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Au Bénin, la démocratie en question après la victoire d’un parlement totalement acquis au pouvoir

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Au Bénin, la démocratie en question après la victoire d’un parlement totalement acquis au pouvoir

Au Bénin, les élections législatives du 28 avril, dont était exclue l'opposition, se sont soldées par des violences post-électorales inédites dans ce pays pourtant réputé être un modèle démocratique en Afrique de l’Ouest.

Le 2 mai tard dans la nuit, la Cour constitutionnelle béninoise a validé les résultats des élections législatives controversées du fait de l’exclusion des partis politiques de l’opposition. L’enjeu principal en était le taux de participation. Celui-ci a été de 27,12 %, un taux historiquement bas depuis les premières élections du pays en 1991 qui consacrèrent le renouveau démocratique et le multipartisme.

Frustrés de n’avoir pas eu le choix entre des candidats de différentes sensibilités, les électeurs ont préféré rester chez eux. “Les élections au Bénin ont toujours été une fête malgré les divergences des partis politiques. Le taux de participation n’a jamais été en-dessous de 50 %” s'insurge Brice, jeune électeur contacté par France 24. “Nous aurons une Assemblée nationale monocolore. C’est un retour au parti unique”. Pour Gilles Yabi, fondateur du Think Tank pour l’Afrique de l’Ouest Wathi basé au  Sénégal, “les Béninois ont manifesté leur refus de la fermeture de l’espace politique en boudant largement les urnes”.

Crise post-électorale sans précédent

En dépit des rencontres successives avec la classe politique dans son ensemble, les chefs traditionnels, et même les représentants de la Cédéao, de l’Union africaine et de l’ONU, le pouvoir n’avait pas voulu surseoir au processus électoral au profit d’élections inclusives réclamées par l’opposition. Au risque de voir le pays sombrer dans une crise post-électorale sans précédent. Donc seules deux coalitions proches du pouvoir, l’Union progressiste et le Bloc républicain, pourront siéger au Parlement à partir du 15 mai.

Lors d'un entretien avant le scrutin, diffusé sur la chaîne publique béninoise ORTB, le président Patrice Talon avait admis que l’exclusion des partis politiques de l’opposition n’honorait pas “l’image du Bénin” mais que cela ne constituait pas pour autant “un blocage du fonctionnement démocratique du pays”.

Au lendemain du vote du 28 avril, des heurts entre manifestants et forces de l’ordre ont éclaté tout autour de la résidence de l’ancien chef de l’État Thomas Boni Yayi, figure de l’opposition qui avait appelé au boycott, tout comme Sébastien Ajavon en exil en France. Deux morts ont été enregistrés après des tirs à balles réelles de l’armée sur la population.

“C’est quelque chose de tout à fait exceptionnel. C’est clairement l’impossibilité pour les partis de l’oppositon de proposer des candidats qui est à l’origine de la crise politique aujourd’hui” affirme Gilles Yabi contacté par France 24. Ce n’est pas le point de vue du ministre des Affaires étrangères, Aurelien Agbénonci, qui a estimé, le 2 mai, lors d’une conférence de presse avec le corps diplomatique étranger, que le Bénin n’était pas “en crise”. “Nous avons organisé les élections, c’est vrai. Il y a eu des problèmes, c’est vrai. Mais nous essayons  de les régler” a-t-il défendu. “Lorsqu’après des législatives on assiste à des situations de violences et qu’on voit l’armée intervenir. Évidemment on est en crise”, reprend Gilles Yabi.  

Lois liberticides

Pourtant Patrice Talon avait accédé pacifiquement au pouvoir, en 2016, sur “le thème de la rupture”. Avec une volonté affichée de réformer en profondeur l’économie béninoise, il a entrepris des réformes libérales : licenciements massifs et liquidation de sociétés étatiques dans des secteurs clés pour réduire les dépenses publiques ; réduction du nombre de jours de débrayage pour les travailleurs ; retrait du droit de grève aux magistrats, aux agents de la santé et aux policiers. Si ces mesures ont eu un effet positif sur la croissance économique – elle est passée de 2,5 % en 2015 à près de 7 % en 2018 selon le FMI, elles ont été jugées liberticides et antisociales par les syndicats et la société civile.

Mais c’est sur le plan politique que les divergences se sont le plus accrues. Fin 2018, les réformes ont abouti au vote par la majorité parlementaire d”un nouveau code électoral et d’une nouvelle charte des partis politiques beaucoup plus contraignants. Certaines mesures, comme la valeur exorbitante de la caution électorale de 200 millions de francs CFA (300 000 euros), obligent les formations (plus de 200 partis politiques) à se constituer en grands blocs politiques.

Pour le chef de l’État béninois, “les forces politiques présentes au Parlement sont en permanence dans des relations incestueuses, perverses avec l’exécutif. Le peuple ne mesure pas ce que c’est comme perversion et combien ça handicape la bonne gouvernance et la gestion convenable du pays”. Il veut donc y remédier.

Gilles Yabi partage cette analyse. Pour lui, le Bénin paie le prix d’une démocratie qui a certes donné lieu à plusieurs alternances pacifiques, mais est “improductive et corrompue”. Cependant nuance l’analyste, “on ne bouleverse pas un système politique en quelques mois. Cela se fait avec beaucoup de temps et avec de l’attention”. “La conception du pouvoir politique par Patrice Talon est qu’il faut une modernisation, qu’il faut réformer le pays profondément. Sauf qu’on ne perçoit pas une volonté de faire adhérer les populations à sa vision. On voit plutôt un modèle directif, donc autoritaire de gestion du pouvoir”.

Scrutin légal mais pas légitime

Quelle légitimité alors pour un nouveau parlement où siègeront désormais 83 députés totalement acquis à Patrice Talon ? Les partisans du pouvoir ne semblent pas s’en émouvoir.

Sur RFI, le directeur de la communication de la présidence, Wilfried Léandre Houngbédji, a estimé que "le processus électoral qui a conduit aux législatives du dimanche 28 avril s'est déroulé conformément aux lois de la république. N'en déplaise à ceux qui soutiennent le contraire, à ceux qui ont vendu la peur, la psychose à nos concitoyens pour les intimider et empêcher certains d'entre eux d'aller aux urnes...”. Sur France 24, Séraphin Noudjenoumé, partisan du chef de l’État, estime qu'“il n’y a pas plus démocrate que Patrice Talon. Au sein des deux partis proches du pouvoir, il y en a déjà qui se positionnent en opposants.”

“Le scrutin ne peut pas être contesté sur le plan légal. Après, sur le terrain de la légitimité politique c’est assez différent. Le pouvoir semble avoir choisi l’option d’aller jusqu’au bout. Je pense qu’on saura assez vite si cette Assemblée nationale peut s’installer à Porto-Novo dans des conditions de sérénité”, conclut Gilles Yabi.

L’opposition n’en démord pas. Les deux anciens chefs de l’État Thomas Boni Yayi et Nicephore Soglo ont donné au lendemain du vote un ultimatum de 48 heures au pouvoir pour annuler ces législatives qui jettent l’opprobre sur la démocratie béninoise. Mais il a expiré depuis. À défaut, ils appellent le peuple à prendre ses responsabilités.



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