Tabaski à la sénégalaise

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  • Article ajouté le : 20 Mardi, 2021 à 22h07
  • Author: Birame Ndiaye

Tabaski à la sénégalaise

Éprouvé par les préparatifs de la Tabaski, Aïd-el-Kébir, de ses réclames, de ses conflits et de ses tourmentes, Le-débrouillard est au bord de l’épuisement. Confus, il gesticule tel un possédé et proteste tout haut. « En vérité, il n’est pas question de mouton en sacrifice, c’est de l’homme contraint à des dépenses absurdes qui est sacrifié sur l’autel des sollicitations tous azimuts. » Le-débrouillard se débat sans succès ni solution à célébrer la fête plus que ses moyens l’y autorisent. Pour trois femmes à son actif, il lui faut trois moutons.

Tabaski n’est pas qu’une fête, c’est un casse-tête, ni plus ni moins, un coupe-faim pour le commun des pères, pourvoyeurs de subsides. Leurs rôles consistent, par la force des choses, à promouvoir les défilés d’une ou de plusieurs épouses, à habiller les enfants et à se payer un mouton très compétitif, c'est-à-dire gros, dans une sorte de concurrence entre voisins.

Les chefs de famille s’en donnent à cœur et à poche mutilés. À présent, Le-débrouillard n’est plus reconnaissable. En cette journée, sa gourmandise habituelle rencontre le poids des dettes douloureuses et des reproches repoussés jusqu’à lui couper étrangement son penchant naturel à s’empiffrer.

Le voilà, en aparté, se relâchant en parlant de sa troisième femme, à son frère. Il lui reproche d’être gaspilleuse et superficielle.

« Elle entend impressionner le voisinage sans égards à mes moyens limités ; elle tient à se parer d’une coiffure spéciale et d’un accoutrement dernier cri. »

« Rien ne t’oblige à combler ses caprices d’enfant gâtée », lui assène son frère.

Les traits tirés, il regarde fixement les vagues de l’océan avaleur, comme pour s’y engouffrer à jamais. Il lui dit: « j’ai renoncé à toute forme de liberté. L’affirmation m'apportera du bien-être qu’à la condition que je sois dispensé d’avance de représailles. Combien de fois avons-nous dit ou entendu dire: si ça ne tenait qu'à moi… ? Ce sont les folies des personnes qu’on aime et qui s’encombrent de futilités qui nous fatiguent le plus. Nous ne voulons surtout pas savoir nos proches embarrassés malgré l’idée défiante que nous avons sur leurs conduites. »

Le-débrouillard trouve absurde de célébrer la Tabaski, acte de piété, dans l’excès et la folie. Néanmoins, il s’y fait contre mauvaise fortune, bon cœur. De toute façon, il ne fait plus rien par attrait, dressé à vivre pour les autres, à sauver les apparences.

Cette sénégalaiserie brutalise de ses charges grossières et de ses directives despotiques à faire comme tout le monde. Les efforts de rationalité et d’organisation butent encore sur la sensibilité aux manifestations extérieures, sauver les apparences à tout prix. Les résolutions individuelles n’y feront rien. Le-débrouillard a déjà tenté le coup. Chaque fois, les bouderies de madame l’ont reconnecté très vite à l’instinct grégaire.

Birame Waltako Ndiaye

Extrait de « L’Afrique saturée de sens - les illusions qui immobilisent le continent noir »
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