraichement débarqué en Italie. Un jour de novembre 1999, je ne sais plus lequel du mois. Il était pot-pourri pour le moins, surtout introductif d’une amitié nouvelle avec moi-même. Au pays, il se fuyait sans cesse, inventant et prétendant être différent de ce qu’il était au fond. En occident, dans les taudis et empressements des blancs, il ne se sentait en vie qu’enraciner au tréfonds du cabaret des rythmes endiablés, du folklore enflammé, des salutations enthousiastes et des parlotes enveloppantes.

Élève chouchouté de bienveillances en famille, puis étudiant gâté par les bourses publiques, le voici soudain confronté à l’exubérance des valeurs du qui mieux mieux : de consommation pour les nantis et de conséquences pour leurs escortes. Marchand ambulant, il fallait vendre des pacotilles dans les rues de Lecce, dans les Pouilles, dans le sud de l'Italie. En monnaie Lire, avant l’Euro, il fallait colmater de quoi vivre bon marché et faire vivre en grande pompe au bled, sans se soucier du lendemain, sans même s’autoriser du stress.

À la rencontre d’autres produits sénégalais qui, en surface, ne me ressemblaient guère, il fallait chercher des traits, des termes et des thèmes qui faisaient se sentir frères coûte que coûte. Étrange qu’il ne pût se réconcilier avec lui-même qu’en terre étrangère! Ces autres, en réalité, représentaient celui que j’ai refoulés auparavant par aliénation, par insuffisance surtout. Dorénavant, s’imposait brusquement à lui, telle une révélation, un commandement à retrouver l’assurance du dompteur de crocodiles, jusque-là noyée dans le reniement des aptitudes à faire genre.

Jamais il ne s’est senti aussi sénégalais qu’au dehors de son pays natal, presque obligé de ne retenir comme critère de coterie que la moindre sénégalaiserie. Dès lors, le seul fait de parler wolof devient caution de sincérité, de préjugé favorable à tout le moins. Les barrières de classe et de clan sautent comme par magie. De son work-man, le Sénégalais, d’origine libano-syrien, qui écoute super diamono et s’en branle des mains et des pieds devient complice en sentiments et en solitude.

À Alcarràs, en Espagne, il lui est arrivé de rencontrer des Sénégalais avec qui, pour échanger simplement, il fallait parler espagnol. De quoi tomber des nues pour un ordinaire « boy town » qui imaginait le Sénégal et les Sénégalais qu’aux limites de ses maigres expériences de bouffon dédaigneux. C’est à croire que c’est dans la diaspora que le Sénégal se concrétise, divers et intégral tout de suite. Il ne dit pas qu’il coupera une montagne de plus. Mais, il ira, à présent, à pied, jusqu'à Montréal pour un ami nul autre que soi-même, très fantaisiste. Il se sentira davantage plus riche et beaucoup moins malheureux.

Birame Waltako Ndiaye
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