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Afrique

Nigeria: sécessionnisme d’hier et d’aujourd’hui au Biafra

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Le bazooka sur la tête, un rebelle biafrais marche à travers la brousse. Photo prise le 31 juillet 1968.

Le 30 mai 1967, le Biafra proclamait son indépendance. La rébellion fut réprimée dans le sang par Lagos, obligeant les sécessionnistes de cette province orientale à réintégrer le Nigeria. Le regain de violences au cours des dernières années dans la région a relancé la question de l’indépendance du Biafra, surtout depuis l’arrivée à la présidence de Muhammadu Buhari. Retour sur l’irrédentisme biafrais en 5 questions.

Quelle est la situation actuelle dans le sud-est du Nigeria ?

Parallèlement à la guerre qu’il livre dans le nord du pays aux islamistes du mouvement Boko Haram et à la révolte des chiites de Zaria, l’Etat nigérian est confronté depuis plusieurs mois à un mouvement indépendantiste dans le sud-est du Nigeria, qui rappelle les sombres heures de la sécession biafraise. Le 30 mai 1967, il y a qurante-neuf ans, l’Eastern Region, l’un des quatre Etats de la Fédération du Nigeria de l’époque, décidait de faire sécession et de créer la République indépendante du Biafra. Cette revendication sécessionniste qui fut réprimée dans le sang, a refait surface récemment. En butte depuis plusieurs mois à des attaques menées dans le Sud-Est par des bergers peuls, dont la plus meurtrière a eu lieu en février 2016 faisant des centaines de morts, les agriculteurs igbos estiment avoir été lâchés par Etat fédéral et réclament de nouveau la création d’un Etat indépendant.

Quelles étaient les causes de la première guerre de sécession biafraise ?

Autrefois colonie britannique, le Nigeria est devenu indépendant le 1er octobre 1960. La nouvelle République du Nigeria était une fédération composée de quatre provinces dont l’Eastern Region qui fera sécession sept ans plus tard. Le pays compte trois ethnies dominantes, les Haoussas au Nord, les Yoroubas dans le Sud-Ouest et les Ibos dans l’Est et le Sud-Est. Le Nord islamisé vivait mal la domination d’un Sud, majoritairement christianisé et dont la population largement scolarisée monopolisait les emplois non-agricoles. Ces antagonismes ethniques vont aller s’accentuant après l’indépendance. Des massacres visant notamment les chrétiens installés dans le Nord se sont traduits par l’exode de 2 millions de réfugiés igbos en 1966. C’est à la suite de ces événements que la province orientale décréta sa sécession le 30 mai 1967, sous la direction de son leader le lieutenant-colonel Odumegwu Emeka Ojukwu. Le nouveau territoire prit le nom de Biafra. La portée du conflit qui s’ensuivit déborda rapidement les frontières du Nigeria en raison des appuis internationaux dont bénéficiaient les belligérants.

Quel rôle les puissances internationales ont-elles joué dans la guerre du Biafra ?

La lutte politique des Igbos contre le gouvernement fédéral masquait en effet un enjeu économique. L’Eastern Region comptait à cette époque environ 14 millions d’habitants, soit moins d’un quart de la fédération nigériane, mais elle en était la partie la plus riche, grâce à ses gisements de gaz naturel, de pétrole, de charbon et ses exploitations de bois tropicaux. C’est d’ailleurs au Biafra que se trouvaient les quatre cinquièmes de la richesse pétrolière nigériane, dont la production en 1966 atteignait 400 000 barils par jour. A la veille de la guerre civile, trois sociétés pétrolières se partageaient l’exploitation du pétrole nigérian : dans l’ordre de grandeur, la Shell-BP anglo-hollandaise, la Gulf Oil américaine et une filiale de la société française Elf. Selon la presse de l’époque, les tractations étaient en cours entre la société française et les sécessionnistes pour l’attribution des droits exclusifs d’exploration et d’extraction du pétrole au Biafra. Ces intérêts pétroliers expliquent sans doute que le gouvernement français a soutenu les sécessionnistes, apportant aux rebelles du Biafra dès 1968 une aide discrète en matériel et en hommes (notamment des mercenaires), sans pour autant reconnaître officiellement l’indépendance du Biafra. Les rebelles étaient également soutenus par la Chine, le Portugal et une poignée de pays africains (la Côte d’Ivoire, la Tanzanie, le Gabon et la Zambie). De leur côté, le Royaume-Uni, l’Union soviétique et les Etats-Unis ont soutenu le gouvernement fédéral au nom de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Leurs aides militaires au gouvernement central nigérian a contribué à la victoire finale de Lagos sur l’Etat sécessionniste.

