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Afrique

De Khartoum à Tarnac, des hommes et des révoltes

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Une affiche sur un panneau de Tarnac

Un petit village français de Corrèze, dans le centre du pays, a accueilli une rencontre sur les mouvements d’opposition soudanais. Reportage au cœur de cette surprenante rencontre entre jeunes activistes français et soudanais.

Environ 4200 kilomètres séparent Khartoum, la capitale soudanaise, à Tarnac, petit village français niché à 800 mètres d’altitude, sur les plateaux de Corrèze et qui accueille quelques 300 âmes. Ce samedi 7 octobre pourtant, ils sont plus d’une cinquantaine de jeunes hommes soudanais à danser en cercle dans la salle des fêtes municipale de Tarnac, ou à entonner des chants de l’opposition estudiantine, aux côtés d’une grosse centaine d’habitants de la région, et ce, jusque tard dans la nuit.

Une insurrection qui a pris racine

Et pour cause : des habitants du village français ont organisé une journée de rencontre autour de la situation politique au Soudan. Tarnac est un lieu connu des Français. En 2008, la police y arrêtait un groupe de neuf jeunes gens organisés autour d’une épicerie, et soupçonnés d’avoir saboté des caténaires de lignes TGV.

Un petit livre à succès, publié en 2007 et appelant de ses vœux une révolution radicale, L’insurrection qui vient, signé par un mystérieux « Comité invisible » est alors attribué aux inculpés. L’instruction s’est éternisée et au début de 2017, la justice a requalifié l’affaire.

L’épicerie, qui fait aussi restaurant, est toujours tenue par un groupe de personnes qui ne cachent leurs vues politiques. Ici, on entend construire un nouveau monde, aux antipodes de celui dans lequel nous vivons.

Ce week-end, des jeunes soudanais passent boire un café dans ce petit commerce typique, tandis que d’autres discutent auprès d’un chêne massif dont une pancarte indique qu’il a été planté par des révolutionnaires français en 1848, qui voyaient dans ce feuillu un symbole de liberté. Malgré le soleil, l’air est frais.

L’onde de la répression à Khartoum ressentie en Corrèze

Vers 15 heures, des dizaines de personnes s’agglutinent autour de la salle des fêtes. Une dame d’un certain âge fait mine de rouspéter tout en sourire : « Si Tarnac et le Soudan ont quelque chose en commun, c’est bien le non-respect des horaires ! » La conférence commence avec une petite demie heure de retard.

Comprendre pourquoi ces gens ont pris le chemin de l’exil

Quatre jeunes soudanais présentent différentes facettes du mouvement de contestation à l’oeuvre dans leur pays depuis 2011, et dont ils remarquent tous qu’il est méconnu, si ce n’est ignoré, en France, alors même que le président Omar el-Béchir y est facilement décrit comme un dictateur.

« Cette rencontre doit aussi nous aider à comprendre pourquoi ces gens ont pris le chemin de l’exil », a expliqué en introduction un trentenaire et habitant de Tarnac qui s’intéresse de près aux révolutions arabes. D’une manière générale, ici, les habitants, comme les Soudanais, préfèrent éviter de donner leur nom.

Ce moment d’exil ne doit pas être pour eux un moment en suspens

« Depuis trois ans, nous multiplions les contacts avec ces jeunes gens qui ont fui leur pays et qui vivent maintenant à côté de nous », continue-t-il. Dans les environs, on trouve en effet des Centres d’accueil de demandeurs d’asile, dans lesquels séjournent notamment des Soudanais.

Ces derniers ont rencontré les jeunes qui gravitent autour de l’épicerie de Tarnac, qui se sont vite montrés solidaires. « Ce moment d’exil ne doit pas être pour eux un moment en suspens », conclut l’amphitryon du jour.

Les quatre intervenants, la trentaine, adoptent un discours clair. Ils sont tous sympathisants d’organisations de l’opposition et ont été formés dans les syndicats estudiantins, à l’instar d’Omar, qui explique dans un anglais parfait son engagement auprès du mouvement marxiste soudanais et les points de départ de son travail universitaire sur Spinoza qu’il mène à l’EHESS, à Paris.

Avec précision, ce dernier démêle l’écheveau soudanais, démontant par exemple la vulgate anti-impérialiste adoptée par le régime d’Omar el-Béchir. Les réalités françaises et soudanaises sont mises en regard. Chacun opine du chef quand un Soudanais explique que la répression d’une vague de manifestations en 2013 a précipité le nombre de départs : cela s’est ressenti jusqu’en Corrèze.

Quand le voile se lève sur les débats internes

Sur la fin de la conférence, alors que les analyses tournent quelque peu à l’exorde et qu’un appel à la prière résonne d’un téléphone portable, un jeune du sud du pays, dont tout indique qu’il n’est pas aussi politisé que ses concitoyens, lève la main pour prendre la parole. « Pourquoi ne parlez-vous pas des camps ? Il faut parler de la vie dans les camps de réfugiés. C’est là-bas qu’on vit le pire ! C’est pour ça qu’on veut le changement. »

Les conférenciers se sont montrés jusqu’ici soucieux de la perception extérieure de leurs interventions et ont jeté un voile pudique sur les antagonismes internes à une opposition soudanaise désunie. Mais les situations de chacun changent d’une région à l’autre, et le quotidien des Darfouris est nettement plus dur.

Le jeune homme ne semble pas convaincu par l’omission de la question de la vie dans les camps par les intervenants. Sous les yeux attentifs des Corréziens, un débat retranscris par un duo franco-syrien de jeunes traducteurs naît entre des Soudanais liés par l’exil mais aux points de vue qui différents.

Un intervenant venu de Paris lui répond et revient sur la manière dont, selon lui, le racisme que subissent les Noirs au Soudan s’est aussi perpétué à cause de la répression des intellectuels et des artistes de l’opposition.

Convergence et danse sous les néons

Alors que le soleil se couche, la conférence touche à sa fin sous des applaudissements francs et enthousiastes. De nouveaux convives de la région se pressent aux portes de la salle et s’additionnent aux présents : un repas-concert soudanais a été annoncé. Quelques costaux corréziens s’enquièrent auprès de leurs invités longilignes sur l’état de la gauche dans leur pays.

La petite région française et la nation africaine ont en commun une vieille tradition communiste, toujours perceptible. Le visage radieux, les intervenants continuent de répondre aux questions alors que le gros de l’assemblée s’est lancé sur la piste de danse, donnant vie au lieu éclairé par de tristes néons jaunasses. Un présent déjà essoufflé par le rythme lance : « Voilà encore un point commun entre Tarnac et le Soudan : on est les meilleurs en danse ! »

 



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