Vu la faiblesse du niveau de la science au Sénégal, nos autorités encouragent aujourd’hui la « culture scientifique », particulièrement dans les universités et les centres de formation. Entre autres mesures, le projet d’une université à vocation scientifique, la création de l’Académie des Sciences et des Techniques du Sénégal (ASTS), et l’idée d’inverser ou de contrebalancer la tendance à l’université de Dakar (surnombre des littéraires et juristes par rapport aux scientifiques), par un encouragement des bacheliers de série S.
En fait, le savoir scientifique reste cloisonné. La grande majorité des Sénégalais n’y a pas accès. Ce qui est très nocif. Qu’est-ce qui s’est fait ailleurs ? En 2000, par exemple, le gouvernement français a mis en place un ambitieux programme de vulgarisation du savoir, appelé « L’université de tous les savoirs » (UTLS), avec le concours de chercheurs et d’universitaires. 366 conférences étaient programmées pour accompagner le nouveau millénaire.
Le coordonnateur, le philosophe Yves Michaud, avait avantageusement fractionné les thématiques scientifiques (2/3) au détriment de celles des « humanités » (1/3). Le résultat allait largement dépasser les espérances, avec plus de 1000 conférences, dont 735 pour le grand public, et 302 dans les lycées. Ouverte à toutes les couches de la population, cette « fête du savoir » était retransmise dans les chaines culturelles (France culture, la Cinq), et les conférences publiées par tome, et enregistrées sur supports audiovisuels.
L’initiative de l’UTLS a inspiré le Québec, la Roumanie et la Chine. Pourquoi pas le Sénégal ? On peut bien organiser des cycles de conférences et de projections dans les coins reculés du pays (mairies, salles des fêtes, maisons communautaires) pour démocratiser la science. En invitant, pour cela, des sommités et Prix Nobel, aux côtés des chercheurs locaux, sur des questions sur la physique quantique, la «théorie des cordes», celle de la relativité d’Einstein, le décryptage du génome humain, ou les « trous noirs » de Stephen Hawkins, etc.
Ces grands noms de la science, les Instituts et Fondations philanthropiques (Rockefeller), ainsi que les milliers de chercheurs africains, expatriés, se feraient un plaisir de collaborer à l’émergence de la science en Afrique. Cette démarche permettrait à nos concitoyens de se faire une idée plus appropriée des conséquences dramatiques, pour les générations futures, de ces millions de sachets plastiques négligemment jetés, et qui polluent nos villes et campagnes. Elle encouragerait aussi un esprit hygiénique et civique, par le respect scrupuleux de codes sanitaires, primaires et non onéreux (lavage des mains, pratique de sport, nourriture simple et « naturelle », milieu écologique assaini, etc.) pour faire reculer certaines maladies et épidémies.
Economiquement parlant, le Secrétaire perpétuel de l’ASTS a exhorté les entreprises sénégalaises à se rapprocher des Instituts et laboratoires pour aider au financement de la recherche. On peut songer, ici, au secteur agronomique afin de comprendre le cycle reproductif et le génome de la mouche qui parasite l’énorme production de mangues, en Casamance, et détruit les 2/3. On peut penser, aussi, à l’oignon locale qui génère près de 21 milliards de FCFA par an, et attire de plus en plus de jeunes entrepreneurs sénégalais. Mais se conserve moins bien que celle venue de l’Europe. Les recherches devraient déterminer les causes.
Plus dramatiquement encore, l’investissement des grandes firmes pharmaceutiques sur les maladies tropicales est, aujourd’hui, faible voire inexistant. Ce n’est pas par hasard. Les futurs clients sont en effet trop pauvres pour assurer un retour sur investissement. D’ailleurs, des études sérieuses dans le milieu médical et pharmaceutique révèlent que les investissements sur les maladies des pays riches (cancer, obésité, maladies neurodégénératives) sont 100 fois plus importants que ceux des pays tropicaux (malaria, maladie du sommeil).
Pourtant, les spécialistes sont formels : si une seule des trois premières firmes pharmaceutiques mondiales (américaine, anglaise et française), mettait le prix, on ne parlerait plus, aujourd’hui, de paludisme (qui tue, notons-le, un million d’Africains par an). A titre illustratif, l’une d’elle a mis sur le marché, il y a quelques années, un médicament très efficace contre la stérilité masculine, via la technique dite du « blokbusters » ; c’est-à-dire l’investissement sur une molécule qui génère près d’un milliard de dollars par an. C’est tout dire. Pour Ebola, la firme américaine, Jonhson £ Johnson, a participé (tardivement, il est vrai), à la lutte, par une généralisation des tests vaccinaux. Mais bien après l’exceptionnelle mobilisation de la communauté internationale, et, surtout, grâce aux moyens importants dégagés par l’OMS.
Quant au paludisme, l’Institut Pasteur a entamé, en 2003, le décryptage des génomes de l’anophèle (Plasmodium falciparum) et du parasite, afin de maitriser leur cycle de développement, en parallèle avec l’université d’Oxford qui menait des vaccins expérimentaux. Mais les résultats sont non concluants.
De façon globale, la promotion des sciences aiderait à juguler les difficultés liées au sous-développement, en permettant spécifiquement aux Africains de se prendre en charge. Ce qui pose, bien sûr, la question du « patriotisme scientifique ».
Professeur de philosophie et de sciences politiques
Ancien consultant à l’Unesco et à Amnesty International (France)
6 Commentaires
Africalayeseye
En Février, 2015 (14:09 PM)Doc
En Février, 2015 (14:17 PM)Davidndour
En Février, 2015 (17:11 PM)Simakha123tiath
En Février, 2015 (19:25 PM)Oudioudiop
En Février, 2015 (20:20 PM)Deug Piir
En Février, 2015 (20:24 PM)Participer à la Discussion