Pourquoi la guerre du Biafra a-t-elle autant marqué les esprits ?

La guerre du Biafra dura trois ans, jusqu’à la défaite totale des armées biafraises au mois de janvier 1970. L’armée fédérale se montra inflexible à l’égard des rebelles et aligna, au plus fort des combats, jusqu’à 250 000 hommes. Cette guerre a marqué les esprits par l’ampleur des dégâts et des pertes en vies humaines qu’elle a occasionnées. Elle fit dans le camp des rebelles entre 1 et 2 millions de morts, victimes de la malnutrition et de la famine pour la plupart. La longue et héroïque résistance de la population civile, largement médiatisée, alerta les opinions publiques occidentales et suscita dès la première année de la guerre des actions d’intervention humanitaire.

Mais la solidarité internationale classique assurée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) fut rapidement mise à mal par la multiplication des entraves à l’aide par Lagos, donnant naissance à une nouvelle génération de militantisme humanitaire, incarnée par le mouvement des « French Doctors ». Rompant avec la tradition de neutralité érigée en règle par le CICR, ces derniers interpelèrent les pouvoirs publics nigérians et s’appuyèrent sur la presse pour mobiliser la communauté internationale contre la guerre et la famine qui sévissaient au Biafra. Cette mobilisation, qui fut massive, favorisa l’émergence des organisations telles que Médecins sans frontières (MSF) d’abord, puis celle d’autres associations humanitaires françaises comme Médecins du monde (MDM). Si la guerre du Biafra a marqué les esprits, c’est aussi parce qu’elle a été le creuset du renouveau de la philosophie et l’action humanitaires.

Comment expliquer que le rêve d’indépendance demeure encore vivace dans le cœur des Igbos ?

Le Nigeria est divisé aujourd’hui en 36 Etats régionaux. Les Igbos sont majoritaires dans 5 Etats de la zone Sud-Est. Ce territoire enclavé, coupé administrativement des zones pétrolifères, abrite quelque 19 millions d’habitants. Depuis la fin de la guerre du Biafra, les Igbos disent souvent avoir le sentiment d’être marginalisés par le gouvernement fédéral, qui les tient à l’écart des postes clés et les prive de grands projets d’infrastructure dans la région. Si ce ressentiment a été mis en sourdine sous les régimes militaires, il s’exprime plus librement depuis le retour de la démocratie au Nigeria en 1999, notamment à travers des manifestations des Igbos pour une meilleure prise en compte politique de leurs spécificités. Ces manifestations de désobéissance civile ont été organisées dans les années 2000 par le Mouvement pour l’actualisation de l’Etat du Biafra, le Massob. Les années passant, la campagne est devenue plus virulente, avec l’entrée en scène d’un nouveau groupe de coordination,Peuple indigène du Biafra (IPOB), qui a pris la relève du Massob. Dirigé par l’Anglo-Nigérian Nnamdi Kanu, l’IPOB s’appuie sur la diaspora igbo en Europe et sur son média, Radio Biafra, qui émet depuis Londres. Depuis l’arrivée au pouvoir de Muhammadu Buhari, musulman du Nord et ancien général qui a servi dans les troupes fédérales, l’IPOB a radicalisé ses positions et n’hésite pas à recourir à la violence. En représailles à l’arrestation de Nnamdi Kanu à son retour au Nigeria en septembre 2015, les militants igbos ont mis le feu à la mosquée centrale d’Onitsha et à huit camions appartenant au groupe du millionnaire originaire du Nord, Aliko Dangote. Le procès fait à leur leader pour trahison et la recrudescence des attaques des bergers peuls ces derniers mois dans le territoire igbo, servent d’arguments aux partisans d’un Biafra indépendant. Selon les observateurs de l’International Crisis Group, la riposte musclée du gouvernement Buhari aux manifestations et aspirations des Igbos risque d’être contre-productive et de conduire à terme à une plus grande radicalisation de leur mouvement. L’histoire est-elle en train de se répéter ?



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